Note juridique pour comprendre la décision du Conseil constitutionnel
Peut-être faut-il reprendre les bases. Qu’est-ce qu’une constitution ? C’est un ordre de mission, un mandat, une procuration, un pouvoir, écrit ou non, donné par le constituant aux gouvernants pour commander les gouvernés.
Gouvernants et gouvernés
Les gouvernés. Quel que soit le système politique, le gouverné c’est toujours le peuple. Le peuple, pour prendre une image qui parlera au plus grand nombre, c’est un peu comme l’équipage sur un navire, le personnel d’une usine ou les habitants d’un immeuble.
Qu’en est-il des gouvernants ? Nos régimes séparent les pouvoirs en deux, entre législatif et exécutif.
Côté législatif nous avons le Parlement, qui fait les lois, sous le contrôle et la censure du Conseil constitutionnel — c’est ce que viennent de faire les neufs Sages, — et le Président de la République, qui exerce le pouvoir législatif en promulguant la loi — c’est ce que va faire Emmanuel Macron. Le législatif est comparable à un capitaine sur un navire, au président de société ou au conseil syndical dans une copropriété.
Côté exécutif nous avons, à sa tête, le Premier ministre. Par la loi le Président commande au Premier ministre, qui s’exécute, tout comme un capitaine commande au pilote du navire, un président du conseil d’administration commande au directeur général, ou un conseil syndical au syndic de copropriété.
Constituant et gouvernés
L’un et l’autre des gouvernants ne tiennent leur pouvoir sur les gouvernés que de leur maître, le constituant, que l’on peut comparer, pour filer la métaphore, à l’armateur ou aux armateurs du navire, aux actionnaires ou aux créanciers en cas de faillite, ou enfin aux copropriétaires de l’immeuble.
À partir de quoi il y a deux situations.
La démocratie repose sur l’idée que le peuple se donne à lui-même sa constitution. Il y a, en démocratie, identité du constituant et du peuple gouverné. Les matelots y sont armateurs, les ouvriers actionnaires et les copropriétaires habitants. La constitution émane du Peuple lui-même. C’est ce qu’énonce la Constitution du 4 octobre 1958 en son article deux, alinéa quatre :
Le principe de la République est gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
On dérive au contraire sur un tout autre régime lorsque ce n’est pas le peuple mais Dieu qui est constituant, c’est-à-dire qui a donné pouvoir à des gouvernants pour diriger un peuple. En ce cas, les matelots ne sont que matelots, les ouvriers simples ouvriers et les habitants de l’immeuble ne sont que locataires ou occupants sans droits ni titre.
Croire ou ne pas croire
Dans l’un ou l’autre cas, démocratie ou monarchie, la légitimité des gouvernants ne peut reposer que sur la foi du peuple.
Le Peuple, personne ne l’a jamais vu. Le Constituant ne peut jamais apparaître en personne. Parler au nom du Peuple revient au même que de parler au nom de Dieu. Ce n’est que prophétie, et la prophétie dépend toujours du prophète, de sa force de conviction personnelle (on sait qu’un vrai prophète traverse toujours des phases de doute ou de refus) et de la croyance du peuple.
Les gouvernés peuvent être conduits à comprendre ou à croire que les gouvernants agissent en réalité pour eux-mêmes, faisant passer leurs intérêts privés avant l’intérêt public, ou pour des intérêts, privés ou publics, étrangers à la Nation — ou à Dieu, si nous sommes en monarchie.
La véritable constitution peut alors se comprendre comme donnant aux gouvernants mission d’asservir et d’exploiter un peuple. Et le constituant réel donne l’ordre, sinon de redresser, comme les créanciers d’une entreprise en faillite le demandent à un administrateur judiciaire, de liquider le stock humain et de vendre à la découpe les ressources du territoire.
Un tel peuple est esclave. Rousseau estime que si l’esclave s’en satisfait, grand bien lui fasse. Mais s’il en souffre, en revanche, on ne saurait lui faire reproche de sa révolte, lorsqu’elle est possible :
un peuple conquis n’est tenu à rien du tout envers son maître, qu’à lui obéir autant qu’il y est forcé.
Damien Viguier
La décision du Conseil constitutionnel rendue à 18 heures le 14 avril 2023
Décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023
(Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023)
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, sous le n° 2023-849 DC, le 21 mars 2023, par la Première ministre. Il a également été saisi, le même jour, par Mme Marine LE PEN, M. Franck ALLISIO, Mme Bénédicte AUZANOT, MM. Philippe BALLARD, Christophe BARTHÈS, Romain BAUBRY, José BEAURAIN, Christophe BENTZ, Pierrick BERTELOOT, Bruno BILDE, Emmanuel BLAIRY, Frédéric BOCCALETTI, Jorys BOVET, Jérôme BUISSON, Frédéric CABROLIER, Victor CATTEAU, Sébastien CHENU, Roger CHUDEAU, Mmes Caroline COLOMBIER, Annick COUSIN, Nathalie DA CONCEICAO CARVALHO, MM. Grégoire de FOURNAS, Hervé de LÉPINAU, Jocelyn DESSIGNY, Mmes Edwige DIAZ, Sandrine DOGORSUCH, M. Nicolas DRAGON, Mme Christine ENGRAND, MM. Frédéric FALCON, Thibaut FRANÇOIS, Thierry FRAPPÉ, Mme Stéphanie GALZY, MM. Frank GILETTI, Yoann GILLET, Christian GIRARD, José GONZALEZ, Mmes Florence GOULET, Géraldine GRANGIER, MM. Daniel GRENON, Michel GUINIOT, Jordan GUITTON, Mme Marine HAMELET, MM. Joris HÉBRARD, Laurent JACOBELLI, Alexis JOLLY, Mmes Hélène LAPORTE, Laure LAVALETTE, Julie LECHANTEUX, Gisèle LELOUIS, Katiana LEVAVASSEUR, Christine LOIR, M. Aurélien LOPEZ-LIGUORI, Mme Marie-France LORHO, MM. Philippe LOTTIAUX, Alexandre LOUBET, Matthieu MARCHIO, Mme Michèle MARTINEZ, M. Bryan MASSON, Mme Alexandra MASSON, MM. Kévin MAUVIEUX, Nicolas MEIZONNET, Mmes Joëlle MÉLIN, Yaël MENACHE, MM. Thomas MÉNAGÉ, Pierre MEURIN, Mmes Mathilde PARIS, Caroline PARMENTIER, M. Kévin PFEFFER, Mmes Lisette POLLET, Angélique RANC, M. Julien RANCOULE, Mmes Laurence ROBERT-DEHAULT, Béatrice ROULLAUD, Anaïs SABATINI, MM. Alexandre SABATOU, Emeric SALMON, Philippe SCHRECK, Emmanuel TACHÉ de la PAGERIE, Jean-Philippe TANGUY, Michaël TAVERNE, Lionel TIVOLI et Antoine VILLEDIEU, députés. 