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Entretien avec Nicolas Fabre – Le retour à la terre : mythe ou réalité ?

Note de la Rédaction

E&R remet en avant cet entretien de 2016 dans le cadre de la conférence de Nicolas Fabre ce samedi 11 mars 2017 à Grenoble.

Pratiquant la permaculture depuis plus de dix ans, Nicolas Fabre fut l’un de ces jeunes citadins qui aurait pu continuer une vie sans véritable souci, oubliant dans la fête, la fumée ou l’alcool, le vide de son existence. Pour lui, tout quitter et partir, c’était ne rien quitter en réalité, c’était pouvoir, en se confrontant à la nature, se confronter à lui-même, tirer sa subsistance de son seul travail, apprendre durement parfois ce que des générations d’hommes ont pratiqué avec succès, tout en découvrant des techniques nouvelles ; c’était s’enraciner dans une terre pour vivre enfin debout.

 

 

Rébellion : Quelle est l’origine de votre retour à la terre ? Pensez-vous que cela soit possible pour n’importe qui ?

Je suis un enfant du monde urbain, parents bobos, milieu bobo, j’étais destiné à devenir comme eux. C’est précisément parce que ces gens vivent aussi en vase clos qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils développent certains de leurs traits jusqu’à la caricature. C’est cette caricature qui m’a rendu ce milieu insupportable.

J’ai donc commencé par une période un peu vagabonde où j’ai rejeté la société dans son ensemble avec violence. C’est au cours de ces années de rébellion adolescente que j’ai fréquenté le milieu des punks à chiens et autres individus en dérive physique et morale.

Il m’aura fallu passer par cette forme de contestation « gauchisante » et stérile pour comprendre que mon refus de la société moderne ne devait pas forcément s’exprimer par la destruction et le rejet. Au contraire, il fallait que mon refus s’accompagne d’une construction, aussi élémentaire soit elle. Je me suis donc intéressé, avec mon frère, aux thématiques liées à l’agriculture et au monde rural en général. Ce fut le début d’une aventure dans laquelle je me trouve toujours embarqué dix ans plus tard.

En ce qui concerne votre deuxième question, j’aimerais vous répondre par un « oui » catégorique. Je ne peux que souhaiter aux gens appartenant à mon peuple de retourner vers un mode de vie plus sain. Malheureusement, la réalité est souvent bien éloignée de nos fantasmes. Le monde rural est un monde plus authentique mais aussi plus dur. Pour un jeune ayant passé toute sa vie dans une grande ville et habitué au confort moderne, le choc peut s’avérer rude. Nous l’avons récemment expérimenté avec E&R, l’un des nôtres s’est rendu dans une ferme achetée en commun l’an dernier. La violence du changement de vie et l’isolement social ont eu raison de son engagement, pourtant sincère, au bout de seulement quelques mois.

Je vous dirais donc qu’en théorie, la démarche est intéressante pour tout le monde. Quant au retour radical à la terre tel que je l’ai entrepris, non, il n’est pas accessible à tous. Tant pour des raisons financières que de résistance psychologique.

 

 

L’autosuffisance et la maîtrise de ses besoins semblent-elles la voie vers l’autonomie ?

En partie, dans la mesure où l’autosuffisance alimentaire et énergétique nous rend étonnamment libres. C’est un idéal que je poursuis et que je n’atteindrai sans doute jamais. Toutefois, je ne voue pas un culte absolu à l’autonomie. Certes il s’agit d’un beau concept, mais poussé dans ses ultimes retranchements, il peut vite devenir l’expression d’un individualisme que je combats. Ma démarche consiste bien plus à redécouvrir une forme d’interdépendance saine (parler à son voisin, « commercer » avec un éleveur, renouer avec sa famille) et non pas à être obsédé par une recherche de l’autonomie absolue.

 

Comment subvenez-vous à vos besoins ? L’État vous laisse-t-il libre de vivre selon vos propres règles ?

Soyons tout à fait honnêtes, je n’ai pu me lancer dans cette aventure que grâce à un héritage. C’est à partir de là que j’ai pu poser les fondements de mon indépendance en achetant le terrain sur lequel j’ai tout bâti : mes potagers, mes vergers, ma maison.

