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L’Ukraine et l’Église politique

Les tentatives pour chasser l’Église du terrain politique, et la reléguer dans le coin des loisirs ont échoué, mais l’organisation la plus importante de l’histoire humaine n’a pas encore regagné la place qu’elle avait avant que les juifs et les libéraux unissent leurs forces contre la chrétienté. La défaite des nazis ukrainiens est le premier résultat tangible des changements en cours.

 

Le président russe Vladimir Poutine est du genre va-t-à-la messe, un oiseau rare parmi les hommes d’État qui comptent. Il communie, et il a un confesseur, et il allume des cierges dans des paroisses modestes les jours de fête religieuse, et il confère avec de vieux sages dans des monastères reculés. Il suit la politique de l’Église, et reste engagé. Récemment, face à une urgence confuse (unspecified emergency), après que le sous-marin nucléaire russe eut souffert un accident fatal (le 1er juillet dernier), et alors que le vice-président Mike Pence venait d’être rappelé à Washington (le 2 juillet), Poutine s’en est allé rendre visite au pape François (le 4 juillet), avec lequel il a eu un long entretien dramatique, en tête-à-tête.

Rien n’est plus significatif du changement dans le cœur russe. En 1944, Staline avait répliqué à Churchill qui lui recommandait de tenir compte du point de vue du Vatican avec son célèbre : « Combien de divisions, le pape de Rome ? » Et maintenant, l’héritier de Staline respecte et écoute attentivement les opinions du successeur de saint Pierre, tout en conservant sa propre allégeance chrétienne orthodoxe.

Au même moment, les US jadis chrétiens ont tourné le dos à l’Église. Si un quotidien US important fait mention de l’Église, c’est habituellement pour la condamner parce qu’elle refuse de consacrer les unions de même sexe, pour une affaire de « prêtres pédophiles » ou pour avoir manqué aux juifs en matière d’Holocauste. Les US mettent un point d’honneur à ne jamais défendre les chrétiens. Les juifs, toujours, et les musulmans, de temps en temps. Mais les chrétiens, jamais.

L’Église a été lente à riposter, mais le moment si longtemps retardé est arrivé. Tant que Moscou était rouge et athée, l’Église n’avait pas d’autre choix que de faire corps avec Washington. Maintenant cela n’a plus de sens.

La rencontre de Poutine avec le pape, sa troisième audience avec le pape François et la sixième avec un souverain pontife, signifie un changement cardinal, m’a dit Frère Jeffrey Langan, un prêtre de l’Opus Dei, un homme très proche du Vatican et professeur de philosophie à l’université de Harvard. La rencontre avec Poutine marque l’intention du Saint-Siège de rompre avec les US, dans le contexte globalisé. Le Vatican se tenait aux côtés de Washington depuis des années, mais maintenant, le pape François a apparemment décidé que ça commençait à bien faire. L’Église devrait rester neutre dans les conflits internationaux. Cela concerne en particulier l’Ukraine. Le Saint-Siège considère le conflit ukrainien comme une guerre par procuration à l’instigation de la CIA, et elle veut rester en dehors de cela.

C’est une décision très importante. Les Ukrainiens sont en majorité des chrétiens orthodoxes, mais il y a une église grecque ukrainienne, une église catholique de rite byzantin. Elle est bien implantée en Ukraine occidentale, la région au nationalisme fervent qui a ses traditions propres. Les Ukrainiens de l’Ouest (ou Galiciens de la Galicie) étaient surtout des villageois, mais ils ont migré vers les villes lorsque les juifs et les Polonais se firent massacrer ou expulser. Ils n’avaient guère d’amour pour les juifs ni pour les Polonais, leurs voisins ; après leur intégration à l’Union soviétique en 1940, ils découvrirent qu’ils aimaient encore moins les Russes (et les Ukrainiens russifiés).

