Résumé :
« Dans la frénésie qui a saisi l’esprit humain et qui a conduit à l’éviction du beau et du grand par le fantastique et l’extravagant, la musique, pas plus que les autres arts, n’a été épargnée. »
Le grand art lyrique français fut fondé par Lully sous Louis XIV et Rameau sous Louis XV, avant d’être élevé à des sommets par Gluck, Sacchini, Piccinni ou Grétry sous Louis XVI.
Il culmine sous la Révolution et l’Empire, avec de grands compositeurs comme Lesueur, Cherubini, Méhul, Catel, Spontini, ou Boieldieu : « La musique s’était élevée à une hauteur qui en fit, à défaut de la littérature découragée, une des gloires de ces temps [1] », nous dit Baudelaire.
Spontini, l’Olympe de l’Art lyrique (années 1800-années 1820)
Dans les remous artistiques du XIXe siècle, Gaspare Spontini se veut le disciple de Gluck et le dernier grand représentant de cet opéra classique, jusqu’à la passion – comme Ingres pour la peinture néo-classique par ailleurs.
Venu d’Italie, il connaît le succès dans la France napoléonienne qui l’adopte, puis sous Louis XVIII avant d’aller diriger la musique du roi de Prusse (1820-1842). Il domine alors le monde de l’opéra par une musique noble, grandiose et pathétique, qui est largement admirée en Europe.
À Berlin, il dirige en chef napoléonien, avec une foi sincère dans son art, au point de se raidir dans une attitude de fier isolement [2] face aux nouveautés musicales (rossinisme et romantisme) qu’il mettait en parallèle des bouleversements politiques de l’époque [3].
Se sentant exilé à Berlin et persécuté par la critique allemande [4], se plaignant de « l’influence des juifs [5] », à savoir Mendelssohn et surtout Meyerbeer, Spontini est finalement évincé de son poste auprès du roi de Prusse en 1842 puis revient en France avant de mourir en Italie en 1851.
L’ouverture de La Vestale, de Spontini :
Rossini, le Triomphe de la Vulgarité (années 1810-années 1820)
Dans la France post-napoléonienne, Gioacchino Rossini remporte un succès fulgurant, par une musique sensuelle et distractive, où c’est désormais le public qui donne le ton [6].
Beethoven a vu sa musique comme celle d’un « bousilleur [7] », Ingres et Berlioz comme celle « d’un malhonnête homme » méprisant l’expression dramatique à l’inverse de Gluck et de Spontini [8]. Berlioz, qui adorait ces deux maîtres, confie même avoir envisagé, dans sa jeunesse, de faire sauter le Théâtre italien un soir de représentation rossinienne [9].
La musique de Rossini a une influence considérable sur tout le XIXe siècle, mais, dès 1830, Rossini se retire précocement de la vie musicale devant les succès de l’Allemand Meyerbeer et du Français Halévy, tous deux juifs, ce qui lui fit dire au directeur de l’Opéra de Paris qu’il y reviendrait « quand les Juifs auront fini leur sabbat [10] ». Et il ne revint pas jusqu’à sa mort en 1868, car il était dépassé par son élève Meyerbeer, encore plus habile « à exploiter la nullité artistique du public [11] ». Celui-ci peut alors remplir un vide accentué par la mort précoce de compositeurs talentueux comme Weber (1826), Kuhlau (1832), Hérold (1833) et Bellini (1835).
L’ouverture de l’opéra Le Siège de Corinthe, de Rossini :
Meyerbeer, la Victoire de l’Aloi (années 1830-années 1860)
Giacomo Meyerbeer (né Jakob Liebmann Meyer Beer), issu d’une des plus riches familles berlinoises, s’impose à Paris, puis à Berlin, d’où il chasse Spontini de son poste en 1842. Spontini et ses disciples identifient alors en lui la bassesse et la marchandisation croissantes de la musique.
Spontini dénonce « ce juif aussi riche qu’intrigant [12] », ce « Cartouche de la musique », « dénué de tout sentiment pour le vrai et le sublime » et qui n’hésite pas à voler des morceaux aux autres [13]. Il pointe l’achat des applaudissements et des principaux théâtres d’Europe par des « spéculateurs mercenaires » flattant le goût de la multitude par amour du gain [14].
Berlioz reconnaît un certain talent à Meyerbeer mais critique aussi les intrigues de celui-ci pour promouvoir ses opéras (dîners, énormes dépenses...) [15], et parle même de « banque Meyerbeer [16] » à l’influence délétère sur tout le monde musical [17].
C’est pourquoi Wagner, à la même époque, fulmine contre la « judaïsation de l’art moderne », qu’il caractérise par la marchandisation du goût artistique et l’impossible création du beau [18].
Car Meyerbeer triomphe en Europe jusqu’à sa mort (1864), et aurait même payé pour faire valoir ses opéras au-delà [19] ; ses opéras sont désormais considérés comme caractéristiques du « grand opéra français », alors que Spontini, qui, lui, avait légué sa fortune à des œuvres charitables, est aujourd’hui largement ignoré.
L’ouverture de Robert le Diable, de Meyerbeer :
Malgré quelques fulgurances chez Auber, Berlioz ou Gounod, l’art lyrique ne s’en remettra pas en France, où la musique vulgaire d’Offenbach pourra s’imposer des années 1850 aux années 1870, et les compositeurs de fin de siècle (Saint-Saëns, Bizet, Massenet, Debussy) ne suffiront pas à le relever. Inutile de parler des massacres scéniques contemporains...
Le constat de Spontini, datant de 1836, s’applique plus que jamais : « Ma ferme et inaltérable conviction est que le drame lyrique a dégénéré en une corruption proche de la barbarie [20]. »