Les débuts n’ont pas été faciles pour autant. Pour vous faire un résumé, je me suis d’abord installé sur mon terrain avec mon frère, nous n’avions strictement rien si ce n’est une envie folle de bâtir. Notre hygiène était plus que sommaire et ne mangions que des pâtes achetées au supermarché par dizaine de kilos. Bref, il s’agissait d’un retour à l’âge des cavernes très éloigné de l’image romantique de la « vie aux champs » de certains de mes lecteurs lorsqu’ils achètent mon livre.

Quant à ma relation à l’État, j’essaie de la gérer intelligemment. D’un côté, l’État est aujourd’hui si largement influencé par les lobbys agroalimentaires qu’il surveille avec beaucoup de défiance toute forme d’expérience agricole alternative. La législation tend de manière chaque fois plus claire à aliéner les acteurs du monde rural aux catalogues de vente Monsanto, on l’a vu récemment avec l’interdiction absurde du purin d’orties.

Toutefois, je parle d’une gestion intelligente de notre relation avec l’État dans la mesure où on peut profiter de certaines de ses failles. J’en veux pour exemple les aides sociales qui ont servi dans mon cas à affronter les moments les plus difficiles. J’encourage sur ce point toutes les personnes de notre mouvance à en faire de même s’ils souhaitent s’installer à la campagne, nous devons faire feu de tout bois pour nous réapproprier notre terre.

 

 

Pouvez-vous présenter l’idée de permaculture que vous évoquez dans votre livre ?

Le concept de permaculture a été introduit dans le monde de l’agriculture alternative dans les années 1970, en particulier sous l’influence des Australiens David Homgren et Bill Mollison.

Pour faire court, il s’agit de cultiver dans un même espace des variétés très différentes en créant une complémentarité entre elles. Cette méthode présente l’avantage d’être pérenne, en dehors de celui de fournir à nos lieux de culture des protections naturelles qui nous permettent de moins recourir aux pesticides, engrais etc.

Par ailleurs, j’entends tout de même préciser que ma démarche et mon livre sont très éloignés de ce qu’une personnalité comme Pierre Rabhi a pu entreprendre de son côté. Lorsque Kontre Kulture est venu à ma rencontre, j’ai accepté de m’inscrire dans leur démarche dans la mesure où KK ne me proposait pas d’écrire une énième méditation poétique sur la beauté du retour à la nature. Le livre Mon Retour à la terre se veut avant tout un manuel pratique, dispensant des connaissances concrètes permettant au lecteur d’avoir des bases sérieuses pour son installation à la campagne. J’insiste sur ce point car c’est finalement ce qui m’a fait le plus défaut en m’installant loin de tout ; à cette époque je n’avais pas besoin d’élégies pastorales mais de savoir quelle race de cochon acheter et en quelle période de l’année planter mes tomates.

 

Votre démarche se rattache-t-elle à une conscience écologiste ?

Elle a fini par s’y rattacher mais ne l’était pas au départ. La motivation première de mon retour à la terre relevait bien plus d’une nécessité existentielle que d’une sensibilité particulière aux problématiques environnementales. Il s’agissait pour moi de couper les ponts avec une société dont la violence morale et l’absurdité m’étaient devenues insupportables.

Ce n’est qu’en découvrant sur le tas l’extraordinaire richesse de notre patrimoine naturel, la beauté de nos paysages et de nos savoirs agricoles qu’un souci de préservation écologique est né chez moi. Je sais que cela peut paraître surprenant tant la démarche de nos contemporains est en général exactement l’inverse de la mienne. Beaucoup d’écolos s’installent à la campagne comme s’il s’agissait de l’ultime étape de leur vie militante. Pour moi ce n’était pas le cas, « retourner à la terre » était une question de vie ou de mort. Lors des premières années qui ont suivi mon installation à la campagne, c’est ce caractère radical et profond de mon engagement qui m’a permis de tenir le coup.

