Notre sanglante actualité ne peut se comprendre que mise en perspective avec l’histoire officielle de la Seconde Guerre mondiale.
1 Le présent ne surgit pas de nulle part.
Il est de loin en loin dans l’histoire des moments de rupture où se jouent des choses décisives pour l’avenir. Ce sont des temps charnières, des articulations, des époques au sens où l’entendait Bossuet : on s’y arrête pour considérer, comme d’un sommet, tout ce qui est arrivé devant et après. Y remonter est le seul moyen qui s’offre à l’historien de jeter un tant soit peu de clarté sur les chaotiques évènements qui les ont précédés, car, dans l’obscurité de la lutte, une catastrophe, au sens d’un changement des formes, se préparait. Et surtout, la compréhension de pareilles époques permet de décrypter les événements qui les ont suivis, jusques et y compris, lorsqu’il s’agit d’une période de laquelle nous n’avons pas cessé de subir l’influence, les événements présents. Le moment de la Seconde Guerre mondiale est pour nous une époque de ce type.
2 La Seconde Guerre mondiale est comme cernée d’un rideau de flammes ; il est interdit d’y trop pénétrer, sous peine de s’y brûler, et quiconque s’en est approché d’un peu trop près en revient imprégné d’une odeur de soufre. Comment expliquer ce phénomène ?
Certes, l’histoire n’est pas une science neutre. Toutes les époques cruciales, qui marquent, comme les grandes batailles, le triomphe d’un parti, sont aussi son point le plus sensible, par où il est le plus fragile, et, par conséquent, si ce parti est toujours présent et qu’il domine, ce sont des époques dont l’étude par trop critique ou imprudente est dangereuse. Ce phénomène, qui explique qu’il n’y ait jamais d’histoire qui ne soit histoire officielle, a toujours été d’autant plus vif dans le cas des guerres civiles.
Mais ce n’est qu’une explication d’ordre général, qui ne nous éclaire pas sur ce que nous observons aujourd’hui. Car il était autrefois de règle, spécialement en cas de guerre civile, que les vainqueurs pardonnent, et ordonnent même l’oubli, par l’interdiction faite à quiconque de remuer les cendres du passé. Or, aujourd’hui c’est bien du contraire qu’il s’agit. Une culture de la mémoire entretien les traumatismes de la guerre civile. Une intolérante police mondiale de la pensée veille même religieusement sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Et l’on interdit à jamais le pardon et la paix.
3 La Seconde Guerre mondiale est bien le moment d’un tournant décisif, mais c’est un tournant d’un type spécial.
Cette guerre a marqué une profonde subversion de tout l’ordre international. Les conflits du XIXème siècle, et surtout la Première Guerre mondiale, sont les balbutiements et en quelque sorte les prémisses de l’enfantement du système actuellement dominant. Lors du procès de Nuremberg, le nouvel ordre mondial triomphe et apparaît pour la première fois au grand jour. L’ancien système reposait sur la guerre entre États et marginalisait la guerre civile. Ce système a été renversé au profit d’un nouveau système fondé au contraire sur la criminalisation de la guerre conventionnelle et sur l’apologie de la guerre civile globale. Et cela ne s’est pas produit du fait des Allemands. Ce sont bien les deux grands vainqueurs de cette guerre qui ont voulu lui donner la configuration d’une guerre civile mondiale. Les vainqueurs se sont alors enfermés dans une logique implacable. Derrière les « droits humains », derrière le pacifisme qui bannit la souveraineté et met la guerre hors-la-loi, se cachent les horreurs sans nom de la guerre civile.
4 Carl Schmitt avait dit dès les années Vingt que le libéralisme jouait de la polarité morale et économie.
Marxisme et libéralisme ont cela en commun. Les mesures de représailles économiques, les embargos et les blocus meurtrissent des populations entières, aussi la condamnation morale de l’ennemi leur est-elle indispensable. L’appel au soulèvement des populations civiles, les ordres donnés aux fonctionnaires et aux membres de tout l’appareil policier et militaire de désobéir, tout cela suppose l’ouverture d’un procès contre le chef d’État indocile dont le renversement violent est programmé. Et avec l’apologie, la provocation et la pratique directe de la « résistance », ou de la « rébellion modérée », dont le terrorisme n’est que le double obscur, ce chef d’État est nécessairement entraîné dans le cercle infernal d’une lutte dont le crime contre l’humanité est la qualification pénale. Quant à la défense qu’oppose cet État par une guerre conventionnelle, cela constitue un chef d’inculpation supplémentaire, en raison de la mise hors la loi de la guerre. Aux bombardements de villes et de villages, aux démantèlements des infrastructures, aux déportations en masse, aux assassinats et aux viols systématiques succèdent donc naturellement le procès.
5 Les horreurs commises ou provoquées par l’agresseur mondial le placent devant la nécessité d’user d’une propagande qui puisse stupéfier les masses.
Il s’agit d’apparaitre aux yeux de celles-ci comme le sauveur du genre humain, et de réduire leur ennemi à un monstre inhumain. Il faut réduire l’ennemi à une bête féroce, et si possible le conduire à en devenir une, sous peine de voir condamnée la manière dont on l’a traité. C’est Bardèche qui prophétise, peut-être mieux encore que Carl Schmitt, le rôle que jouent le droit et le procès dans cette guerre moderne. Bardèche met en question le procès de Nuremberg dans son principe même. Il voit bien quel système de domination a besoin, pour ses guerres, du modèle de Nuremberg. La profonde raison d’être de Nuremberg n’est pas tant la condamnation des Allemands que la justification des horreurs commises contre eux par les Alliés. Leur politique exigeait l’enclenchement d’un processus qui n’aurait d’autre issue qu’un procès de Nuremberg.
6 Par le procès de Nuremberg, les Alliés n’ont pas seulement fondé en droit leur guerre victorieuse contre les puissances de l’Axe.
Ils ont construit également l’arme de guerre psychologique valable pour toutes leurs entreprises futures. Nuremberg fonde le droit qu’ils ont eu, pour le passé, et qu’ils ont, pour le présent et l’avenir, de dominer le monde par la terreur. Nuremberg, par le voile noir qu’il jette sur la Seconde Guerre mondiale, moment de leur triomphe, est l’arme rêvée de leur hégémonisme. C’est ce qui donne au phénomène habituel de politisation de la science historique cette ampleur démesurée dans le cas de la Seconde Guerre mondiale. La reductio ad hitlerum, comme on dit, est indispensable au nouveau système international. Hitler doit continuer d’incarner le mal absolu. D’où cette « religion de la Shoah », défendue comme le saint des saints, dont Nuremberg est le livre sacré.