Hegel ne nie absolument pas que le Volksgeist soit la source authentique du droit. Mais pour lui, la solution dialectique se trouve dans la législation de l’État (alors que pour Savigny elle se trouve dans la science du droit), comme image de l’effectivité de la raison historique. Il ne dénie cependant pas à la science le rôle qui est le sien (d’être le siège de la « conscience de soi » la plus aboutie), d’autant que, comme on l’a dit, la science juridique, en Allemagne, participe de la législation dont elle élabore l’interprétation.
D’ailleurs, il est intéressant de connaître les raisons pour lesquelles Savigny refusait la codification, en ce qu’elle ne correspondait pas aux nécessités allemandes du temps (Vom Beruf unserer Zeit…). Damien Viguier les exposera sans doute dans les prochaines leçons. En fin de compte, même une fois que l’unification juridique sera réalisée (par l’adoption du BGB, Code civil allemand - 1900), l’esprit sera – contrairement à nous – tout sauf positiviste, laissant une vraie marge constructive à la science du droit.
Mais ce serait injuste de croire que la philosophie de Hegel est perchée dans les hautes sphères sans aucun contact avec le monde. Elle est, comme il le dit lui-même, une « appréhension de son temps en pensées » (d’où sa formule « c’est au crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol »). Et cela encore est très allemand. Ses Principes reflètent l’esprit de réforme prussien de l’époque qu’ils entendent soutenir, et où des savants comme le linguiste Wilhelm von Humboldt (fondateur de l’Université de Berlin que venait de rejoindre Hegel) étaient associés au gouvernement. Le projet de constitution présenté par le chancelier prince Hardenberg avant son départ (1819) était d’ailleurs assez hégélien, avec un pouvoir législatif représentant les trois divisions de la société civile.
Tout cela pour dire que si chez nous le cloisonnement des disciplines et la séparation entre savoir et pouvoir sont stricts, en Allemagne il en allait tout autrement (le fameux Savigny deviendra d’ailleurs ministre de la justice de la Prusse). Car l’idée, très intéressante, que l’on retrouve chez un grand nombre de ces savants allemands (juristes, linguistes, philosophes ou autres), c’est que la science permet à la société (civile et politique) de se connaître elle-même et que c’est par cette médiation intellectuelle que l’esprit du peuple vit dans le temps. [2/2]
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