En 2003, l’auteur de chansons Allain Leprest – mort huit ans plus tard par suicide – donne cette interview à Philippe Nicolet en Suisse en 2003. Ce qui fait l’originalité de Leprest, hormis ses indéniables qualités d’écriture, c’est qu’il est de « basse » extraction.
Aujourd’hui, ceux qui se lancent ou qu’« on » lance dans la chanson, mais plus généralement dans le showbiz, sont des enfants de la bourgeoisie, qui ont la possibilité matérielle de le faire. Leprest, lui, a commencé par un CAP de peintre en bâtiment, son père ayant toujours voulu que son fils ait un vrai métier entre les mains.
Il fait partie de ces chanteurs auteurs compositeurs qui sont peu connus du grand public, à l’image de Gérard Manset (dont PPDA est un fan absolu), mais qui ont le respect de leurs pairs. De la même façon, il y a des écrivains pour écrivains, on pense au très proustien et très stoïcien Matthieu Galey. On retrouve dans son album Voce a mano, enregistré en une prise avec l’accordéoniste Richard Galliano en 1992, des effluves de Brel, qu’il admirait. Un cousinage de qualité, pas un mimétisme.
Il est inutile d’opposer Leprest à la production « musicale » actuelle, puisqu’il se situait complètement en marge de cette industrie, et de ses excès : il affectionnait les gens, pas les foules, les petits bistrots, pas les salles glorieuses, la relation à l’autre, pas au « public ». Sauvé d’un anonymat certain par une poignée de personnalités médiatiques (Pascal Sevran en télé, Jean-Louis Foulquier en radio), il sait malgré tout que ses chansons ne « passent » pas en télé, et encore moins sur Canal+. Pas assez « grande famille » du showbiz, pas assez sourire, pas assez « jeune ». Pourtant, ses chansons ne sont pas déprimantes, selon la loi paradoxale qui veut que les désespérés donnent toujours de l’espoir aux autres.
Leprest chante la petite vie, les petites gens, les petites émotions, en apparence seulement. Une puissance se dégage qui n’a pas besoin de grands mots. Beaucoup en France se plaignent de ce que l’âge d’or de la chanson française serait définitivement derrière nous. Or les talents existent, mais la rentabilisation et l’anglo-saxonisation du métier les ont refoulés en marge. Seuls les derniers cabarets acceptent encore des chanteurs à textes, entre deux spectacles de comique et de magicien. Le slam de Grand Corps Malade et la poésie factice de Renaud ont balayé l’exigence.
Quelques lieux (un peu de gauche) où l’on peut encore entendre de la chanson française non frelatée. Une chanson française associée par automatisme à « vieille » chanson. C’est le résultat de la préférence industrielle et médiatique pour le public jeune, plus facile à manipuler que le public âgé. La chanson française a été ringardisée dans son propre pays, au profit de la variété anglo-saxonne et accessoirement de la variété française, ce qui n’empêche pas d’écouter l’une et l’autre, et de ne pas écouter les médias !
Alors un Leprest, poète, alcoolique (depuis son passage chez les paras à 20 ans), admirateur de Nimier (pas bien selon Libé), et communiste à ses débuts... ça « ne le fait pas » pour le showbiz. N’est pas Bruel qui veut !
Une valse pour rien, Leprest chante chez Lefait dans l’émission Des Mots de Minuit en octobre 2005 :
L’interview de 2003 :