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, leurs militants les plus durs choisirent le camp d’Hitler : après la guerre, ils se tournèrent vers les US. Après le démantèlement de l’Union soviétique, ils sont devenus les moteurs d’un développement indépendant, ou plutôt du dé-développement, parce que ces ex-paysans urbanisés de fraîche date se méfiaient profondément de l’industrie et des gens des villes. Ils ont désindustrialisé leur région, puis se sont installés en masse en Ukraine centrale, où ils sont devenus les emblèmes vivants de l’élan culturel du retour aux racines. Si la France était brisée par un Gorbatchev français, le Midi tenterait de revendiquer les traditions perdues du pays d’Oc, mais comme peu de gens du Sud parlent provençal, ils regarderaient du côté des villageois des Pyrénées en tant qu’incarnation de la culture du Midi. De la même façon, les Ukrainiens du centre et de l’Est de l’Ukraine ont gardé peu de choses de leur culture originale et de leur langue, après l’indépendance en 1991, et ils ont ressenti le besoin de regonfler leur identité ukrainienne. Les Ukrainiens de l’ouest faisaient l’affaire pour le rôle. Ils devinrent importants dans les structures politiques ukrainiennes, au niveau de l’idéologie et de la culture. Et leur église a gardé beaucoup de son influence sur cette population fort active et dynamique.

De l’autre côté, l’église ukrainienne grecque catholique est une lumière à suivre, pour les protestants ukrainiens. Les protestants, un groupe réduit mais d’un bon niveau d’études et influent, suivent en général la ligne des catholiques grecs. On considérait que l’église grecque catholique était violemment anti-russe.

Mais dès le lendemain de la rencontre avec Poutine, le 5 juillet, le pape rencontrait les évêques de l’église grecque catholique, et leur disait de laisser tomber leur rhétorique anti-russe. Restez en dehors du conflit, recommanda-t-il aux évêques. Ce fut pour eux une révélation : pendant des années, ils avaient combattu contre les Russes, et contre l’église majoritaire orthodoxe d’Ukraine, qui est alliée au patriarcat de Moscou. Et voilà que soudainement, on leur disait d’arrêter tout ça. Ils ont fait ce qu’on leur disait, et apparemment cela a eu de l’effet : aux élections parlementaires du dimanche 21 juillet, les nationalistes d’extrême droite (que notre ami le Saker appelle les « Ukronazis ») se voyaient éliminés en tant que force politique, ou en tout cas ils ont perdu leurs positions. Finis les Ukronazis ! Kaputt ! Terminée, la révolution brune : The Brown Revolution is over !

J’avais prédit ce résultat il y a cinq ans ; l’Occident utilise et encourage toujours l’extrême droite nationaliste pour se débarrasser des socialistes, mais dans l’étape suivante, c’est l’extrême droite qui se fait déloger. Cela s’est passé en Croatie où des nazis pur jus ont été utilisés contre les socialistes afin de démanteler la Yougoslavie et de combattre les Serbes ; après quoi, une fois la victoire atteinte, la chasse d’eau de l’histoire les a évacués. De la même façon, les Ukronazis ont rempli leur rôle en prenant le pouvoir et en déclenchant une guerre de basse intensité avec la Russie ; puis ils ont transféré le pouvoir aux libéraux soutenus par Soros.

Cependant, le plus grand changement dans la politique de l’Église ukrainienne a eu lieu au sein de la communauté orthodoxe. En novembre 2018, j’ai écrit à propos du schisme en cours dans l’église orthodoxe ukrainienne Le spectre du Phanar. Vous pouvez vous y reporter pour vous rafraîchir la mémoire. Bref, deux groupes nationalistes orthodoxes à la marge s’étaient unis pour écraser la plus grande église orthodoxe traditionnelle ukrainienne, qui est une partie autonome de l’orthodoxie russe relevant du Patriarcat de Moscou. Les deux groupuscules firent appel au patriarche Bartolomé de Constantinople pour qu’il leur garantisse le Tomos (décret solennel et irrévocable) de l’autocéphalie, en d’autres termes pour les faire reconnaître comme une église indépendante au sein de l’église orthodoxe. Le Tomos leur a été garanti le 5 janvier 2019. Le patriarche y déclarait que les « Ukrainiens pouvaient désormais jouir du don sacré de l’émancipation, de l’indépendance, et du gouvernement propre, devenant libres de toute allégeance externe ou intervention extérieure. »

Seulement voilà que ce plan soigneusement encouragé par la CIA pour finir de séparer la Russie de sa sœur l’Ukraine, se trouve réduit à néant, en à peine six mois. Les ambitions et l’avarice ont saboté les plans des sans-Dieu.