2 Il a en outre été saisi, le 22 mars 2023, par Mmes Mathilde PANOT, Nadège ABOMANGOLI, MM. Laurent ALEXANDRE, Gabriel AMARD, Mmes Ségolène AMIOT, Farida AMRANI, M. Rodrigo ARENAS, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Christophe BEX, Carlos Martens BILONGO, Manuel BOMPARD, Idir BOUMERTIT, Louis BOYARD, Aymeric CARON, Sylvain CARRIÈRE, Florian CHAUCHE, Mme Sophia CHIKIROU, MM. Hadrien CLOUET, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Jean-François COULOMME, Mme Catherine COUTURIER, MM. Hendrik DAVI, Sébastien DELOGU, Mmes Alma DUFOUR, Karen ERODI, Martine ETIENNE, M. Emmanuel FERNANDES, Mmes Sylvie FERRER, Caroline FIAT, M. Perceval GAILLARD, Mmes Raquel GARRIDO, Clémence GUETTÉ, M. David GUIRAUD, Mmes Mathilde HIGNET, Rachel KEKE, MM. Andy KERBRAT, Bastien LACHAUD, Maxime LAISNEY, Arnaud LE GALL, Antoine LÉAUMENT, Mmes Élise LEBOUCHER, Charlotte LEDUC, M. Jérôme LEGAVRE, Mmes Sarah LEGRAIN, Murielle LEPVRAUD, Pascale MARTIN, Élisa MARTIN, MM. William MARTINET, Frédéric MATHIEU, Damien MAUDET, Mmes Marianne MAXIMI, Manon MEUNIER, M. Jean-Philippe NILOR, Mmes Danièle OBONO, Nathalie OZIOL, MM. François PIQUEMAL, Thomas PORTES, Loïc PRUD’HOMME, Jean-Hugues RATENON, Sébastien ROME, François RUFFIN, Aurélien SAINTOUL, Michel SALA, Mmes Danielle SIMONNET, Ersilia SOUDAIS, Anne STAMBACH-TERRENOIR, Andrée TAURINYA, M. Matthias TAVEL, Mme Aurélie TROUVÉ, MM. Paul VANNIER, Léo WALTER, René PILATO, Boris VALLAUD, Joël AVIRAGNET, Christian BAPTISTE, Mme Marie-Noëlle BATTISTEL, MM. Mickaël BOULOUX, Philippe BRUN, Elie CALIFER, Alain DAVID, Arthur DELAPORTE, Stéphane DELAUTRETTE, Inaki ECHANIZ, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Jérôme GUEDJ, Johnny HAJJAR, Mmes Chantal JOURDAN, Marietta KARAMANLI, Fatiha KELOUA HACHI, MM. Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Bertrand PETIT, Mmes Anna PIC, Christine PIRÈS BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mmes Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, M. Hervé SAULIGNAC, Mmes Mélanie THOMIN, Cécile UNTERMAIER, MM. Roger VICOT, André CHASSAIGNE, Moetai BROTHERSON, Jean-Victor CASTOR, Steve CHAILLOUX, Mmes Émeline K BIDI, Karine LEBON, MM. Tematai LE GAYIC, Frédéric MAILLOT, Marcellin NADEAU, Davy RIMANE, Jiovanny WILLIAM, Mmes Cyrielle CHATELAIN, Christine ARRIGHI, Delphine BATHO, M. Julien BAYOU, Mme Lisa BELLUCO, M. Charles FOURNIER, Mme Marie-Charlotte GARIN, MM. Jérémie IORDANOFF, Hubert JULIEN-LAFERRIÈRE, Mme Julie LAERNOES, M. Benjamin LUCAS, Mme Francesca PASQUINI, M. Sébastien PEYTAVIE, 3 Mme Marie POCHON, M. Jean-Claude RAUX, Mmes Sandra REGOL, Sandrine ROUSSEAU, Eva SAS, Sabrina SEBAIHI, M. Aurélien TACHÉ, Mme Sophie TAILLÉ-POLIAN, MM. Nicolas THIERRY, Bertrand PANCHER, Charles de COURSON, Mme Estelle YOUSSOUFFA, MM. Olivier SERVA, Stéphane LENORMAND, Jean-Félix ACQUAVIVA, Paul-André COLOMBANI et Paul MOLAC, députés. Il a enfin été saisi, le 23 mars 2023, par M. Patrick KANNER, Mme Viviane ARTIGALAS, MM. David ASSOULINE, Joël BIGOT, Mmes Florence BLATRIX CONTAT, Nicole BONNEFOY, MM. Denis BOUAD, Hussein BOURGI, Mme Isabelle BRIQUET, M. Rémi CARDON, Mme Marie-Arlette CARLOTTI, M. Yan CHANTREL, Mmes Catherine CONCONNE, Hélène CONWAY-MOURET, M. Thierry COZIC, Mme Marie-Pierre de la GONTRIE, MM. Gilbert-Luc DEVINAZ, Jérôme DURAIN, Vincent ÉBLÉ, Mme Frédérique ESPAGNAC, M. Rémi FÉRAUD, Mme Corinne FÉRET, M. Jean-Luc FICHET, Mme Martine FILLEUL, M. Hervé GILLÉ, Mme Laurence HARRIBEY, MM. JeanMichel HOULLEGATTE, Olivier JACQUIN, Mme Victoire JASMIN, MM. Éric JEANSANNETAS, Patrice JOLY, Bernard JOMIER, Mme Gisèle JOURDA, MM. Éric KERROUCHE, Jean-Yves LECONTE, Mme Annie LE HOUEROU, M. Jean-Jacques LOZACH, Mme Monique LUBIN, MM. Victorin LUREL, Jacques-Bernard MAGNER, Didier MARIE, Serge MÉRILLOU, Mme Michelle MEUNIER, M. Jean-Jacques MICHAU, Mme Marie-Pierre MONIER, MM. Franck MONTAUGÉ, Sébastien PLA, Mmes Émilienne POUMIROL, Angèle PRÉVILLE, MM. Claude RAYNAL, Christian REDON-SARRAZY, Mme Sylvie ROBERT, M. Gilbert ROGER, Mme Laurence ROSSIGNOL, MM. Lucien STANZIONE, Jean-Pierre SUEUR, Rachid TEMAL, Jean-Claude TISSOT, Jean-Marc TODESCHINI, Mickaël VALLET, André VALLINI, Mme Sabine VAN HEGHE, M. Yannick VAUGRENARD, Mmes Éliane ASSASSI, Cathy APOURCEAU-POLY, MM. Jérémy BACCHI, Éric BOCQUET, Mmes Céline BRULIN, Laurence COHEN, Cécile CUKIERMAN, M. Fabien GAY, Mme Michelle GRÉAUME, MM. Gérard LAHELLEC, Pierre LAURENT, Mme Marie-Noëlle LIENEMANN, MM. Pierre OUZOULIAS, Pascal SAVOLDELLI, Mme Marie-Claude VARAILLAS, MM. Guillaume GONTARD, Guy BENARROCHE, Daniel BREUILLER, Ronan DANTEC, Thomas DOSSUS, Jacques FERNIQUE, Joël LABBÉ, Mme Monique de MARCO, M. Paul Toussaint PARIGI, Mme Raymonde PONCET MONGE, M. Daniel SALMON et Mme Mélanie VOGEL, sénateurs.
