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La grande métaphore

Dans la séquence politique que nous vivons présentement, les cartes sont rebattues à droite comme à gauche, les extrêmes se déplacent tandis que les tensions s’accentuent. Ce grand théâtre, qui pourrait paraître seulement ridicule, puise malheureusement sa source dans un système de croyances, sans cesse réinventé, générateur de guerre, de crimes et, en ce moment même, de génocide. Pour donner une image pervertie du réel, le pouvoir en propose une métaphore accessible à ce que Gustave Le Bon nommait « l’unité mentale des foules ».

 

Le mot métaphore vient du grec μεταφορά. Ce mot est constitué du préfixe méta, qui désigne ce qui est au-delà, où même ce qui englobe, et du mot phora qui désigne l’action de porter.

Audiard en donnait une définition plus chiadée.

 

 

Dans une interview réalisée en juin 2014, le professeur Robert Faurisson répondait, en anglais, aux questions de Gilad Atzmon et dressait ainsi une sorte de bilan de ses années de recherches en tant que révisionniste et des persécutions qu’il avait subies pour avoir maintenu mordicus une impressionnante intransigeance dans sa quête de l’exactitude. Lorsque Gilad Atzmon l’interroge sur l’étude du grec et du latin, Robert Faurisson souligne l’importance de la précision nécessaire lorsque l’on traduit des textes dans les langues anciennes. Et il s’appuie alors sur un exemple particulièrement intéressant (à partir de la 56e minute).

 

« Un jour, j’ai dû traduire une phrase [pour l’agrégation de lettres]. Cet homme est un vrai lion. Et je suppose que j’ai traduit par quelque chose comme : Hic vir verus leo est. J’ai récupéré ma copie, et dans la marge, j’ai vu quelque chose de terrible. Le professeur avait écrit : NS – Non-sens. Pas barbarisme, ni solécisme, etc. La pire erreur que l’on puisse faire : un non-sens. [...] Et je suis allé consulter la bonne traduction, et je n’oublierai jamais ce jour, car j’aurai dû écrire : Hic vir leo quidam est. Ce qui veut dire : Cet homme est une sorte de lion. Car dans la logique latine, c’est soit un homme, soit un lion. »

La métaphore, d’après le Littré, est « une figure par laquelle on transporte, pour ainsi dire, la signification propre d’un nom à une autre signification qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit ». La métaphore ne s’encombre pas de l’outil de comparaison (comme, pareil à, tel que ...) qui rend le transport sémantique visible, comme le mot quidam dans l’exemple cité plus haut. La métaphore est donc, sur le plan logique, un mensonge, dans l’intention d’amener à un sens autre, un sens figuré.

Elle est une sorte d’imitation du langage traditionnel qui s’appuie sur le symbole et la parabole. Le mot symbole, tiré du grec σύμβολον (súmbolon) désignait le tesson de poterie que l’on cassait en deux et qui prouvait, une fois les deux morceaux réunis, l’authenticité des deux personnes liées par un contrat. Les deux morceaux formaient une unité parfaite. Le symbole repose en effet sur le principe métaphysique suivant : « Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut. » Le symbole est le mode d’expression du sacré. On le retrouve dans toutes les civilisations, sous des formes différentes, et aux temps les plus reculés.

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Les triangles de la grotte Chauvet, en Ardèche, tracés il y a plus de 30 000 ans.

 

Le symbole contient une puissance évocatrice qui dépasse le langage. Il est à l’image de la graine qui contient en elle toute possibilité non manifestée. Lorsque l’arbre, issu de la graine, se développe et se déploie, les possibilités de sa manifestation s’amenuisent précisément au fur et à mesure de son déploiement dans l’espace. Ainsi, le chêne pluricentenaire est incontestablement supérieur en acte à la graine, mais inférieur en puissance.

Le langage symbolique de la révélation utilise souvent la parabole. Elle est une allégorie formée d’un corps et d’une âme. Un corps pour l’exemple tiré de la nature et de la vie quotidienne et concrète (le grain de sénevé, le fils prodigue…) et une âme qui est l’expérience spirituelle qui se dévoile en fonction des potentialités de chacun. La parabole est fertile, car elle se fonde sur une réalité naturelle qui est à l’image d’une réalité spirituelle. C’est un exemple frappant car concret, accessible, réel et authentique, qui permet de saisir une réalité supérieure, jusqu’à l’indicible.

