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Du héros à l’anti-héros

« Étant réel et sacré, le mythe devient exemplaire et par conséquent répétable, car il sert de modèle, et conjointement de justification, à tous les actes humains. (…) tandis que le langage courant confond le mythe avec les "fables", l’homme des sociétés traditionnelles y découvre, au contraire, la seule révélation valable de la réalité. » (Mircea Eliade : Mythes, Rêves et Mystères, Gallimard, 1957, p. 21-22).

Dans les sociétés pré-modernes, tous les comportements humains, tant collectifs qu’individuels, s’apparentaient à des hiérophanies, et étaient vécus charnellement en analogie sympathique avec un archétype supra-humain inscrit dans un mythe.

 

Dans tous les actes de l’existence (travail, guerre, vie de famille, sexualité, fêtes…), l’homme traditionnel participait de tout son être à la hiéro-histoire de sa communauté, aspirait ardemment à une sacralisation de la vie et se devait d’imiter le plus fidèlement possible les faits et gestes exemplaires de ses héros tutélaires.

Il est donc important de comprendre que les principaux protagonistes des mythes et autres récits sacrés – les dieux, les héros, les prophètes et les êtres surnaturels – ne furent pas seulement des idéalisations des processus cosmologiques (comme la course des astres ou l’enchaînement des saisons), des allégories des forces de la nature ou des lointains souvenirs de personnages illustres ayant réellement existé, mais avant tout des modèles existentiels à suivre, des exemples ontologiques à atteindre, des figures typiques (des Noms divins, pourrait-on dire) permettant à tout individu, selon sa nature propre, de s’identifier ici-bas à l’une des multiples faces de la perfection divine.

En effet, comme l’écrivait laconiquement Julius Evola, « les dieux apparaissent non comme des fictions poétiques ou comme des abstractions de théologiens se mettant à philosopher, mais comme des symboles et des projections d’états transcendants de la conscience » (Explorations, Pardès, 1989, p. 202).

Ainsi, on peut dire que les divinités et les héros mythologiques ne sont pas extérieurs à l’homme, ils représentent tous, chacun à leur manière, des archétypes intemporels du véritable Soi universel que tout être particulier porte en lui-même et dont il faut à tout prix se ressouvenir individuellement, ils symbolisent des facettes particulières de l’unique Homme avec un grand H, présent en chaque homme, qu’il convient de retrouver coûte que coûte par ses propres moyens.

À cet égard, un célèbre adage antique affirme très clairement cette farouche volonté de réalisation spirituelle : « Pour connaître les Dieux, il faut se rendre semblable à eux. » Dès lors, les hommes traditionnels menaient leur existence entière – faite bien entendu de difficultés, d’épreuves, de défaites, de victoires, de joies et de douleurs – en constante référence analogique avec les pérégrinations, les épopées et les aventures héroïques contées dans les mythes, qui façonnaient l’ensemble de leur paysage mental.

Dans un monde où le temps profane n’existe pas, chaque fonction sociale occupée au sein du groupe devenait de fait une sorte de sacerdoce et chaque acte était réalisé en participation consciente selon un modèle supra-humain dévoilé dans le mythe, le tout encadré et orchestré par une autorité spirituelle légitime, gardienne et vectrice de la Tradition.

Même chez les sociétés dites « primitives » ou « sauvages », on retrouve l’omniprésence de cet exemplarisme mythique, ce qui faisait dire à l’ethnologue G. Gusdorf que « la participation sociale constitutive de la vie personnelle équivaut à l’adoption d’un personnage mythique. Le fonctionnement social tout entier peut être considéré comme une vaste distribution de rôles pour le grand jeu du mythe » (Mythe et métaphysique, Flammarion, 1984, p. 142).

Courage, sagesse, droiture, don de soi, abnégation, ascétisme, inébranlabilité, auto-sacrifice, maîtrise des gestes et techniques, intrépidité, force physique mise au service d’un idéal, générosité, confiance, honneur, etc., telles étaient les grandes qualités humaines et les hautes valeurs ontologiques incarnés par les dieux qui justifiaient tous les comportements de l’homme traditionnel : celui-ci était donc constamment tiré vers le haut et invité à se parfaire malgré ses imperfections et ses faiblesses inhérentes à sa condition terrestre.

De nos jours, l’homme des sociétés modernes désacralisées n’a pas changé : même s’il en est parfaitement inconscient, il reste, qu’il le veuille ou non, un Homo religiosus nécessitant des mythes et des modèles héroïques afin de structurer son psychisme et de donner un sens à sa triste existence.

Cependant, à notre époque apostate, tous les aspects de la vie qui autrefois revêtaient une qualité supra-humaine ont été subvertis voire intégralement inversés : les mythes ne sont plus portés par les membres d’une autorité spirituelle visant à élever ses ouailles, mais bien par l’industrie du spectacle (livres d’histoire, actualité médiatique, cinéma, musique, littérature, sport de masse, jeux vidéo, Internet…), en tant que gigantesque machine à pervertir et à abrutir.