Le personnage clé dans l’orthodoxie ukrainienne, c’est l’évêque nonagénaire Filaret. C’était un métropolite (archevêque) légitime de Kiev dans l’église orthodoxe russe, mais il avait une grande ambition personnelle, il voulait devenir le patriarche, le pape de Moscou. Comme il n’avait pas pu satisfaire cette ambition, il avait quitté l’église mère, pour se déclarer lui-même patriarche de Kiev, à la tête d’une nouvelle église orthodoxe ukrainienne (KP). Moscou le défroqua et le déclara hors-la-loi, et toutes les églises orthodoxes suivirent Moscou. Son organisation, plutôt réduite, devint la base de la nouvelle église orthodoxe ukrainienne, mais c’était un personnage trop controversé aux yeux de Bartolomé, pour se faire nommer comme le chef de celle-ci. On parvint à un compromis, provisoirement. Filaret serait le chef de la nouvelle église en tout, sauf en titre. L’évêque Epiphanius allait devenir le primat en titre, le personnage visible, nominalement, de la nouvelle église, et cette nouvelle église serait pleinement indépendante. Il était là, le grand succès de Petro Poroshenko, le roi du chocolat et président de l’Ukraine. Et ce fut bien là sa seule réussite, à moins de tenir compte de ses triomphes négatifs. Son nationalisme déchaîné, son animosité envers la Russie, la guerre interminable à l’Est de l’Ukraine, la reddition devant le FMI, l’ouverture des marchés à l’Europe et la fermeture des marchés russes, l’ont fait détester par les Ukrainiens appauvris, et il a misérablement perdu les élections présidentielles le 21 avril 2019, laissant la place à Vladimir Zelensky, un jeune comédien. Aussitôt après, l’église qu’il avait instaurée s’est effondrée.

L’évêque (ou patriarche, si vous préférez) Filaret a dit qu’on l’avait trompé. Il croyait qu’il allait être de fait le chef de l’église, mais il n’avait pas la moindre influence dans la nouvelle structure. L’homme dont il croyait qu’il serait le chef pour la galerie, l’évêque Epiphanius, refusait de partager le pouvoir avec le vieil homme.

Et surtout, le Tomos n’avait pas rendu la nouvelle église ukrainienne indépendante, malgré son titre d’ « autocéphale », elle s’était retrouvée soumise à Constantinople. Comme je l’avais prédit, les Ukrainiens n’ont aucune chance de devenir pleinement indépendants. Le régime de Kiev pouvait se passer de Moscou, mais il se retrouva soumis à l’Occident. Ses finances sont supervisées par le FMI, son armée par l’OTAN, sa politique extérieure par le Département d’Etat US. Une indépendance réelle, c’était un mirage, hors d’atteinte de l’Ukraine. Et en matière d’église, les Ukrainiens ne pouvaient que se retrouver subordonnés à Moscou ou à Istanbul, le même choix devant lequel s’étaient trouvés leurs aïeux quatre siècles auparavant. Moscou, avec tous ses torts, avait moins d’exigences envers les évêques ukrainiens. Les Russes ne demandent pas de tribut, et peuvent être secourables. Constantinople, non. Le patriarche Bartolomé exigea de recevoir 4 000 euros par église et par mois. C’est beaucoup, pour des Ukrainiens pauvres.

Filaret déclara le Tomos caduc, la nouvelle église une fiction, et annonça qu’il restait le patriarche du patriarcat de Kiev. Bartolomé déclara que le patriarcat de Kiev, ça n’existe pas, et que ça n’avait jamais existé. Bref, les Ukrainiens et les Grecs tentèrent de ruser l’un avec l’autre, mais Dieu est encore plus roublard. Un prêtre ukrainien a résumé les menées de l’église ukrainienne dans un post succinct qui a été repris des milliers de fois :

Filaret, Epiphanius et Poroshenko s’étaient mis d’accord pour tromper Bartolomé, s’agissant d’obtenir l’autocéphalie pour une église dans laquelle Filaret règnerait tandis qu’Epiphanius serait l’homme de paille. Bartolomé, en échange, les avait trompés tous les trois, en conférant le Tomos en des termes tels qu’il ne restait plus de l’autocéphalie promise que le nom. Poroshenko avait trompé Siméon (l’évêque du patriarcat de Moscou), en lui promettant la primauté dans la nouvelle structure. Siméon avait trompé ses propres fidèles, en promettant de ne pas partir ailleurs. Les dix évêques mythiques du patriarcat de Moscou avaient trompé Siméon en étant absents lors du synode de l’église à Sophia. Le synode de Sophia avait trompé les Grecs en élisant une personne douteuse, qui n’était même pas un vrai prêtre, comme primat. La société civile avait trompé l’église, en criant sur les toits que tous les Ukrainiens se précipiteraient dans ses rangs aussitôt. La nouvelle église avait trompé les attentes de la société civile, en montrant que même avec le soutien de l’Etat,elle n’ était tout simplement pas à la hauteur d’un patriarcat. Le Phanar trompa l’église ukrainienne en lui promettant qu’elle serait reconnue par les autres églises ; les autres églises ont trompé les attentes du Phanar, en refusant de reconnaître l’église ukrainienne. Et maintenant, Filaret prétend qu’il a été trompé par Poroshenko et par Epiphanius, alors qu’ils étaient justement en train de monter des plans ensemble pour tromper Bartolomé.