La métaphore de la bête

Nous vivons dans une société métaphorique qui arrive maintenant au bout de son pouvoir allégorique. En s’épuisant, elle ne laisse plus visible qu’un mensonge béant. Et la simple logique permet de s’en rendre compte. Prenons un exemple frappant : l’analyse produite par Michel Clouscard du libéralisme libertaire. Dans la vidéo ci-dessous, Dominique Pagani, qui fut un proche de Michel Clouscard, revient sur l’héritage laissé par l’auteur de La Bête sauvage.

 

 

Clouscard reprend comme titre de son œuvre la métaphore employée par Hegel pour désigner la société civile livrée au marché, une société sans État. À ce sujet, Dominique Pagani a raison de bien distinguer État et appareil d’État. Ainsi, dans la société française telle qu’elle a été façonnée après Mai 68, ce n’est plus la bête sauvage qui menace et que l’État permet de contenir, mais la bête immonde dont l’appareil d’État permet de réprimer l’expression. Si l’on file la métaphore, ce même appareil d’État en vient, à bout de justification, à ouvrir une brèche par le bas dans son projet métaphorique en invoquant la « bête de l’événement ». Cette image utilisée par Emmanuel Macron en avril 2020 s’inscrit dans la série du dévoilement dont l’épisode Covid-19 a constitué incontestablement un saut qualitatif majeur. La presse s’empressa (c’est d’ailleurs son rôle premier, de se presser) de caractériser cette expression de « métaphore d’un moment historique aux conséquences profondes » [1]. Ce faisant, elle expliquait que la métaphore ne veut en fait rien dire, et que le signifiant initial, « bête de l’événement », aurait tout aussi bien pu être n’importe quelle autre expression.

La métaphore, et c’est là sa principale différence avec la parabole, ne produit pas un mouvement ascensionnel permettant de passer de la matière à l’esprit. Elle n’appartient pas au langage symbolique mais au langage profane et, partant, subit les limites du monde concret et dense, les lois de la matière, de la gravité. Lorsque le sens retombe, il faut le relancer sous une nouvelle forme. Les sociétés modernes passent donc d’un projet métaphorique à un autre, dont la forme change mais suit sans cesse la même trajectoire : la métaphore est lancée avec éclat et fracas, elle s’épuise et retombe. À chaque fois que l’on change de forme, on descend d’un degré dans l’espoir d’élévation de l’homme. Le droit divin, tel qu’il fut défini à partir du XVIe siècle, prend sa place à l’intérieur d’une séquence de descente progressive du sacré vers le profane. Ce droit n’était pas autre chose que la métaphore d’un pouvoir de plus en plus exclusivement tourné vers le matériel. Il conduisit presque naturellement aux droits de l’homme, que Marx identifie comme les droits du bourgeois, qui eux-mêmes se distinguent clairement des droits du reste de la société civile, ce que l’on perçoit dans l’expression « droits de l’homme et du citoyen ». Recherche du bonheur, de la liberté, de l’égalité, métaphore du peuple souverain, le système propose un équilibre avec l’allégorie de la droite et de la gauche, sans jamais prendre la peine – ou le risque – de définir par rapport à quel centre ces forces antagonistes s’articulent. D’où la possibilité de modifier cet équilibre, ce que fait le capitalisme lorsqu’il ouvre la quête d’égalité à ce que Clouscard désigne comme les nouveaux marchés : les femmes, les jeunes. Aujourd’hui, toutes les minorités, dès l’instant où elles parviennent à se constituer en groupe de pression ; pression exercée sur l’appareil d’État.

Déchirer le voile de la métaphore à un coût, qu’un personnage comme François Bégaudeau, pour prendre un exemple bien concret, préfère rejeter. Pour lui, le constat de Clouscard sur le libéralisme libertaire est « indu », non pas pour une question de logique interne au raisonnement, mais pour ce qu’il y a de risqué et de subversif à parvenir à un point de convergence avec Alain Soral.

