Disciple, comme Michel Villey, du grand Gabriel Le Bras, Pierre Legendre soutient en 1957 une thèse sur les rapports entre la théologie chrétienne et le droit romain. Professeur agrégé, il publie jusqu’en 1969 des écrits remarqués qui relèvent de l’histoire du droit.
Mais Legendre est en analyse avec Jacques Lacan. Son épouse est psychanalyste. Et en 1974, avec L’Amour du censeur, il inaugure la partie de son œuvre la plus connue du public. Il y fait le lien entre le droit et la discipline fondée par Freud. Un terrain périlleux sur lequel Jérôme Franck, aux États-Unis, s’était déjà risqué. Autant dire qu’il désarçonne ses confrères juristes. « Il aurait pu être un très grand historien du droit, me dira un jour le civiliste Philippe Malaurie, mais la psychanalyse lui a ruiné l’esprit. »
En 1988 il fonde avec Anton Schütz et Yan Thomas le Laboratoire européen pour l’étude de la filiation, dont le siège était rue Mahler à Paris. 1988, c’est l’année même où paraît un volume important de ses fameuses « Leçons » chez Fayard : Le Dossier occidental de la parenté, ouvrage rédigé en collaboration avec Marc Smith, Thomas et Schütz. Y figurent des textes du juriste romain Paul et de Pierre Damien, en édition bilingue, avec commentaires.
Étudiant, je suis abonné à la Revue trimestrielle de droit civil. Je parcours le numéro d’octobre-décembre 1990. Y est publié un bref article intitulé « Revisiter les fondations du droit civil ». Mon attention est attirée dès les premières lignes, par un style inhabituel – Thomas, qui avait fini par se fâcher avec lui, déplorera que « la langue du droit en vienne à troquer sa traditionnelle rigueur contre le style énigmatique » – mais surtout parce qu’il est question du « noyau du droit », de ses « agencements structuraux », et que l’article se termine sur le principe selon lequel la pensée a d’abord pour cadre la casuistique.
Je le rencontre, je suis ses conférences à l’École pratique des hautes études, de 1994 à 1998, sa dernière année d’enseignement. Comme à l’audition d’un oracle, nous ressortons de ses séances un peu hébétés. Seul le plus lointain avenir, dans la perspective duquel ce juriste se situait, nous dira si quelqu’un trouve la clé pour expliquer ses prophéties.