Ainsi, les héros – ou plutôt les idoles – d’aujourd’hui (politicards, starlettes, dieux du stade, actrices/courtisanes, chanteurs dégénérés, super-héros robotisés, horribles créatures animées…) sont de véritables contre-exemples, littéralement des anti-héros, ils n’incarnent plus des modèles de perfection anthropologique mais au contraire sont des figures humanoïdes sans valeur, quasi diaboliques, lâches, tordues, égocentriques, brutales, imbéciles, hypersexualisées, dépourvues de moralité, hystériques, dévergondées, torturées, nihilistes, intérieurement tiraillées, etc…

Pour terminer ce court article sur une note positive, nous conseillerons à nos lecteurs d’ignorer et de mépriser tous ces faux héros qui ne sont, au final, que des fantômes – au sens propre comme au sens figuré – qui resteront dans les poubelles de la mémoire collective ; en revanche, les grands mythes et les textes sacrés des quatre coins du monde sont toujours bien là pour nous donner des clés de compréhension fort utiles à nos propres vies, les héros et les dieux n’ont jamais cessé de représenter des exemples d’identification individuelle, des bons modèles à suivre, et ce, afin de conférer une signification profonde à tous nos actes, de nous améliorer de jour en jour et de ré-enchanter nos existences tourmentées…

Pierre-Yves Lenoble

 

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9 Commentaires

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  • #3213387
    Le 15 juillet 2023 à 20:48 par Nono77
    Du héros à l’anti-héros

    Déjà en Chine il y a 3000 ans, on se plaignait que les Hommes
    n’étaient pas à la hauteur de leurs ancêtres.
    Qu’on ne respectait plus rien, que tout fichait le camp,
    Ca à l’air d’être une constante aussi.

    Idem en Egypte antique, ou chez les Perses, puis les Romains ,etc
    dans toutes les civilisations on retrouve cette critique récurrente.

     

    Répondre à ce message

    • #3213468
      Le Juillet 2023 à 04:48 par Serilem
      Du héros à l’anti-héros

      C est peut être différent ici :
      Le problème d après l auteur c est qu on a pas un idéal à atteindre, que bien-sûr on n’atteindra pas , le problème c est que au contraire on nous tire vers le bas avec nos idoles.
      Quant à moi, je ne crois pas qu on soit une exception pour ça dans l histoire de l humanité , les idéaux des sociétés sont variables, et c est pas depuis avant hier qu il y a de la dépravation ou des crimes sur la terre, et des puissances qui les encourage.
      Les sociétés n ont pas toutes la même valeur quoi

       
    • #3213527
      Le Juillet 2023 à 07:26 par Reloutiviste
      Du héros à l’anti-héros

      Donc tout se vaut et on ne peut pas critiquer l’abaissement actuel ?

       
    • #3213657
      Le Juillet 2023 à 11:36 par ursus
      Du héros à l’anti-héros

      Vous me faites chier avec votre relativisme...
      Quand bien même ces choses se seraient déjà produites, cela ne valide pas qu’elles le soient à nouveau !

       
    • #3213759
      Le Juillet 2023 à 14:28 par seq
      Du héros à l’anti-héros

      Partout, toujours, sauf dans les époques de décadence, le courage au combat ou au travail pour les hommes est glorifié, le sourire, la vertu pour les femmes, l’obéissance et la curiosité d’apprendre pour les enfants. Ce sont sur ces valeurs que la santé de la société repose. C’est ainsi qu’elle peut se nourrir, se défendre des prédateurs, perdurer.
      Et c’est tout. Pas compliqué.
      Parfois "c’était mieux avant". Parfois non.
      En ce moment, ce ne pouvait pas être pire, avant, sauf peut-être à certains moments de la décadence romaine.

       
    • #3213794
      Le Juillet 2023 à 15:45 par exTatiebaba
      Du héros à l’anti-héros

      Et oui, nous tombons, lentement, depuis des millénaires....

       
    • #3213859
      Le Juillet 2023 à 18:36 par Tomtom
      Du héros à l’anti-héros

      Oui mais aujourd’hui, il y a le nucléaire, un aller sans retour malheureusement....

       
  • #3213424
    Le 15 juillet 2023 à 22:43 par Père Castor
    Du héros à l’anti-héros

    les grands mythes et les textes sacrés des quatre coins du monde sont toujours bien là pour nous donner des clés de compréhension fort utiles à nos propres vies, les héros et les dieux n’ont jamais cessé de représenter des exemples d’identification individuelle, des bons modèles à suivre, et ce, afin de conférer une signification profonde à tous nos actes



    Ces grands mythes et textes sacrés ne sont certainement pas oubliés par les meilleurs des scénaristes, qui savent les piller et les tordre et qui utilisent la puissance de ces récits antiques au profit des visées perverses et destructrices (destructurantes) actuelles.

     

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  • #3213795
    Le 16 juillet 2023 à 15:45 par exTatiebaba
    Du héros à l’anti-héros

    Bel article.

     

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