Le magistrat Charles Prats souligne que le gouvernement peut déjà déchoir de sa nationalité tout djihadiste français par simple décret. La réforme constitutionnelle pourrait donc paradoxalement aboutir à une situation beaucoup moins sévère que l’état actuel du droit.
Actuellement débattu à l’Assemblée nationale, le projet de loi sur la déchéance de nationalité divise de plus en plus les parlementaires. Charles Prats, magistrat et membre du Conseil supérieur de la formation et de la recherche (CSFRS), juge ce texte inutile et contre-productif. Inutile, car la déchéance de nationalité existe déjà dans le droit français. Contre-productif, parce que le nouveau texte rendra la peine bien plus compliquée à prononcer.
Le Figaro : Le Parlement examine, depuis vendredi, la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Pourquoi jugez-vous ce texte inutile, voire contre-productif ?
Charles Prats : Inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution ne semble pas nécessaire juridiquement parlant. En effet, tant la « déchéance » de nationalité que la « perte » de nationalité existent déjà dans le droit français. Ce sont les articles 25 et suivants du code civil, ainsi que les articles 23-7 et 23-8 du même code qui les prévoient. Cette possibilité existe dans le droit français depuis 1791. Il n’y a donc pas novation, juridiquement parlant. Au contraire, on pourrait paradoxalement aboutir à une situation nouvelle beaucoup moins sévère que l’état actuel du droit, voire empêcher concrètement de déchoir de la nationalité française des terroristes aujourd’hui poursuivis, alors qu’ils encourent actuellement cette sanction.
Comment cela ?
Le projet de loi constitutionnelle encadre plus restrictivement la déchéance de nationalité. Aujourd’hui, concrètement, l’article 25 du code civil énumère les différents cas où les bi-nationaux peuvent être déchus de la nationalité française : s’ils sont condamnés pour crime ou délit de terrorisme, d’atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ou encore s’ils se sont livrés au profit d’un état étranger à des actes incompatibles avec la qualité de français et préjudiciables aux intérêts de la France. Le projet de réforme constitutionnelle, s’il étend la déchéance à l’ensemble des Français, la restreint aux seules infractions pénales constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Et l’avant-projet de loi d’application qui circule modifie profondément le champ d’application de la déchéance de nationalité. En effet, le projet de futurs articles 25 du code civil et 131-18-1 du code pénal limite la future déchéance de nationalité aux seules atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation qualifiées de crimes ou de délits punis de 10 ans d’emprisonnement. Le champ d’application de la déchéance de nationalité serait donc bien plus restreint qu’aujourd’hui.