 

Vous évoquez votre expérience de la vie en communauté dans votre livre. Comment réussir ce pari ?

C’est effectivement un pari démentiel. La vie communautaire, dans un sens strict, et telle qu’elle était entendue dans les années 70 est à proscrire. Ces modes de vie fondés sur le partage intégral sont très beaux sur le papier mais se révèlent de véritables incubateurs de conflits dans la réalité. Dans une communauté, en cas de confrontation, d’infidélités conjugales ou de simples mésententes vous serez obligés de tout faire, je dis bien tout, en compagnie de personnes dont la présence vous indispose.

Cependant l’autre extrême n’est pas souhaitable non plus, je vous parlais tout à l’heure de ce camarade n’ayant pas supporté la violence de l’isolement. C’est aussi un risque. Pour toutes ces raisons, je recommande des projets concertés entre plusieurs familles qui, sans vivre sous le même toit, pourraient toutefois former une communauté où la notion de propriété privée ne serait pas pour autant tabou. Cela me semble plus judicieux tant pour des raisons économiques qu’émotionnelles.

Mais vous me direz que bien des gens ont du mal à motiver leurs amis ou leurs proches et se retrouvent donc seuls dans leur retour à la terre. C’est vrai et je comprends tout à fait la préoccupation de ces personnes. Dans ce cas, je les invite à ne pas reproduire les erreurs que j’ai commises. Il n’est pas souhaitable, par exemple, de se détacher totalement de ses anciennes relations, la logique de la « table rase » n’a jamais donné rien de bon. En coupant tous les ponts, vous risquez tout simplement de vous retrouver seul et donc fragilisé matériellement et psychologiquement. De la même manière, ne vous découragez pas suite aux premiers contacts avec les « locaux » qui souvent peuvent être rudes. Faîtes en sorte de vous faire respecter, tout en étant extrêmement humbles vis à vis d’eux, ce n’est que de cette manière que vous parviendrez sur le long terme à reformer un tissu social viable et à construire des relations dignes voire amicales.

 

À ne pas manquer, Nicolas Fabre à Grenoble
ce samedi 11 mars 2017 :

 

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9 Commentaires

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  • A quand un mouvement pour un retour à la terre en collectif ? Des "mini-villages" autosuffisant ? J’ai lu dans le bouquin " Mon retour à la terre" que le problèmes c’est les faux intéresser, les feignants, ceux qui convoite la femme des autres ...
    Il n’empêche que pour les jeunes couple, il deviens quasi-impossible d’acquérir des terres...

    Couture, travail du cuir, bouture, greffe, élevage... Avec un peu de maçonnerie et de mécanique, on serais les plus heureux !

     

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  • #1567716
    Le 29 septembre 2016 à 11:32 par réGénération
    Entretien avec Nicolas Fabre – Le retour à la terre : mythe ou réalité (...)

    Difficile de percevoir la dureté endurée pour arriver à s’émanciper du système et regagner une certaine liberté (plusieurs années, ne serait-ce que pour rendre le sol cultivable), ainsi que les sentiments bénéfiques qui s’en dégagent malgré la charge de travail accompli - quand on vit en ville et qu’on projette des rêves pas forcément réalisables (çà dépend du lieu, du sol et d’un tas de choses).

    Pour avoir lu le rapport du Bec Hellouin, Charles Hervé-Gruyer mise sur un apport de base de 75 000 € (mais çà peut être aussi 50 000 voire moins !), et une certaine force de travail (entre 30 et 60h par semaine).
    L’idéal selon lui est la vente sur place et la production en binome, avec un associé.
    Ce qui est sûr c’est qu’il ne faut pas se lancer à l’aveuglette et bien établir son projet en amont.

    Pour moi, vu mes moyens, c’est casse-gueule, et le système productif en lui-même n’est pas au point : beaucoup de techniques diverses, mais pas de modèle pré-établi pour être sûr que çà marche. C’est là le problème pour moi.