Au vu des textes suivants :
– la Constitution ; – l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ; – la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ; – le code des pensions civiles et militaires de retraite ; – le code de la sécurité sociale ; – le code du travail ; – la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la sécurité sociale pour 2020 ; – le règlement de l’Assemblée nationale ; – le règlement du Sénat ; – l’avis du Haut conseil des finances publiques n° 2023-1 du 18 janvier 2023 relatif au projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ; – le règlement du 11 mars 2022 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution ;
Au vu des pièces suivantes :
– les observations de la présidente de la commission des affaires sociales du Sénat, enregistrées le 29 mars 2023 ; – les observations présentées à la demande du Conseil constitutionnel par la présidente de l’Assemblée nationale, enregistrées le 3 avril 2023 ; – les observations présentées à la demande du Conseil constitutionnel par le président du Sénat, enregistrées le même jour ; – les observations en réplique présentées par les sénateurs requérants, enregistrées le 5 avril 2023 ; – les observations du Gouvernement, enregistrées le 6 avril 2023 ;
Après avoir entendu :
– les députés représentant les auteurs de la troisième saisine ; – les sénateurs représentant les auteurs de la quatrième saisine ;
Et après avoir entendu les rapporteurs ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La Première ministre, les députés et les sénateurs requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
2. La Première ministre n’invoque aucun grief particulier à l’encontre de la loi déférée. Les députés et les sénateurs critiquent la procédure d’adoption de la loi. Les députés auteurs de la deuxième saisine en contestent également la sincérité. Les députés et les sénateurs requérants contestent en outre la place des articles 2 et 10 dans la loi déférée. Les députés auteurs de la troisième saisine contestent la conformité à la Constitution de certaines dispositions des articles 10 et 11 de la loi déférée. Les députés auteurs de la deuxième saisine et les sénateurs requérants contestent la place dans la loi déférée de l’article 3. Les députés auteurs de la troisième saisine et les sénateurs requérants contestent la place dans la loi déférée de certaines dispositions de l’article 17. Les députés auteurs de la deuxième saisine contestent la place dans la loi déférée de l’article 35.
– Sur la procédure d’adoption de la loi :
. En ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 47-1 de la Constitution :
– S’agissant du recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale :
3. Les députés et sénateurs requérants critiquent le choix du Gouvernement de recourir à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour procéder à une réforme des retraites.
4. À cet égard, ils soutiennent qu’il ressortirait des travaux préparatoires de la révision constitutionnelle de 1996 instituant les lois de financement de la sécurité sociale, ainsi que des textes organiques pris pour son application, que le recours à une loi de financement rectificative serait réservé à certaines situations d’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à la correction de déséquilibres financiers majeurs. Ils font valoir que ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce et soulignent l’impact financier minime des mesures prévues par la loi déférée sur les comptes de la sécurité sociale au titre de l’année 2023.
5. Ainsi, le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale aurait constitué selon eux un détournement de procédure dans le seul but de permettre au Gouvernement de bénéficier des conditions d’examen accéléré prévues à l’article 47-1 de la Constitution, alors qu’une réforme de cette nature aurait dû être examinée selon la procédure législative ordinaire.
6. Aux termes du dix-neuvième alinéa de l’article 34 de la Constitution : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Aux termes du premier alinéa de son article 47-1 : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique ».
7. L’article L.O. 111-3-9 du code de la sécurité sociale prévoit qu’une loi de financement rectificative a pour objet de modifier en cours d’année les dispositions obligatoires de la loi de financement de l’année. Les articles L.O. 111-3-10 et L.O. 111-3-11 du même code déterminent les dispositions qu’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale doit obligatoirement comporter. L’article L.O. 111-3-12 fixe, quant à lui, les catégories de dispositions facultatives relatives à l’année en cours qui peuvent figurer dans une telle loi. Ses deux premiers alinéas prévoient à cet égard que peuvent notamment y figurer les dispositions relatives à l’année en cours ayant un effet sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement et celles relatives à l’assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des cotisations et contributions affectées aux régimes obligatoires de base ou aux organismes concourant à leur financement.
8. Il ne ressort ni des termes des dispositions constitutionnelles et organiques précitées, ni au demeurant des travaux préparatoires des dispositions organiques en vigueur, que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale serait subordonné à d’autres conditions que celles résultant de ces dispositions, et notamment à des conditions qui tiendraient à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux.
9. Ainsi, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi d’une loi de financement rectificative de la sécurité sociale, il lui appartient seulement de s’assurer qu’elle comporte les dispositions relevant du domaine obligatoire et, pour celles de ses dispositions qui ne relèvent pas de ce domaine, de vérifier qu’elles se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale.
10. En l’espèce, d’une part, la loi déférée comprend, au titre des dispositions relevant du domaine obligatoire, l’article liminaire ainsi que les deux parties mentionnés à l’article L.O. 111-3-10 du code de la sécurité sociale et procède, en application de l’article L.O. 111-3-11 du même code, aux rectifications nécessaires des prévisions de recettes et des tableaux d’équilibre, des objectifs de dépenses et de leurs sous-objectifs et des objectifs en matière d’amortissement de la dette.
11. D’autre part, si les dispositions relatives à la réforme des retraites, qui ne relèvent pas de ce domaine obligatoire, auraient pu figurer dans une loi ordinaire, le choix qui a été fait à l’origine par le Gouvernement de les faire figurer au sein d’une loi de financement rectificative ne méconnaît, en lui-même, aucune exigence constitutionnelle. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur à cet égard, mais uniquement de s’assurer que ces dispositions se rattachent à l’une des catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale.
12. Dès lors, le grief tiré de ce que le législateur aurait irrégulièrement eu recours à une loi de financement rectificative de la sécurité sociale doit être écarté.
– S’agissant de la mise en œuvre des règles et délais d’examen prévus à l’article 47-1 de la Constitution :
13. Les sénateurs requérants soutiennent que les délais prévus à l’article 47-1 de la Constitution pour l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale ne sont pas applicables à la catégorie particulière des lois de financement rectificatives.
14. Rejoints par les députés, ils considèrent que, en tout état de cause, ces délais resserrés ne pouvaient être appliqués pour l’examen du texte
déféré, faute d’être justifiés en l’espèce par l’urgence de corriger un risque de déséquilibre des comptes de la sécurité sociale. Les députés auteurs de la troisième saisine et les sénateurs contestent en particulier la transmission, selon eux injustifiée, du projet de loi au Sénat dès l’expiration du délai d’examen de vingt jours imparti à l’Assemblée nationale par le deuxième alinéa de l’article 47-1 de la Constitution.
15. Aux termes de l’article 47-1 de la Constitution : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique.
« Si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours.
Il est ensuite procédé dans les conditions prévues à l’article 45.
« Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.
« Les délais prévus au présent article sont suspendus lorsque le Parlement n’est pas en session et, pour chaque assemblée, au cours des semaines où elle a décidé de ne pas tenir séance, conformément au deuxième alinéa de l’article 28 ».
16. L’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale prévoit : « Ont le caractère de loi de financement de la sécurité sociale : … 2° La loi de financement rectificative de la sécurité sociale a le caractère d’une loi ».
17. Il résulte du texte même de ces dispositions que les délais d’examen ainsi prévus sont applicables à la loi de financement de l’année comme aux lois de financement rectificatives, qui modifient en cours d’année les dispositions de cette dernière, et que l’urgence ne constitue pas une condition de leur mise en œuvre.
18. Dès lors, en saisissant le Sénat du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 une fois écoulé le délai de vingt jours imparti à l’Assemblée nationale pour se prononcer en première lecture, le Gouvernement s’est borné à faire application des règles particulières d’examen découlant de l’article 47-1 de la Constitution. Au demeurant, eu égard à l’état d’avancement de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale à l’issue de ce délai, la prolongation des débats devant cette chambre n’aurait pas permis l’adoption de ce texte.
