L’affligeante nullité des commentaires de la presse française sur le 19ème congrès du parti communiste chinois (18-24 octobre) est éloquente. Qu’avons-nous appris ? Quasiment rien à vrai dire, sinon que la dictature communiste est abominable, que Xi Jinping a été déifié, que la Chine croule sous la corruption, que son économie est chancelante, son endettement abyssal et son taux de croissance en berne. Enfilade de lieux communs et fausses évidences à l’appui, la vision française de la Chine a brillé une fois encore par un simplisme narquois qui masque à peine une ignorance crasse. Il suffit d’avoir entendu une seule émission de Vincent Hervouët sur Europe 1 pour prendre la mesure de ce vide sidéral.
Il faut dire que la Chine ne fait rien pour faciliter les distinctions tranchées – dignes du lit de Procuste – et les catégories préétablies auxquelles ce petit monde médiatique voudrait la plier à tout prix. Communiste, capitaliste, un peu des deux, ou autre chose encore ? Dans les sphères médiatiques, on y perd son chinois. Inconsciemment, on le sent bien, nos commentateurs aimeraient pouvoir dire que la Chine n’est plus communiste, ce serait tellement plus simple. Convertie au libéralisme, cette nation rebelle réintégrerait le droit commun. Retour à l’ordre des choses, cette capitulation idéologique validerait la téléologie de l’homo occidentalis. Absorbant la Chine, le capitalisme mondialisé pourrait enfin déboucher le Champagne.
Mais voilà, c’est une romance libérale, une de plus. Le PCC n’a nullement renoncé à son rôle dirigeant dans la société, et il fournit son ossature à un État qui tire sa force de sa souveraineté. Hérité du maoïsme, l’État central conserve la maîtrise de la politique monétaire et contrôle le secteur bancaire. Doté depuis les lois de 2008 d’une fiscalité moderne, d’un code du travail et d’un système social – certes imparfaits –, il s’est fixé pour objectif numéro un l’élévation du niveau de vie de la population. Restructuré dans les années 1990, le secteur public demeure la colonne vertébrale de l’économie chinoise : avec 40 % des actifs et 50 % des profits générés par l’activité industrielle, il est prédominant dans la sidérurgie, l’énergie et l’électricité.
Aucun commentateur ne l’a fait, mais il suffit de lire la résolution finale du 19ème congrès pour mesurer l’ampleur des défis de la Chine contemporaine. Lorsque cette résolution affirme que « le Parti doit s’unir pour remporter la victoire décisive de l’édification intégrale de la société de moyenne aisance, faire triompher le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère, et lutter sans relâche pour réaliser le rêve chinois du grand renouveau de la nation », il faut peut-être prendre ces déclarations au sérieux. Avec 89 millions de membres, le PCC n’est pas en perte de vitesse. Mais il lui faudra stimuler la consommation intérieure, réduire les inégalités sociales et juguler la pollution – un véritable fléau –, s’il veut conserver l’appui d’une population en voie d’urbanisation accélérée.
En Occident, la vision de la Chine est obscurcie par les idées reçues. On s’imagine que l’ouverture aux échanges internationaux et la privatisation de nombreuses entreprises ont sonné le glas du « socialisme à la chinoise ». Mais c’est faux. Pour les Chinois, cette ouverture est la condition du développement des forces productives, et non le prélude à un changement systémique. Les « zones d’exportation spéciale » ont dopé la croissance, mais cette insertion dans la mondialisation s’est effectuée aux conditions fixées par l’État. Pour Pékin, il fallait accumuler les capitaux afin de poursuivre les réformes. Elles ont permis de sortir 700 millions de personnes de la pauvreté, soit 10 % de la population mondiale. Il n’est pas étonnant que le 19ème congrès ait réitéré le choix d’une économie mixte en insistant sur les défis de l’urbanisation et la nécessaire réduction des inégalités.
Depuis 40 ans, la Chine change à un rythme déconcertant et brouille les repères habituels. Un pays qui assure 30 % de la croissance mondiale et dont on juge que sa croissance « fléchit » lorsqu’elle est à 6,5 % mérite quand même le détour. On peut ironiser sur ce communisme qui fait la part belle au capitalisme, ou encore évoquer le spectre d’un capitalisme d’État, mais à quoi bon ? Les communistes chinois se moquent bien des catégories dans lesquelles nos appareils idéologiques désignent la réalité chinoise. Ils la connaissent mieux que nous, et ils savent que nous n’avons aucune prise sur notre propre réalité. La puissance qui est la leur et l’impuissance qui est la nôtre suffisent à nous disqualifier. Si seulement la France était un État souverain, peut-être aurions-nous quelque chose à dire. Mais franchement, mettez-vous à la place des Chinois. Allons, un peu d’humilité, bon sang !