 

 

Pendant qu’il s’imagine fermer héroïquement la trappe sur le mufle fiévreux de la bête immonde, il laisse grande ouverte la porte à la bête sauvage…

Du droit divin au droit du diable

Le droit divin conçu à la fin du Moyen Âge et surtout à l’époque moderne, c’est le droit que s’arroge le pouvoir de se détourner de Dieu, en son nom, pour plonger corps et âme dans l’administration du monde matériel. La fameuse distinction entre ce qui appartient à Dieu et ce qui appartient à César est comprise étrangement toujours de la même manière. Il ne s’agit donc plus d’un pouvoir sacré, à moins de parvenir à se convaincre que Versailles a été construit pour la gloire de Dieu…

Droit divin, droit de l’homme, droits humains, puis, dans la séquence actuelle, droits para-humains, qui mènent à l’infrahumain, pour terminer, de fait, avec les droits du diable, du néant, du non-être. La métaphore s’achève sur l’effondrement de l’être.

Au final, la barrière qui sépare le langage symbolique du langage métaphorique est la même que celle qui discrimine le témoignage de la croyance. Dans les périodes d’effondrement, les hommes se rendent compte qu’ils ne peuvent échapper à la question du spirituel. Or, le retour à la religion se fait malheureusement trop souvent dans sa forme la plus basse, c’est-à-dire à l’horizon métaphorique. Mais Dieu, puisqu’il s’agit bien au final de Lui, n’est pas une métaphore de la réalité ou du vrai, Il en est une expression symbolique, c’est-à-dire authentique, à tous les degrés. Et l’on ne peut connaître vraiment une chose que par ce qui nous est familier. Alors que la métaphore propose de passer du concret à l’imagé, ou d’une image à une autre image, le langage symbolique témoigne du fait que le matériel est englobé dans le spirituel.

Hyacinthe Maringot

 

Notes

[1] L’article du Monde est un modèle dans son genre : https://www.lemonde.fr/les-decodeur... arrivee-de-la-bete-de-l-apocalypse-comment-remonter-le-fil-de-cette-petite- phrase_6040469_4355770.html

Décryptage de la bête

 
 






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8 Commentaires

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  • #3530300
    Le 12 mai à 16:51 par Mr Houblon
    La grande métaphore

    Excellent article, c’est pas du JDD ou du Nouvel Obs !
    Ça cogite les méninges, ça brasse du neurone chez ER !
    Merci, camarade !

     

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  • #3530330
    Le 12 mai à 18:02 par Haute Patrie
    La grande métaphore

    nous sommes des fils et des filles des Grecs




    Difficile de ne pas éprouver une forte émotion en entendant ça.

    Lumière, Amour, révélation... Vérité. La Vérité est-elle autre chose que de la lumière, l’Amour est-il autre chose que la vérité de l’Homme ?

    Je viens à peine de comprendre que si le corps de Jésus était génétiquement juif, son esprit était génétiquement grec.
    En mourant et en ressuscitant sous d’autres traits, il a abandonné son enveloppe charnelle juive engendré dans la matrice de Marie dans laquelle le saint esprit l’a insufflé , mais son esprit grec n’est pas mort, il s’est réincarné dans un autre corps, puisqu’il ne se ressemblait pas, pour vivre en nous pour l’éternité (en tout cas pour bon moment).

    C’est peut-être un des enseignements de la mort et la résurrection de Jésus : Il n’est plus juif, puisqu’il a ressuscité dans un corps qui n’est pas né d’une juive !

    Putain trop contant d’avoir trouvé ça.

    D’ailleurs c’est peut-être aussi un enseignement pour les juifs : Ils doivent abandonner leur filiation juive et la Loi pour renaître dans l’esprit grec.

    PS : Je dis peut-être une bêtise, à pas taper hein, j’essaie juste de faire avancer le schmilblick...