19. Il résulte de tout ce qui précède qu’aucune exigence constitutionnelle n’a été méconnue lors de la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 47-1 de la Constitution.
. En ce qui concerne l’engagement de la responsabilité du Gouvernement :
20. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que la Première ministre ne pouvait, comme elle l’a fait, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote de l’ensemble du projet de loi lors de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, alors que les dispositions de l’article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale imposeraient, selon eux, un vote successif sur ses deux parties.
21. Selon le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution : « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session ». L’exercice de la prérogative ainsi conférée au Premier ministre n’est soumis à aucune autre condition que celles posées par ces dispositions. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’a pas modifié les conditions dans lesquelles la responsabilité du Gouvernement peut être engagée sur le vote d’une loi de finances ou d’une loi de financement de la sécurité sociale.
22. S’il résulte du paragraphe II de l’article L.O. 111-7-1 du code de la sécurité sociale que la partie du projet de loi de financement rectificative relative aux dépenses ne peut être mise en discussion avant l’adoption de la partie relative aux recettes et à l’équilibre général, le troisième alinéa de l’article 45 de la Constitution prévoit : « Le texte élaboré par la commission mixte peut être soumis par le Gouvernement pour approbation aux deux Assemblées. Aucun amendement n’est recevable sauf accord du Gouvernement ».
23. Dès lors, la Première ministre pouvait, au stade de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote de l’ensemble du projet de loi.
24. Il résulte de ce qui précède qu’aucune exigence constitutionnelle n’a été méconnue lors de la mise en œuvre de la procédure prévue par le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution.
. En ce qui concerne les griefs tirés de la méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire et du droit d’amendement :
25. Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi est l’expression de la volonté générale ». Aux termes du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ». Ces dispositions imposent le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
26. Selon le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution : « Les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement. Ce droit s’exerce en séance ou en commission selon les conditions fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique ».
27. Les règlements des assemblées parlementaires n’ayant pas en eux-mêmes valeur constitutionnelle, la seule méconnaissance des dispositions réglementaires invoquées ne saurait avoir pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution.
– S’agissant de la procédure suivie par l’Assemblée nationale pour sélectionner la motion visant à soumettre le projet de loi au référendum :
28. Les députés auteurs de la troisième saisine critiquent la procédure retenue par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale pour sélectionner la motion visant à soumettre le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 au référendum. Ils estiment en effet que, en l’absence de pondération appliquée à chaque motion au regard de son nombre de signataires, le recours à un tirage au sort a entraîné une rupture d’égalité entre les membres du Parlement de nature à porter atteinte à la clarté et à la sincérité du débat parlementaire et au libre exercice du mandat.
29. En application du premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, certains projets de loi peuvent être soumis au référendum par le Président de la République sur proposition conjointe des deux assemblées. Selon le premier alinéa de l’article 122 du règlement de l’Assemblée nationale, « Lors de la discussion d’un projet de loi portant sur un objet mentionné à l’article 11, alinéa 1, de la Constitution, il ne peut être présenté qu’une seule motion tendant à proposer de soumettre ce projet au référendum ».
30. En l’espèce, plusieurs motions ayant été déposées en vue de proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, la conférence des présidents a arrêté, en application du premier alinéa de l’article 49 du règlement de l’Assemblée nationale qui lui confie l’organisation de la discussion des textes, les modalités de sélection de la motion devant être présentée devant l’Assemblée nationale.
31. En prévoyant, comme il lui était loisible de le faire, de procéder à cette fin à un tirage au sortsans prévoir de pondération en fonction du nombre de signataires de chacune des motions, la conférence des présidents, qui a ainsi sélectionné l’une des motions déposées, n’a porté atteinte ni à la clarté et à la sincérité du débat parlementaire ni au libre exercice du mandat.
– S’agissant de l’opposition du Gouvernement à l’examen de certains sous-amendements non soumis à la commission saisie au fond :
32. Les sénateurs requérants reprochent au Gouvernement de s’être opposé à l’examen d’amendements qui n’avaient pas été préalablement soumis à la commission saisie au fond, alors que cette circonstance aurait résulté du refus de la présidente de cette commission de tenir une réunion à cette fin. Il en résulterait, selon eux, une atteinte au droit d’amendement des parlementaires.
33. Aux termes du deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution : « Après l’ouverture du débat, le Gouvernement peut s’opposer à l’examen de tout amendement qui n’a pas été antérieurement soumis à la commission ».
34. En application du deuxième alinéa de l’article 44 de la Constitution, le Gouvernement s’est opposé, après l’ouverture des débats, à l’examen de certains sous-amendements qui n’avaient pas été préalablement soumis à la commission saisie au fond. Ces sous-amendements avaient été déposés plusieurs jours après le dépôt des amendements sur lesquels ils portaient et peu de temps avant leur discussion, alors que la commission s’était réunie dans l’intervalle.
35. Dès lors, la circonstance que ces sous-amendements n’aient pas pu être défendus par leurs auteurs est insusceptible d’avoir porté, en l’espèce, une atteinte substantielle au droit d’amendement des parlementaires.
– S’agissant du recours au vote bloqué :
36. Les sénateurs requérants reprochent au Gouvernement d’avoir fait application de la procédure du vote bloqué. Il en résulterait une atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
37. Aux termes du troisième alinéa de l’article 44 de la Constitution : « Si le Gouvernement le demande, l’assemblée saisie se prononce par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement ».
38. En l’espèce, le recours par le Gouvernement à la procédure du vote bloqué n’a pas eu pour effet de faire obstacle à la discussion de chacune des dispositions du texte sur lequel il était demandé au Sénat de se prononcer par un seul vote.
39. Dès lors, le recours à cette procédure n’a pas porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
– S’agissant de la procédure de clôture des débats :
40. Les sénateurs requérants font valoir que le recours répété à la procédure de clôture des débats prévue par l’article 38 du règlement du Sénat aurait porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
41. Aux termes du premier alinéa de l’article 38 du règlement du Sénat : « Lorsqu’au moins deux orateurs d’avis contraire sont intervenus dans la discussion générale d’un texte, sauf application de l’article 29 ter, sur l’ensemble d’un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement, un article ou l’ensemble du texte en discussion, le président, un président de groupe ou le président de la commission saisie au fond peut proposer la clôture de ladite discussion ».
42. En l’espèce, il a été fait droit à six demandes de clôture au cours de la séance publique. Chacune de ces demandes a fait l’objet d’un débat dans des conditions ne méconnaissant pas les exigences de clarté et de sincérité des débats.
43. Ainsi, au demeurant, la première de ces demandes, qui portait sur les explications de vote sur les amendements de suppression de l’article 7 du projet de loi, n’a été formulée qu’au sixième jour des débats en séance publique et faisait suite à soixante-quatre prises de parole sur cet article, ainsi qu’à la défense de cinquante-cinq amendements de suppression.
44. Dès lors, le grief tiré de ce que les clôtures des débats auraient méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doit être écarté.