    Je ne vise pas les tunes mais bosser 50h/semaine pour 1000€/mois quand on a une famille à élever c’est limite et on se retrouve vite dépassé... même si sur le plan moral on est dans le vrai.
    Évidemment s’il y avait une volonté politique pour aider çà changerait la donne : l’argent qui est donné à l’UE pourrait servir à l’installation des néo-paysans, çà changerait tout !

     

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    • #1567828
      Le Septembre 2016 à 13:22 par insoumis de la dissidense
      Entretien avec Nicolas Fabre – Le retour à la terre : mythe ou réalité (...)

      "plusieurs années, ne serait-ce que pour rendre le sol cultivable"

      Vision négative non conforme à la réalité.

      On peut rendre le sol cultivable dans l’année, au pire la deuxième année.
      L’état d’équilibre optimal s’obtient en 3-4 ans.

      Comment puis-je affirmer cela ?
      Je l’ai fait malgré que je sois âgé, pas plus malin ni courageux que la moyenne.
      Rendre cultivable un sol induré, tassé, mort, rempli de caillasses et à la porté de tout le monde.

      Après, que l’on cultive pour sa conso perso ou pour vendre, c’est un autre problème, un autre dossier.

       
    • #1568390

      quand on établit un projet il vaut mieux partir des estimations les plus basses pour éviter les mauvaises surprises... rien à voir avec une vision négative, c’est du pragmatisme.

       
  • #1567799

    Un témoignage extrêmement objectif de Nicolas Fabre.

    J’ajouterais simplement que le retour à la terre peut aussi se concrétiser au cœur des grandes villes, comme les habitants de la ville de Détroit l’ont démontré dès les années 70 .
    « L’agriculture urbaine à Détroit : de la rouille à la terre »
    http://www.agrobiosciences.org/arti...

     

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  • #1568407

    De petites communautés d’une dizaine de familles, au sein desquelles les espaces d’habitation privatifs coexisteraient avec les aires communes d’intérêt collectif ( verger-potager, serre , enclos, grange, bassin , matériel agricole , machines à laver, salle de réception pour les amis de passage ) , cela ne semble pas impossible sur le plan humain et psychologique . L’obstacle est le prix du foncier .

    Nicolas Fabre a l’honnêteté de préciser que l’achat de son terrain n’a été possible que par la providence d’un héritage . Dans mon cas personnel et dans ma région où le foncier est cher, mon projet de terrain avec cabanon ne sera réalisé qu’après la vente d’un petit bien de famille .

     

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  • Nicolas Fabre a raison, personne ne peut vivre en communauté mais des personnes partageant un même idéal peuvent se regrouper dans un périmètre géographique tout en étant chacun chez soi.
    Dans certains départements, le terrain est encore d’un prix abordable.
    La construction peut se faire par l’entre aide. L’association (les Castors) après la dernière guerre, bâtissait des maisons et chacun contribuait selon son domaine de compétence. C’est une idée à reprendre.
    J’aimerais bien connaitre des gens qui souhaitent faire un retour vers la nature.

     

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  • Il est important de noter et retenir/partager un fait grave et important ;

    En France il est purement illégale de vivre en autarcie !

    Celui qui fait le choix de rester à la campagne, produire sa nourriture, sont électricité, sont eau sans participer à la société capitaliste (donc sans soumission au salariat) se vois heurter à un obstacle ; en France la propriété n’existe pas.

    Comment vivre hors du système si à la fin de l’année ont doit payer un impôt sur sont bien ? Les impots locaux reviennent à un loyer qu’on paye pour garder sa possession. Ne pas le payer c’est se faire prendre sont bien par l’état.

    Donc pour vivre en autarcie il faut une communauté armée ou de l’argent pour lutter contre l’état qui viens te sous tirer du fric.

     

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  • J’aime bien l’humilité, la simplicité et la compétence de Nicolas. On sent que ses propos pèsent du poids de l’expérience et du vécu.
    J’ai grandi dans la banlieue d’une grande ville, et j’ai commencé mon retour à la terre au milieu des années 80 (à 23 ans).
    Pourrions-nous envisager une espèce de forum pour échanger avec ceux qui ont envie de tenter l’aventure et qui aimeraient partager avec ceux qui ont un peu d’expérience ?

     

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