Un entretien paru dans le quotidien Présent du jeudi 13 juillet 2017. Propos recueillis par Louis Lorphelin.
Né en 1972, Lucien Cerise a une formation en sciences humaines et sociales, avec une spécialisation dans le langage et l’épistémologie. S’intéressant aux notions de frontière et de limite, aussi bien dans le champ politique que dans les domaines psychologique, éthique et comportemental, il se fait connaître en 2016 par son essai Neuro-pirates – Réflexions sur l’ingénierie sociale (éd. Kontre Kulture). Il nous revient pour analyser les dessous des cartes du conflit ukrainien avec Retour sur Maïdan, la guerre hybride de l’OTAN (éd. Le Retour aux Sources).
Comment définissez-vous le concept de « guerre hybride » ?
Selon les spécialistes, c’est la forme actuelle de la guerre, totale et sans limite, polymorphe, qui attaque sur tous les fronts en même temps et par tous les moyens concevables, en usant de forces militaires conventionnelles mais aussi non-conventionnelles, clandestines, paramilitaires, terroristes, ainsi que d’opérations psychologiques diffusées par les médias, de sanctions économiques et juridiques, le tout avec une certaine furtivité, sans que la guerre ait été clairement déclarée. Cela peut donner l’impression qu’elle n’existe pas, la figure de l’ennemi restant fuyante, souvent dissimulée derrière des forces de procuration recrutées dans la population civile, nationaux formant une cinquième colonne ou immigrés utilisés comme facteurs de déstabilisation. Le champ de bataille est extérieur et intérieur, objectif et subjectif, et déploie dans le réel et le virtuel des techniques d’ingénierie sociale visant à transformer les relations interpersonnelles et les identités pour les faire adhérer à des événements de masse préfabriqués comme les révolutions colorées, ou comme ce qu’il faudrait appeler une « élection colorée » dans le cas de la dernière présidentielle française.
Quels sont les indices qui vous ont interpellé et fait voir la main de Washington dans le soulèvement « populaire » du Maïdan ?
Déjà, en décembre 2013, on a eu un petit rappel des modes opératoires de la révolution orange de 2004, tenue au même endroit et dont on sait qu’elle n’avait rien de spontané, obéissant à des méthodes putschistes modernes théorisées à la CIA et dans ses cercles proches. Très vite, on a vu apparaître de nombreux soutiens au soulèvement venant du département d’État américain, des technocrates de l’UE et de l’OTAN, ainsi que d’une coalition d’extrême gauche et d’extrême droite atlantiste, paneuropéenne et antirusse, qui faisait penser à un avatar des réseaux Gladio et Stay Behind, ce qui m’a été confirmé par les recherches rassemblées dans ce livre.
Quel est selon vous l’agenda de l’OTAN en s’ingérant dans les affaires internes à l’Ukraine ?
Le secrétaire général de l’OTAN a fait plusieurs déclarations publiques où il revendique la notion de société ouverte, soutenue également par George Soros et sa fondation Open Society. Les piliers de la société ouverte que l’OTAN et Soros veulent propager en Ukraine sont les droits des minorités, la diversité, le LGBT et l’immigration extra-européenne, ceci afin de dissoudre ce pays dans le bloc euro-atlantiste et attaquer la Russie dans un deuxième temps au prétexte que Poutine serait homophobe, par exemple. Au-delà de l’Ukraine, l’agenda mondialiste de l’OTAN et de Soros consiste donc à éradiquer toute opposition à la société ouverte afin de poursuivre le Grand Jeu géopolitique, c’est-à-dire la conquête de tout le continent eurasiatique, Russie, Syrie, Iran, Chine, Corée du Nord, bref les pays qui ne sont pas encore totalement sous contrôle.
Quels sont les autres acteurs que vous avez identifiés en place sur l’échiquier ?
Le phénomène des oligarques juifs, ces hommes d’affaires qui se mêlent de politique, est central : Soros, Bernard-Henri Lévy, Igor Kolomoïski, Victor Pintchouk, Mikhaïl Khodorkovsky, la banque Rothschild, etc. Les réseaux djihadistes de l’OTAN (le Gladio B) ont été également lâchés sur l’Ukraine et coopèrent avec les nationalistes de la mouvance bandériste depuis les guerres de Tchétchénie.
L’accession à la Maison-Blanche de Donald Trump change-t-elle la donne ?
Oui. Donald Trump n’a pas été formaté par la pensée unique euro-atlantiste, LGBT et immigrationniste. Il rencontre sur certains points les milieux sionistes, néo-conservateurs et mondialistes, pour des raisons familiales notamment, mais il n’en est pas un pur produit car il a fait sa carrière ailleurs. Il a donc une marge de manœuvre par rapport à ces réseaux d’influence, tant intellectuellement que fonctionnellement. Steve Bannon a toujours ses entrées à la Maison-Blanche et évolue dans le premier cercle des conseillers du Président avec un programme isolationniste et de type paléo-conservateur.
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent de complotisme ?
Je les invite à lire ce livre et d’autres sur l’histoire des services secrets et des opérations clandestines et psychologiques. On peut trouver facilement en librairie de nombreux ouvrages sur la CIA, le Mossad, le MI-6, la DGSE, le KGB devenu FSB, etc. Quand on se plonge dans ces informations, on comprend que l’histoire n’est pas écrite par les peuples, ni même par les grands leaders politiques, mais par le complexe militaro-industriel, l’État profond et divers intérêts privés, mafieux ou légaux, parfois plus puissants que des États. Les complots, les stratagèmes, les cachoteries font partie de l’histoire universelle depuis au moins Sun-Tzu. Sur cette base, l’accusation de « complotisme » fait partie d’un arsenal de terrorisme intellectuel infantilisant, théorisé notamment par Sunstein et Vermeule, deux conseillers d’Obama, dans un article intitulé Conspiracy Theories, et visant à obliger à la confiance envers le pouvoir et à inhiber l’exercice de la pensée critique et du doute méthodique cartésien.
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