– S’agissant de l’examen en priorité de certains amendements :
45. Les sénateurs requérants font valoir que les demandes de priorité qui ont été formulées au cours de l’examen en séance publique du projet de loi avaient pour seul objet d’empêcher l’examen de nombreux amendements, en méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
46. Conformément au sixième alinéa de l’article 44 du règlement du Sénat, les demandes de priorité ou de réserve ont pour effet, en cas d’adoption, de modifier l’ordre de discussion des articles d’un texte ou des amendements. Lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité ou la réserve est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
47. Il ne peut être recouru à la priorité de discussion si celle-ci prive d’effet les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
48. Lors des débats en séance publique, il a été fait droit à plusieurs demandes de la commission saisie au fond d’examen en priorité d’amendements modifiant notamment la rédaction de l’article 7 du projet de loi.
49. En premier lieu, contrairement aux affirmations des sénateurs requérants, les dispositions de l’article 44 du règlement du Sénat permettent de déroger à l’ordre d’examen des amendements prévu par l’article 46 bis du même règlement selon lequel sont d’abord mis aux voix les amendements de suppression puis les autres amendements en commençant par ceux qui s’écartent le plus du texte proposé.
50. En second lieu, si l’application de ces dispositions a conduit à ce que mille trois cents amendements n’aient pas pu être présentés par leurs auteurs du fait de l’adoption des amendements appelés en priorité avec lesquels ils étaient incompatibles ou qui les ont rendus sans objet, cette circonstance n’a pas eu pour effet de porter une atteinte substantielle aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, eu égard au contenu des amendements, au stade de la procédure auquel la demande de priorité est intervenue et aux conditions générales du débat marqué par le dépôt d’un nombre exceptionnellement élevé d’amendements.
51. Dès lors, le grief tiré de ce que l’examen en priorité de certains amendements aurait méconnu les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doit être écarté.
– S’agissant de l’examen de la recevabilité des amendements :
52. Les sénateurs requérants font valoir que plusieurs milliers de leurs sous-amendements déposés sur l’article 7 du projet de loi auraient été déclarés irrecevables à tort ou sans examen approfondi par la commission saisie au fond, en méconnaissance du droit d’amendement et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
53. Aux termes du quatrième alinéa de l’article 44 bis du règlement du Sénat : « Sauf dispositions spécifiques les concernant, les sousamendements sont soumis aux mêmes règles de recevabilité et de discussion que les amendements. En outre, ils ne sont recevables que s’ils n’ont pas pour effet de contredire le sens des amendements auxquels ils s’appliquent ». Aux termes du neuvième alinéa du même article : « La commission saisie au fond, tout sénateur ou le Gouvernement peut soulever à tout moment de la discussion en séance publique, à l’encontre d’un ou plusieurs amendements, une exception d’irrecevabilité fondée sur le présent article. L’irrecevabilité est admise de droit et sans débat lorsqu’elle est affirmée par la commission au fond ».
54. Il résulte de l’instruction que les décisions d’irrecevabilité opposées à certains sous-amendements ont été prononcées soit parce qu’ils contredisaient l’amendement auquel ils se rapportaient ou qu’ils ne s’appliquaient pas au texte visé, soit parce que leurs dispositions étaient contraires au principe d’égalité devant la loi.
55. En tout état de cause, les sénateurs requérants ne précisent ni le nombre ni l’objet des sous-amendements qui auraient été déclarés irrecevables à tort dans des conditions susceptibles de porter une atteinte substantielle à la clarté et à la sincérité du débat parlementaire, eu égard au contenu de ces amendements, au stade de la procédure auquel leur a été opposée l’irrecevabilité et aux conditions générales du débat.
56. Par conséquent, les griefs tirés de ce que l’examen de la recevabilité des amendements aurait méconnu le droit d’amendement et les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doivent être écartés.
57. Il résulte de tout ce qui précède que les griefs tirés de la méconnaissance du droit d’amendement et des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire doivent être écartés.
. En ce qui concerne les documents joints au projet de loi :
58. Les députés auteurs des deuxième et troisième saisines soutiennent que des éléments incomplets leur auraient été présentés sur les conséquences de la réforme et, en particulier, que certains ministres auraient délivré, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des informations erronées sur les montants de pension de retraite qui seront versés à certaines catégories d’assurés.
59. Les députés auteurs de la troisième saisine font par ailleurs valoir que le projet de loi n’aurait pas été accompagné de tous les documents exigés par l’article L.O. 111-4-3 du code de la sécurité sociale. Ils soutiennent également que l’évaluation préalable des articles du projet de loi n’aurait comporté aucune information relative aux économies par décile de revenus et par genre permises par le report de l’âge de départ à la retraite ni d’évaluation de l’incidence de ce report sur les dépenses sociales, sur le solde des administrations publiques, sur le chômage et sur l’attractivité de certaines professions. Ils allèguent en outre que le « rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites » aurait comporté des erreurs sur les effets économiques attendus de cette même réforme.
60. En premier lieu, l’article L.O. 111-4-2 du code de la sécurité sociale prévoit : « Le projet de loi de financement rectificative est accompagné d’un rapport décrivant, pour les quatre années à venir, les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base, par branche, les prévisions de recettes et de dépenses des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que l’objectif national de dépenses d’assurance maladie ».
61. L’article L.O. 111-4-3 du même code prévoit : « Sont jointes au projet de loi de financement rectificative des annexes :
« 1° Présentant des éléments d’information relatifs à l’équilibre des finances sociales, notamment :
« a) En détaillant, par catégorie et par branche, la liste et l’évaluation des recettes, des dépenses et du solde de l’ensemble des régimes obligatoires de base ainsi que de chaque organisme concourant au financement de ces régimes, à l’amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit ;
« b) En justifiant les besoins de trésorerie des régimes et organismes habilités par le projet de loi de financement rectificative à recourir à des ressources non permanentes ;
« c) En détaillant l’effet des mesures du projet de loi de financement rectificative ainsi que des mesures réglementaires ou conventionnelles prises en compte par ce projet sur les comptes des régimes obligatoires de base ainsi que sur l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, au titre de l’année en cours et, le cas échéant, des années ultérieures ;
« 2° Précisant, si le projet de loi de financement rectificative prévoit une modification de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, le périmètre de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie et sa composition en sous-objectifs … ;
« 3° Comportant, pour les dispositions relevant de l’article LO 111-3-12, les documents mentionnés aux dix derniers alinéas de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ».
62. D’une part, le projet de loi dont est issue la loi déférée était accompagné de l’ensemble des documents exigés par les articles L.O. 111- 4-2 et L.O. 111-4-3 du code de la sécurité sociale. Il était ainsi accompagné, en annexe, d’un rapport décrivant, pour les quatre années à venir, les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base, par branche, les prévisions de recettes et de dépenses des organismes concourant au financement de ces régimes ainsi que des annexes exigées par les 1° et 3° de l’article L.O. 111-4-3. Par ailleurs, en l’absence de modification de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, le projet de loi n’avait pas à être accompagné de l’annexe exigée au 2° de l’article L.O. 111-4-3.
63. D’autre part, l’annexe exigée par le 3° de l’article L.O. 111-4- 3 traitait de l’ensemble des questions énumérées aux dix derniers alinéas de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 mentionnée ci-dessus.
64. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l’instruction que le « rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites » que le Gouvernement a choisi de joindre au projet de loi dont est issue la loi déférée aurait comporté des erreurs sur les effets économiques attendus de cette même réforme de nature à affecter la clarté et la sincérité des débats.
