Depuis la reconnaissance solennelle de la République populaire de Chine par le général de Gaulle, en janvier 1964, les deux pays entretiennent une relation singulière. En effectuant une visite officielle en Chine, Emmanuel Macron avait-il l’intention de perpétuer cette noble tradition en faisant la démonstration que la France est un pays souverain capable de discuter avec la Chine d’égal à égal et de mener une politique étrangère indépendante dans cette région cruciale pour l’avenir du monde ? Bref, cette visite à Pékin du commis voyageur hexagonal de l’oligarchie financière mondialisée allait-elle subitement se transformer en cauchemar pour les atlantistes ?
Pas exactement, bien sûr, mais il en faut si peu au parti de l’étranger pour qu’il se mette à fulminer que Macron lui-même semble y être parvenu.
Trop fort, vraiment.
Mais pour s’en rendre compte, il fallait ne pas se contenter de lire la presse française et regarder un peu du côté de la presse chinoise.
Selon l’agence Xinhua, le président français a déclaré, par exemple, que « la véritable amitié signifie compréhension et respect mutuels », et que « la France apprécie le soutien constant de la Chine à l’indépendance et à l’unité de la France et de l’Europe ». Il a ajouté qu’elle est « prête à travailler avec la Chine pour respecter les intérêts fondamentaux de chacun tels que la souveraineté et l’intégrité territoriale, ouvrir leurs marchés l’un à l’autre et renforcer la coopération technologique et industrielle, ainsi que la coopération dans le domaine de l’intelligence artificielle, afin de s’aider mutuellement à parvenir au développement et à la prospérité ».
Autrement dit, la France est ouverte à toutes les propositions, et cette volonté de coopérer avec la Chine s’est illustrée par la signature de plusieurs gros contrats dans certains secteurs-clé, comme l’industrie aéronautique, la filière électro-nucléaire et les énergies renouvelables, où Chinois et Français travaillent ensemble depuis de nombreuses années et sont déterminés à poursuivre cette coopération fructueuse. Une démarche rationnelle, conforme à l’intérêt national, qui a aussitôt fait s’étrangler de rage les détracteurs habituels de la Chine, reprochant au président français de chercher à approfondir ce partenariat économique entre les deux pays, alors que la priorité, paraît-il, serait à la lutte contre « l’ingérence chinoise » ou à « la défense des droits de l’homme » sur le sol chinois.
Fort heureusement, l’exécutif français a su faire fi de récriminations grotesques qui représentent, à la fois, une dénégation des intérêts industriels et commerciaux de la France et une tentative puérile d’immixtion dans les affaires intérieures chinoises. Les Raphaël Glucksmann et autres guignols CIA-backed sont envoyés dans les cordes, et c’est une bonne nouvelle.
Un autre sujet sur lequel la rencontre des deux chefs d’État était attendue concernait l’approche diplomatique de la crise ukrainienne. Mais si la presse française, avant le départ du président pour Pékin, en avait fait un sujet majeur, prêtant à Macron la volonté de tenter d’infléchir la position chinoise vers une formulation plus conforme au vœu des Occidentaux, la discussion entre les deux chefs d’État ne semble pas avoir donné satisfaction à ceux qui prenaient sans doute leurs désirs pour des réalités. Toujours selon Xinhua, M. Xi a indiqué que « la cause du conflit en cours était complexe et qu’une crise prolongée ne servait les intérêts de personne. Il a déclaré qu’un cessez-le-feu dès que possible servirait les intérêts de toutes les parties concernées, et qu’un règlement politique était la seule solution correcte ».
Sans citer les États-Unis, le président chinois a ajouté que « toutes les parties concernées devraient assumer leurs responsabilités et faire des efforts conjoints pour créer des conditions propices à un règlement politique ». De son côté, M. Macron a déclaré que « la France estimait également qu’un règlement politique de la crise ukrainienne devait prendre en compte les préoccupations légitimes de toutes les parties. La France attache une grande importance à l’influence internationale de la Chine et est prête à travailler étroitement avec la Chine pour faciliter un règlement politique rapide de la crise ».
Avec le ton respectueux de ces échanges, on est très loin des « mises en demeure », « avertissements » et autres « injonctions » qui auraient dû être adressées à la Chine, selon les atlantistes, pour son refus supposé de « condamner l’odieuse agression russe en Ukraine ». C’était sans doute oublier que la Chine s’en tient dans cette affaire à une ligne politique qui lui vaut le respect de la plupart des nations. Contrairement aux pays occidentaux et otanisés, elle ne livre d’armes à aucun des belligérants, elle condamne fermement la tentation nucléaire, elle propose un plan de paix cohérent aux parties concernées, et elle ne cesse de réclamer un cessez-le-feu destiné à mettre fin aux souffrances des populations civiles. Pendant ce temps, les donneurs de leçons occidentaux et autres redresseurs de tort professionnels jettent de l’huile sur le feu et poussent l’Ukraine à se sacrifier pour les beaux yeux de l’OTAN.
De ce point de vue, l’espoir nourri par les petites frappes atlantistes de voir la Chine « mise en demeure » par le président français de « choisir son camp » ou de « sortir de l’ambiguïté », oui, cet espoir ridicule de voir la France admonester la Chine a été clairement douché par la réalité : la Chine est un pays indépendant qui n’a pas l’intention de rompre avec les principes de la coexistence pacifique et de la souveraineté des nations. Le président français a su en prendre acte et n’a pas insisté davantage, préférant souligner les convergences entre les deux pays sur les modalités de résolution de la crise plutôt que de faire ressortir leurs divergences, tout aussi réelles, sur les causes profondes du conflit.
Cette ligne de conduite marque-t-elle un nouvel infléchissement de la diplomatie française vers une indépendance réaffirmée dans la gestion des affaires internationales ? Il est vrai qu’en lisant l’entretien de Macron dans Les Échos, on se mettrait presque à rêver. Plaidant pour que « l’autonomie stratégique » soit « le combat de l’Europe », le président a mis en garde contre « une accélération de l’embrasement du duopole » Chine-États-Unis, au risque de ne plus avoir « le temps ni les moyens de financer » cette « autonomie stratégique ». « Nous deviendrons des vassaux alors que nous pouvons être le troisième pôle si nous avons quelques années pour le bâtir », a-t-il fait valoir. « Le paradoxe serait qu’au moment où nous mettons en place les éléments d’une véritable autonomie stratégique européenne, nous nous mettions à suivre la politique américaine, par une sorte de réflexe de panique ».
Cette prise de distance explicite avec la logique des blocs et la mentalité de guerre froide n’intervient pas au hasard. Au moment où les provocations séparatistes, encouragées par Washington, aggravent les tensions autour de la province chinoise de Taïwan, le président français semble inviter les Européens à la sagesse en leur recommandant de ne pas se laisser contaminer par les pulsions bellicistes de l’Oncle Sam. Continuons à rêver un peu. Macron aurait-il fini par assimiler l’héritage diplomatique du général de Gaulle et décidé de renouer avec cette noble tradition d’indépendance nationale ? Si tel était le cas, ce serait de bon augure.
Connaissant le personnage, connaissant aussi le bloc hégémonique qui l’a mis au pouvoir, tout cela n’est sans doute qu’un rêve éveillé. Au réveil, nul doute qu’il va laisser la place à la dure réalité, celle d’un atlantisme profond maquillé d’un souverainisme de façade. Mais ne boudons pas notre plaisir, aussi bref soit-il : au moins, cette visite présidentielle en Chine aura donné la colique aux atlantistes.