La lecture occasionnelle du Figaro permet parfois de dénicher quelques perles ! Je cite : « La Déclaration Balfour est l’un des documents diplomatiques les plus importants de l’histoire du Moyen-Orient au XXe siècle : la promesse d’un foyer national juif en Palestine ; le sionisme politique obtient une garantie juridique internationale » (Véronique Laroche-Signorile, 31/10). Voilà qui est fort, très fort même. Faire passer la Déclaration Balfour pour une « garantie juridique internationale » relève carrément de l’exploit conceptuel.
Signée le 2 novembre 1917, cette déclaration était une lettre du ministre des Affaires étrangères britannique, Lord Balfour, au dirigeant sioniste Lord Rothschild. Que dit-elle ?
Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont jouissent les Juifs dans tout autre pays.
Pour Londres, ce texte poursuivait un double objectif. La Première Guerre mondiale battait son plein, et il s’agissait de rallier à l’Entente l’opinion juive mondiale. En déposant ce présent aux pieds du mouvement sioniste, on comptait obtenir le soutien enthousiaste des juifs américains. Mais ce n’est pas tout. Parrainé par l’Empire britannique, le foyer national juif devait en devenir le bastion avancé au cœur du Moyen-Orient. La Déclaration Balfour, en réalité, est un acte unilatéral qui relève de la politique impériale britannique.
C’est pourquoi ce texte n’offrait aucune « garantie juridique internationale » à qui que ce soit. Mal nommer les choses interdit de les comprendre, et en fait ce fut exactement l’inverse. Nouant l’alliance entre l’Empire et un mouvement nationaliste européen pétri d’ambition coloniale, la lettre de Balfour est précisément la négation de toute garantie légale internationale. Elle acte la dépossession des propriétaires légitimes d’une terre qui est offerte à la prédation sioniste en violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. La Déclaration Balfour, c’est le viol colonial de la Palestine arabe, et rien d’autre.
Comme le dit l’écrivain sioniste Arthur Koestler, « une nation a offert à une autre nation le territoire d’une troisième ». Le foyer national juif s’est épanoui grâce à cette forfaiture, la violence de la conquête sioniste se trouvant sanctifiée au nom d’une « œuvre civilisatrice » dont l’occupant britannique (1922-1947) osa se prévaloir sans vergogne. Ce qui est au cœur de la Déclaration Balfour, c’est le colonialisme européen dans son affligeante banalité. Elle distingue en effet deux populations qui ne sont pas logées à la même enseigne. La première se voit reconnaître des droits politiques, tandis que la seconde (90 % des habitants) est balayée d’un trait de plume. La première est un sujet, la seconde un simple objet.
Certes on reconnaît aux « collectivités non juives » des « droits civils et religieux ». Mais cette reconnaissance se fait en creux, par défaut. Pour les définir, on emploie la négation. Ce sont des « populations non-juives », et non des populations arabes. Le texte les prive de toute existence positive, il les traite comme des surnuméraires qu’on exclut du bénéfice de l’autodétermination. Car les « droit civils et religieux » ne sont pas des « droits politiques », mais des droits relatifs au statut personnel et à l’exercice du culte. Que les Arabes conservent leurs coutumes, du moment qu’ils n’entravent pas la marche du peuple juif vers la souveraineté !
Contre les Palestiniens, la Déclaration Balfour a exercé une violence symbolique de longue portée. Elle scella l’alliance entre un mouvement nationaliste qui voulait « une Palestine aussi juive que l’Angleterre est anglaise » (Haïm Weizmann) et un Empire hégémonique qui entendait le rester. L’Empire a fondu, mais le sionisme s’est imposé par la force. En les privant de droits politiques, Balfour a transformé les autochtones en résidents de seconde zone, il en a fait des étrangers dans leur propre pays. La violence du texte colonial n’a cessé d’exercer ses méfaits depuis un siècle, culminant en une tentative d’oblitération que seule la résistance du peuple palestinien a pu mettre en échec.