65. En dernier lieu, la circonstance que certains ministres auraient délivré, lors de leurs interventions à l’Assemblée nationale et dans les médias, des estimations initialement erronées sur le montant des pensions de retraite qui seront versées à certaines catégories d’assurés, est sans incidence sur la procédure d’adoption de la loi déférée dès lors que ces estimations ont pu être débattues.
. En ce qui concerne l’application cumulative de plusieurs procédures prévues par la Constitution et les règlements des assemblées :
66. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que la mise en œuvre cumulative des dispositions de l’article 47-1 et du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution aurait constitué une entrave au bon déroulement du débat démocratique, et ce d’autant plus que les délais prévus à l’article 47-1 auraient incité certains députés à déposer un grand nombre d’amendements pour faire obstruction à la poursuite des débats et ainsi empêcher l’Assemblée nationale de se prononcer sur l’ensemble des dispositions du projet de loi.
67. Les députés auteurs de la troisième saisine, rejoints par les sénateurs requérants, font valoir que, si l’utilisation de chacune des procédures mises en œuvre en l’espèce afin d’accélérer l’adoption de la loi déférée pourrait être regardée comme conforme à la Constitution, leur usage cumulatif aurait eu pour effet de faire obstacle à ce que le droit d’amendement des parlementaires puisse s’exercer pleinement, en méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
68. D’une part, il résulte des termes mêmes de la première phrase du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution que le constituant a entendu permettre au Premier ministre d’engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale examiné dans les conditions prévues par son article 47-1. Il n’a, en outre, pas limité l’usage de cette faculté à un seul projet de loi de financement par session, comme il l’a fait pour d’autres projets ou propositions de loi.
69. D’autre part, la circonstance que plusieurs procédures prévues par la Constitution et par les règlements des assemblées aient été utilisées cumulativement pour accélérer l’examen de la loi déférée, n’est pas à elle seule de nature à rendre inconstitutionnel l’ensemble de la procédure législative ayant conduit à l’adoption de cette loi.
70. En l’espèce, si l’utilisation combinée des procédures mises en œuvre a revêtu un caractère inhabituel, en réponse aux conditions des débats, elle n’a pas eu pour effet de rendre la procédure législative contraire à la Constitution. Par conséquent, la loi déférée a été adoptée selon une procédure conforme à la Constitution.
– Sur la sincérité de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale :
71. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que la loi déférée méconnaîtrait le principe de sincérité et le dix-neuvième alinéa de l’article 34 de la Constitution. Au soutien de ces griefs, ils font valoir que l’avis rendu par le Haut conseil des finances publiques révèlerait l’intention du Gouvernement de fausser les grandes lignes de l’équilibre de la sécurité sociale et que le projet de loi n’aurait comporté aucune évaluation des conséquences du report de l’âge de départ à la retraite à « moyen terme ».
72. Aux termes de l’article L.O. 111-3-10 du code de la sécurité sociale, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale « comprend deux parties : … Une première partie correspondant à la partie de la loi de financement de l’année comprenant les dispositions relatives aux recettes et à l’équilibre général … Une seconde partie correspondant à la partie de la loi de financement de l’année comprenant les dispositions relatives aux dépenses ». En vertu de la première phrase du 2° de l’article L.O. 111-3-4 la loi de financement de la sécurité sociale de l’année détermine, pour l’année en cours, « de manière sincère, les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale compte tenu notamment des conditions économiques générales et de leur évolution prévisible ». Il en résulte que la sincérité de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale se caractérise par l’absence d’intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre qu’elle détermine pour l’année en cours.
73. En premier lieu, dans son avis rendu le 18 janvier 2023 mentionné ci-dessus sur le projet de loi dont est issue la loi déférée, le Haut conseil des finances publiques a considéré que la prévision de croissance de 1 % retenue par le projet de loi ne pouvait être exclue. Par ailleurs, s’il a estimé que la prévision d’inflation de 4,1 % était « un peu basse », il a au demeurant souligné que l’évolution des prix en 2023 « reste incertaine ». Enfin, si l’hypothèse d’une progression de la masse salariale lui est apparue « également faible », il a en tout état de cause souligné qu’en la matière, « les incertitudes demeurent fortes ». Ainsi, il ne ressort pas de l’avis du Haut conseil des finances publiques que les hypothèses économiques pour l’année 2023 sur lesquelles est fondée la loi déférée étaient entachées d’une intention de fausser les grandes lignes de son équilibre.
74. En second lieu, ainsi qu’il a été dit au paragraphe 62, le projet de loi était accompagné de l’ensemble des documents exigés par les articles L.O. 111-4-2 et L.O. 111-4-3 du code de la sécurité sociale et en particulier d’un rapport annexé décrivant, pour les quatre années à venir, les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses du régime par branche des régimes obligatoires de base, les prévisions de recettes et de dépenses des organismes concourant au financement de ces régimes. Il ne saurait par ailleurs être déduit une intention de fausser les grandes lignes de l’équilibre financier de la sécurité sociale de l’absence de production par le Gouvernement d’un document, non exigé par les dispositions organiques précitées, relatif aux effets à « moyen terme » de la réforme.
75. Dès lors, le grief tiré du défaut de sincérité de la loi déférée doit être écarté.
– Sur la place dans la loi déférée de l’article 2 :
76. L’article 2 de la loi déférée vise à instituer, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, la publication d’indicateurs relatifs à l’emploi des « seniors ».
77. Les députés auteurs des deuxième et troisième saisines et les sénateurs requérants estiment que ces dispositions n’ont pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
78. Le premier alinéa de l’article 47-1 de la Constitution dispose : « Le Parlement vote les projets de loi de financement de la sécurité sociale dans les conditions prévues par une loi organique ». Les articles L.O. 111-3-9 à L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale déterminent le contenu de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
79. L’article 2 se borne à prévoir, d’une part, que l’employeur poursuit un objectif d’amélioration de l’embauche et du maintien en activité des seniors et, d’autre part, que, dans les entreprises d’au moins trois cents salariés, l’employeur publie chaque année des indicateurs relatifs à l’emploi des seniors, selon des conditions prévues par décret, sous peine de se voir appliquer une pénalité prononcée dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État. Il précise également les conditions dans lesquelles des négociations portant sur les mesures d’amélioration de l’emploi des seniors doivent être engagées par l’employeur lorsqu’il constate une dégradation de ces indicateurs. Ces dispositions entrent en vigueur le 1er juillet 2024. Par dérogation, elles s’appliquent à compter du 1er novembre 2023 aux entreprises d’au moins mille salariés.
80. Ces dispositions n’ont, en 2023, pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution
– Sur la place dans la loi déférée de l’article 3 :
81. L’article 3 crée, à titre expérimental, un contrat de fin de carrière pour le recrutement des demandeurs d’emploi de longue durée âgés d’au moins soixante ans.
82. Les députés auteurs de la deuxième saisine et les sénateurs requérants estiment que ces dispositions n’ont pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
83. L’article 3 se borne à prévoir, d’une part, la possibilité pour les organisations d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel d’engager une négociation en vue de définir des mesures visant à favoriser l’emploi des seniors demandeurs d’emploi de longue durée et, d’autre part, en l’absence d’accord national interprofessionnel conclu avant le 31 août 2023, l’application à compter du 1er septembre 2023 d’un nouveau type de contrat de travail dont le domaine et les modalités devront être définis par une convention de branche ou un accord de branche étendu.