     

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  • #3530335
    Le 12 mai à 18:15 par kantor
    La grande métaphore

    « Le symbole est le mode d’expression du sacré. On le retrouve dans toutes les civilisations, sous des formes différentes, et aux temps les plus reculés. » Vous ne croyez pas si bien dire...
    Vous prenez en exemple les triangles de la grotte Chauvet, en Ardèche, tracés il y a plus de 30 000 ans.
    Mais dans la grotte de Bruniquel, Tarn-et-Garonne, on a trouvé des traces d’activité humaine en milieu souterrain datant de 176 500 ans AP. Elle a été occupée par l’homme de Néandertal qui y a construit une structure composée de près de 400 morceaux de stalagmites juxtaposés, alignés et superposés, cela ressemble à un grand cercle...
    Ces structures constituent en l’état actuel des recherches (2017) la plus ancienne construction humaine connue au monde...
    En prenant la datation de la grotte de Bruniquel, moins 180 000 ans( on arrondit), et si on la compare avec celle de la grotte Chauvet, moins 30 000 ans ( entre la réalisation du triangle et la généralisation du smartphone). On réalise que la datation pour Bruniquel représente 6 fois la datation de Chauvet...(A coté de Bruniquel se trouve un château que les cinephiles reconaitrons...)

     

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  • #3530347
    Le 12 mai à 18:42 par jm
    La grande métaphore

    Petite remarque : dans google traduction,
    "Cet homme est un vrai lion." est traduit par "Hic vir verus leo est.". Ces logiciels ne connaissent pas la subtilité

     

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  • #3530352
    Le 12 mai à 18:52 par Bégaudeau tg !
    La grande métaphore

    Et comme l’explique Du Chazaud en endocrino-psychologie : l’esprit ne peut s’exprimer que par le corps et réciproquement, tout ce qui est glandulaire est psy et tout ce qui est psy est glandulaire, c’est ce qui scinde l’unité de l’être à venir - à partir du 4ème mois de grossesse etc.

    Or Bégaudeau manque de glandes ! au vu de sa prestation presque efféminée chez Morillot fasciné de tant de gestuelle : lui, parle de « classe dominante ».
    Il n’ira pas plus loin.
    Ils n’iront pas plus loin.
    Ils nieront, l’évidence. La vérité c’est leur talon d’Achille, leur limite, Soral.

     

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  • #3530366
    Le 12 mai à 19:25 par le look coco
    La grande métaphore

    Remarques, du plus au moins signifiant :
    - 1) la parabole propose une synthèse universelle accessible selon les moyens intellectuels et spirituels de chacun - les paraboles du Christ ;
    - 2) la métaphore propose une image verbale (expression, adage, maxime) ou graphique (rhétorique visuelle utilisée dans la pub), poétique ou humoristique (puisque décalée), anodine ou à portée historique, mais toujours matérialiste ;
    - 3) l’allégorie propose une idée interprétative de forme à partir d’un donné visuel ou intellectuel (abstraction), par exemple allégorie de la Liberté en une femme brandissant un drapeau ; all. de l’Amour avec un Cupidon et sa flèche etc. ;
    - 4) l’analogie se contente d’une correspondance formelle, visuelle et simplifiante, à visée pédagogique.

     

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  • #3530411
    Le 12 mai à 21:02 par armalitt
    La grande métaphore

    On a encore eu droit à une pépite avec cet entretien du sémillant Dominique Pagani. Merci Egalité &Réconciliation ! Un sacré personnage d’une érudition autant philosophique que linguistique. J’ai adoré entre autres la double définition du mot allemand Schuld désignant à la fois la dette et le péché et l’utilisation qu’en a fait Merkel pour mettre la Grèce à genoux.

     

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  • #3530428
    Le 12 mai à 22:06 par Albert
    La grande métaphore

    Michel Clouscard fût un grand bonhomme que pivot s’employa d’inviter face aux nouveaux philosophes, afin que dans la contradiction la plus crasse ils puissent trouver les éléments nécessaires donnant corps a leurs personnages, ceux d’intellectuels en manque d’intelligence n’existant que par celles des autre

    Il n’y a plus de luttes des classes, car il n’y a plus de classe, advient une société de déclassés réduis aux status d’individus

    Ceux ci forment le dernier stock devant être gérer, et l’IA s’en acquittera très bien
    l’IA est une forme d’ontologie, l’ontologie post métaphysique , représentée par un ensemble structuré de concepts permettant de donner un sens aux informations
    Que fait l’IA si ce n’est de transmuter l’homme en une série de données chiffrées ?

    Le sens par le concept , vous rendez vous compte que la nature de l’homme va se definir par l’abstraction l’opération ( modus operandi) etant de simplifier un concret complexe
    Les vaches ont toutes un carton fixé à l’oreille, nous connaissons tous leurs devenir

     

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