La suite ? Filaret est un homme d’église expérimenté et très fin, un maître de l’intrigue, et je ne parierais pas contre lui. En attendant, toute idée de mener l’église d’Ukraine à la rupture avec l’église de Moscou semble s’être effondrée. Quels que soient les projets du bureau de la CIA en matière de religions, ils n’avaient probablement pas escompté un tel niveau de tromperies mutuelles. Les Ukrainiens seraient capables de tromper le diable lui-même, disent-ils.

La politique de l’église, ce n’est pas seulement, ou pas d’abord, les intrigues. Cet article a été écrit comme un résultat de la conférence de Rome, où j’ai écouté les points de vue et opinions de prêtres, d’évêques et de journalistes. Tous, ils étaient intéressants et éclairants, et je suis particulièrement reconnaissant envers E. Michael Jones, l’écrivain américain indomptable et catholique qui nous a rappelé que « les chrétiens, qu’ils soient américains, européens, ukrainiens ou russes ont un point de départ commun, qui est le Logos. La division entre nous a été causée par des forces anti-chrétiennes, par les juifs et les néo-cons qui veulent détruire l’Église ». Si nous gardons cela en mémoire, nous parviendrons sûrement à surmonter tous nos différends.

Israël Adam Shamir

 

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5 Commentaires

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  • #2248378
    Le 28 juillet 2019 à 15:50 par Snayche
    L’Ukraine et l’Église politique

    "Quels que soient les projets du bureau de la CIA en matière de religions, ils n’avaient probablement pas escompté un tel niveau de tromperies mutuelles."
    C’est aussi car la CIA n’a plus le niveau démoniaque suffisant, en ce début de nouveau millénaire ayant connecté la planète par internet, et donc dénoncé la nocivité de l’empire états-unien s’écroulant désormais, et ainsi commencé à parvenir à un haut niveau spirituel qui s’amplifiera tôt ou tard.

     

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  • #2248418
    Le 28 juillet 2019 à 16:48 par Shakunetsu_hadoken
    L’Ukraine et l’Église politique

    En Ukraine, il y a deux regions peuplees par des Serbes, dont la region d’ou provenait Huirem, celle qui a detruit l’empire Ottoman. Il n’y a donc rien de surprenant a ce que encore aujourd’hui, ces regions soient peuplees des plus malins et des plus indomptables. Enfin, (suivez mon regard) encore faut-il voir la poutre que l’on a dans son oeil avant de voir la paille dans celle de son voisin.
    La C.I.A. aime a voir les defauts des autres, sans jamais remettre en question leurs propres defauts...

    https://www.youtube.com/watch?v=_BN...

    As-tu deja danse avec le diable au clair de lune ? (dans le Batman de Tim Burton)

    La Turquie a etee envoyee par les Anglais pour detruire la partie orientale de l’Europe, en leur soulignant bien qu’ils ne devaient pas s’occuper de l’occident, les Anglais allaient s’en occuper eux-memes.

     

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  • #2248422
    Le 28 juillet 2019 à 16:55 par Bakloe
    L’Ukraine et l’Église politique

    séparer la Russie de sa sœur l’Ukraine



    Je présume qu’Isaac Shamir fait allusion à la période tsariste précédant les crimes "bolchéviques" de l’holodomor dont les commémorations sont interdites par l’ADL, Anti-Defamation League au motif qu’elles entreraient en compétition avec la shoah, voir à ce sujet le documentaire de Yoav Shamir "defamation" réalisé en 2009.

     

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  • #2248540
    Le 28 juillet 2019 à 19:51 par Maubourguet
    L’Ukraine et l’Église politique

    Il est toujours très enrichissant de lire les écrits de Monsieur Israël Adam Shamir. Merci à lui pour la qualité de son travail, et à E&R pour la mise à disposition.

     

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