84. Ces dispositions n’ont, en 2023, pas d’effet ou un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution.
– Sur la place dans la loi déférée de l’article 10 et certaines de ses dispositions :
85. L’article 10 est relatif notamment au report de l’âge légal de départ à la retraite et à l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour l’obtention du taux plein. Il prévoit par ailleurs les conditions d’ouverture du droit au départ anticipé pour certains fonctionnaires.
86. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que cet article aurait un effet très limité sur les recettes et les dépenses des régimes obligatoires de base en 2023 et qu’il n’aurait donc pas sa place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Les sénateurs requérants contestent quant à eux la place dans une telle loi des dispositions des c, d et e du 3° de son paragraphe I, qui seraient inséparables du reste de l’article 10. Ces mêmes sénateurs, rejoints par les députés auteurs de la troisième saisine, contestent également la place des dispositions du 6° du paragraphe III de l’article 10 qui, selon eux, seraient inséparables des autres dispositions de la loi.
87. Les députés auteurs de la troisième saisine font par ailleurs valoir que, en reportant à soixante-quatre ans l’âge légal de départ à la retraite et en accélérant le calendrier de relèvement de la durée de cotisation, les dispositions de l’article 10 compromettraient la politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités et la sécurité matérielle des vieux travailleurs, en méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Selon eux, ces dispositions auraient en outre pour conséquence d’annuler les effets compensatoires des mesures destinées à corriger les inégalités entre les hommes et les femmes et seraient ainsi contraires au troisième alinéa du même préambule. Enfin, ils soutiennent que le report de l’âge légal de départ à la retraite aurait pour effet d’accroître la prévalence des situations de chômage et l’allongement des périodes de précarité des seniors, en méconnaissance de l’article 1er de la Constitution.
. En ce qui concerne la place de l’article 10 dans la loi de financement rectificative de la sécurité sociale :
88. Les dispositions du 6° du paragraphe III de l’article 10, qui insèrent au sein du code des pensions civiles et militaires de retraite un article L. 24 bis prévoyant que les services accomplis par un fonctionnaire dans un emploi classé en catégorie active ou super-active pendant les dix années précédant sa titularisation sont comptabilisés comme des services actifs ou super-actifs pour l’acquisition du droit au départ anticipé, ne sont applicables qu’aux services accomplis en qualité d’agents contractuels à compter de la publication de la loi déférée. Dès lors, ces dispositions n’ont pas d’effet sur les recettes ou les dépenses de l’année des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Par suite, ces dispositions, ainsi que, par voie de conséquence, celles du paragraphe XXVIII du même article 10, ne trouvent pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution. Ces dispositions sont séparables du reste de l’article 10 et des autres dispositions de la loi.
89. Le 3° du paragraphe I de cet article, qui est applicable aux pensions prenant effet à compter du 1er septembre 2023, est relatif au relèvement de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une retraite à taux plein pour les personnes nées à compter de 1961. Bien que les c, d et e de ce 3°, qui portent sur la durée d’assurance applicable aux personnes nées en 1963, 1964 et 1965, n’aient pas d’impact au titre de l’année 2023, ils sont inséparables du a et b du même 3°, qui ont, eux, un tel impact. Les autres dispositions de l’article 10 sont également applicables aux pensions prenant effet à compter du 1er septembre 2023, à l’exception des dispositions de ses paragraphes VIII, X, XIV et XV, qui entrent en vigueur deux mois après la promulgation de la loi déférée, et des dispositions de ses paragraphes VII et IX, applicables dès son entrée en vigueur. Elles ont donc une incidence sur les recettes et les dépenses de l’année en cours des régimes obligatoires de base. Dès lors, l’ensemble de ces dispositions trouvent leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Elles ont donc été adoptées selon une procédure conforme à la Constitution.
. En ce qui concerne certaines dispositions de l’article 10 :
90. En premier lieu, aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
91. L’exigence constitutionnelle résultant des dispositions précitées implique la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités. Il est cependant possible au législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées. En particulier, il peut à tout moment, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, modifier des textes antérieurs ou abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions. Il peut également adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité. Cependant, l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
92. Les dispositions contestées de l’article 10 modifient les premier et deuxième alinéas de l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale et les 2° à 6° de l’article L. 161-17-3 du même code afin de prévoir le report de l’âge légal de départ à la retraite de soixante-deux à soixantequatre ans ainsi que l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite à taux plein.
93. En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition et, ainsi, en garantir la pérennité. Il a notamment tenu compte de l’allongement de l’espérance de vie. Au nombre des mesures qu’il a prises figurent le report à soixante-quatre ans de l’âge légal de départ à la retraite tant pour les salariés du secteur privé que pour les agents du secteur public ainsi que l’accélération du calendrier de relèvement de la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une pension à taux plein. Le législateur a par ailleurs maintenu ou étendu des possibilités de retraite anticipée au bénéfice des personnes ayant eu des carrières longues, de celles ayant un taux d’incapacité de travail fixé par voie réglementaire ou encore des travailleurs handicapés. Il a en outre maintenu l’âge d’annulation de la décote à soixante-sept ans pour les salariés du secteur privé et institué un âge d’annulation de la décote dans la fonction publique. Ce faisant, il a pris des mesures qui ne sont pas inappropriées au regard de l’objectif qu’il s’est fixé et n’a pas privé de garanties légales les exigences constitutionnelles précitées.
94. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance des exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 doit être écarté.
95. En second lieu, les dispositions contestées de l’article 10 n’ont en elles-mêmes ni pour objet ni pour effet de supprimer le bénéfice de la majoration de la durée d’assurance de quatre trimestres attribuée aux femmes assurées sociales au titre de l’incidence sur leur vie professionnelle de la maternité, prévue à l’article L. 351-4 du code de la sécurité sociale.
96. Le grief tiré de la méconnaissance du troisième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ne peut donc qu’être écarté.
97. Par conséquent, les mots « soixante-quatre » et l’année « 1968 » figurant au premier alinéa de l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale et l’année « 1968 », la date « 1er septembre 1961 » et les mots « 1967, de manière croissante, à raison de trois mois par génération » figurant au deuxième alinéa du même article et la date « 31 août 1961 » figurant au 2° de l’article L. 161-17-3 du même code, la date « 1er septembre 1961 » et l’année « 1962 » figurant au 3° du même article, les mots « en 1963 » figurant à son 4°, les mots « en 1964 » figurant à son 5° et l’année « 1965 » figurant à son 6°, qui ne méconnaissent ni les exigences de l’article 1er de la Constitution ni aucune autre exigence constitutionnelle, ne sont pas contraires à la Constitution.
– Sur certaines dispositions de l’article 11 :
98. L’article 11 modifie notamment l’article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale relatif à la détermination de l’âge anticipé auquel certains assurés qui ont commencé à travailler à un jeune âge ont droit à la liquidation d’une pension de retraite.
99. Les députés auteurs de la troisième saisine font valoir que certains assurés ayant commencé à travailler à un jeune âge pourraient remplir la condition de durée de cotisation pour obtenir une pension de retraite à « taux plein » avant d’avoir atteint l’âge anticipé auquel ils ont droit à la liquidation de leur pension de retraite. Ils devraient alors continuer à cotiser jusqu’à ce qu’ils atteignent cet âge anticipé et cotiseraient ainsi plus longtemps que les autres assurés. Il en résulterait une méconnaissance du principe d’égalité.
100. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
101. L’article L. 351-1 du code de la sécurité sociale prévoit que l’assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l’assuré qui en demande la liquidation à partir de l’âge mentionné à l’article L. 161-17-2. Il prévoit également qu’une durée totale d’assurance est exigée pour obtenir une pension à taux plein. L’article L. 351-1-1 du même code prévoit que l’âge de départ à la retraite est abaissé pour les assurés qui ont commencé leur activité avant un certain âge.
102. Les dispositions contestées de l’article 11 modifient l’article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale. Elles prévoient que l’âge de départ à la retraite est abaissé pour les assurés qui ont commencé leur activité avant l’« un des quatre âges, dont le plus élevé ne peut excéder vingt et un ans », qui seront déterminés par décret. Elles prévoient également que la condition tenant à la durée totale d’assurance pour bénéficier du dispositif « ne peut être supérieure à la durée d’assurance » mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 351-1, laquelle est fixée à 172 trimestres pour les assurés nés à partir du 1er janvier 1965 et à 171 trimestres et moins pour les assurés nés avant cette date par l’article L. 161-17-3 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de l’article 10 de la loi déférée.
103. En premier lieu, les dispositions contestées abaissent l’âge de départ à la retraite des personnes qui ont commencé à travailler avant vingt et un ans et prévoient que leur durée d’assurance pour obtenir une pension de retraite à taux plein ne peut être fixée à une durée supérieure à celle applicable aux autres assurés. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet d’allonger la durée d’assurance des personnes qui ont commencé à travailler avant vingt et un ans au-delà de la durée totale d’assurance exigée des autres assurés.
104. En second lieu, si certains assurés bénéficiant de l’abaissement minimal de l’âge de leur départ à la retraite, qui n’ont pas encore atteint cet âge minimal, pourraient être conduits à continuer à cotiser au-delà de la durée d’assurance requise pour obtenir une pension à taux plein, cette circonstance, qui résulte de situations et de carrières individuelles, ne méconnaît pas le principe d’égalité, au regard de l’objet d’un système de retraite par répartition qui implique de fixer un âge minimal de départ à la retraite.
105. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
106. Par conséquent, les mots « un des quatre âges, dont le plus élevé ne peut excéder vingt et un ans » et les mots « qui ne peut être supérieure à la durée d’assurance mentionnée au deuxième alinéa du même article L. 351-1 » figurant à la première phrase de l’article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution.
– Sur la place dans la loi déférée de certaines dispositions de l’article 17 :
107. L’article 17 est relatif à la prévention et à la réparation de l’usure professionnelle.
108. Les députés auteurs de la troisième saisine soutiennent que les dispositions du 1° du paragraphe I de l’article 17 et celles de son paragraphe VI n’auraient pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Ces mêmes députés, rejoints par les sénateurs requérants, contestent en outre la place des dispositions du 7° du A du paragraphe III de cet article dans une telle loi.
109. Le 1° du paragraphe I de l’article 17 insère au sein du code de la sécurité sociale un article L. 221-1-5 prévoyant la création d’un fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle placé auprès de la commission des accidents du travail et des maladies professionnelles de la Caisse nationale de l’assurance maladie. Le paragraphe VI de cet article institue un fonds pour la prévention de l’usure professionnelle dans les établissements publics de santé, les centres d’accueil et de soins hospitaliers et les établissements sociaux et médico-sociaux publics.
110. Ces dispositions, qui entrent en vigueur dès 2023, prévoient que ces fonds sont alimentés chaque année par une dotation des régimes obligatoires de base d’assurance maladie, ont une incidence sur les dépenses de l’année en cours de ces régimes. Elles trouvent donc leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale et ont été adoptées selon une procédure conforme à la Constitution.
111. Le 7° du A du paragraphe III de l’article 17 insère au sein du code du travail un article L. 4624-2-1-1 permettant aux salariés exerçant ou ayant exercé des métiers ou des activités particulièrement exposés à certains facteurs de risques professionnels de bénéficier d’un suivi individuel spécifique, comprenant, entre le soixantième et le soixante et unième anniversaires, une visite médicale au cours de laquelle, si son état de santé le justifie, le salarié est informé de la possibilité d’être reconnu inapte au travail.
112. Ces dispositions n’ont pas d’effet ou un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution.
– Sur la place dans la loi déférée de l’article 35 :
113. L’article 35 fixe les prévisions des charges des organismes concourant au financement des régimes obligatoires de sécurité sociale pour l’année 2023. À ce titre, il fixe à 19,3 milliards d’euros les prévisions de charges du Fonds de solidarité vieillesse.
114. Les députés auteurs de la deuxième saisine soutiennent que ces dispositions n’auraient pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
115. Aux termes de l’article L.O. 111-3-5 du code de la sécurité sociale : « Dans sa partie comprenant les dispositions relatives aux dépenses pour l’année à venir, la loi de financement de l’année : 1° Fixe les charges prévisionnelles des organismes concourant au financement des régimes obligatoires de base ». Selon l’article L.O. 111-3-10 du même code : « la loi de financement rectificative comprend deux parties : … 2° Une seconde partie correspondant à la partie de la loi de financement de l’année comprenant les dispositions relatives aux dépenses ». Il en résulte que les dispositions de l’article 35 trouvent leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
– Sur la place d’autres dispositions dans la loi déférée :
116. Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions adoptées en méconnaissance de la règle de procédure prévue aux articles L.O. 111-3-9 à L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale qui déterminent le contenu de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.
117. L’article 6 apporte diverses modifications à l’organisation du recouvrement des cotisations sociales, dont l’objet est de tirer les conséquences de l’abrogation de dispositions issues de l’article 18 de la loi du 24 décembre 2019 mentionnée ci-dessus, dont l’entrée en vigueur devait intervenir le 1er janvier 2024.
118. L’article 27 instaure un dispositif d’information à destination des assurés sur le système de retraite par répartition.
119. Ces dispositions n’ont pas d’effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées à l’article L.O. 111-3-12 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires
– Sur les autres dispositions :
120. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. – Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 :
– l’article 2 ; – l’article 3 ; – l’article 6 ; – le 6° du paragraphe III et le paragraphe XXVIII de l’article 10 ; – le 7° du A du paragraphe III de l’article 17 ; – l’article 27.
Article 2. – Sont conformes à la Constitution les dispositions suivantes : – les mots « soixante-quatre » et l’année « 1968 » figurant au premier alinéa de l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale et l’année « 1968 », la date « 1er septembre 1961 » et les mots « 1967, de manière croissante, à raison de trois mois par génération » figurant au deuxième alinéa du même article, dans sa rédaction résultant de l’article 10 de la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 ;
– la date « 31 août 1961 » figurant au 2° de l’article L. 161-17-3 du même code, la date « 1er septembre 1961 » et l’année « 1962 » figurant au 3° du même article, les mots « en 1963 » figurant à son 4°, les mots « en 1964 » figurant à son 5° et l’année « 1965 » figurant à son 6°, dans sa rédaction résultant l’article 10 de la loi déférée ;
– les mots « un des quatre âges, dont le plus élevé ne peut excéder vingt et un ans » et les mots « qui ne peut être supérieure à la durée d’assurance mentionnée au deuxième alinéa du même article L. 351-1 » figurant à la première phrase de l’article L. 351-1-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction résultant de l’article 11 de la même loi.
Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 14 avril 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.
Rendu public le 14 avril 2023.