Au moment où les tensions internationales s’aggravent et mettent en péril la paix mondiale, la publication par la Chine de son Initiative de sécurité mondiale vient à point nommé. Le texte intégral étant particulièrement riche, on se contentera dans cet article de faire quelques commentaires sur le préambule et sur les six principes fondamentaux qui en constituent l’ossature intellectuelle.
Le document commence par un préambule qui en précise le contexte. « La question de la sécurité concerne le bien-être des peuples de tous les pays, la noble cause de la paix et du développement dans le monde et l’avenir de l’humanité ». La démarche initiée par Beijing a ainsi pour ambition majeure de s’adresser à l’ensemble de l’humanité, sans réserve et sans exclusive. Comme l’indique le document, il s’agit bien d’une « approche holistique » des relations internationales : les défis auxquels nous sommes confrontés sont des défis planétaires qui appellent des réponses globales, et non des réponses partielles et en ordre dispersé.
« Aujourd’hui, notre monde, notre époque et notre histoire changent comme jamais auparavant, et la communauté internationale est confrontée à de multiples risques et défis rarement vus auparavant ». Les transformations s’accélèrent dans tous les domaines, et dans cette effervescence généralisée, « les points chauds de la sécurité régionale continuent de s’embraser », les « conflits locaux » persistent, « l’unilatéralisme et le protectionnisme ont considérablement augmenté, et les menaces de sécurité traditionnelles et non traditionnelles sont entrelacées ». Alors que les conflits s’aggravent et que « les déficits de paix, de développement, de sécurité et de gouvernance s’accroissent », les initiatives unilatérales et les jeux à somme nulle semblent prendre le pas sur la coopération et le multilatéralisme.
C’est dans un tel contexte que l’Initiative de sécurité mondiale se présente, à juste titre, comme un antidote efficace au dérèglement croissant des affaires mondiales. En affirmant des principes rationnels destinés à relancer la coopération internationale et le multilatéralisme, elle entend enrayer la machine à perdre qui paraît s’être emparée des leviers de la planète au détriment des intérêts communs de l’humanité. « Le monde se trouve une fois de plus à un carrefour de l’histoire », mais « nous sommes convaincus que les tendances historiques de la paix, du développement et de la coopération gagnant-gagnant sont imparables ».
Avec l’Initiative de sécurité mondiale, la Chine appelle donc l’ensemble des nations à « relever les défis de sécurité dans un esprit gagnant-gagnant », à « éliminer les causes profondes des conflits internationaux, à améliorer la gouvernance de la sécurité mondiale, à encourager les efforts internationaux conjoints pour apporter plus de stabilité et de certitude à une époque instable et changeante, et à promouvoir une paix et un développement durables dans le monde ». Cet appel solennel aux autres nations conduit alors à la formulation de six principes fondamentaux destinés à faire consensus et à orienter la vie internationale.
« Rester attaché à la vision d’une sécurité commune, globale, coopérative et durable ». Cet impératif avait été fixé par Xi Jinping dès 2014. Le président chinois avait appelé tous les pays du monde à « s’adapter au paysage international dans un esprit de solidarité et à relever les défis de sécurité complexes et entrelacés dans un esprit gagnant-gagnant ». Développant une approche holistique des relations internationales, ce principe détermine une ligne de conduite respectueuse des intérêts de chaque nation. Il entend promouvoir une coopération pacifique, équilibrée et mutuellement avantageuse, qui permette de relever les défis majeurs de notre temps.
« Rester engagé à respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays ». La vie internationale repose sur les relations consenties entre des sujets de droit international mutuellement respectueux de leur indépendance. Il convient de garantir « l’égalité souveraine et la non-ingérence dans les affaires intérieures » en tant que principes fondamentaux du droit international. « Tous les pays, grands ou petits, forts ou faibles, riches ou pauvres, sont des membres égaux de la communauté internationale ». Ainsi, chaque pays a-t-il le droit de choisir en toute indépendance son propre système social et sa propre voie de développement. L’application d’un tel principe sonnerait le glas de toute forme d’ingérence et mettrait fin à la pratique occidentale consistant à faire pression sur les pays du Sud.
« Rester engagé à respecter les buts et principes de la Charte des Nations Unies ». Les difficultés rencontrées dans l’application de la loi internationale, en effet, ne doivent pas conduire à y renoncer. Avec la Charte des Nations Unies, les peuples du monde ont tiré les « leçons amères de deux guerres mondiales » et tenté de promouvoir « la sécurité collective » ainsi qu’une « paix durable ». Il faut s’en tenir fermement aux principes du droit international si l’on veut réguler et pacifier les relations internationales. Mais cette exigence a pour corollaire la fin de toute prétention hégémonique, le renoncement à la mentalité de guerre froide et la fin de l’unilatéralisme belliqueux qui caractérise la politique étrangère des États-Unis.
« Rester déterminé à prendre au sérieux les préoccupations légitimes de sécurité de tous les pays ». Avec ce principe, la Chine entend rappeler que l’humanité est une communauté de sécurité indivisible et qu’il ne saurait y avoir de sécurité pour les uns si elle n’est pas également garantie pour les autres. « Les préoccupations légitimes et raisonnables de sécurité de tous les pays doivent être prises au sérieux et traitées correctement, et non constamment ignorées ou systématiquement contestées ». Cette phrase est une allusion transparente à la situation de la Russie, encerclée par l’OTAN depuis 30 ans, et dont les exigences de sécurité ont été bafouées par les États-Unis. Si l’on veut édifier les bases d’une véritable sécurité collective, il est impératif de renoncer à l’hégémonisme et de fournir à chaque nation les garanties de sécurité auxquelles elle peut légitimement prétendre.
« Rester déterminé à résoudre pacifiquement les différends et les différences entre les pays par le dialogue et la consultation ». Il est clair qu’un tel principe vaut condamnation, à la fois, de la guerre d’agression et des sanctions économiques. Si elle est parfois rendue inévitable par les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale, la guerre est inapte à garantir la coexistence entre les nations. Les sanctions, de leur côté, sont tout aussi injustes et inefficaces, comme le montre le fiasco des mesures punitives prises contre la Russie par les Occidentaux depuis 2014. « Abuser des sanctions unilatérales et de la compétence au bras long ne résout aucun problème, mais ne fait que créer plus de difficultés et de complications ». Si l’on veut résoudre les conflits, en effet, « seuls le dialogue et la consultation sont efficaces ». C’est en application de ce principe que la Chine a déterminé sa ligne de conduite face à la crise russo-ukrainienne. Elle appelle les parties en présence au cessez-le-feu et les invite, pour mettre fin au conflit, à une négociation qui respecte à la fois leur souveraineté nationale et leurs exigences de sécurité.
« Rester déterminé à maintenir la sécurité dans les domaines traditionnels et non traditionnels ». Il s’agit de prendre en compte les impératifs d’une sécurité collective qui est aujourd’hui « davantage interconnectée, transnationale et diversifiée ». De nouvelles formes d’insécurité, de nouvelles menaces apparaissent, et seule une coopération approfondie entre les États souverains permettra d’y faire face. Ainsi, tous les pays du monde doivent mettre en pratique « les principes de consultation approfondie, de contribution conjointe et de bénéfices partagés dans la gouvernance mondiale », notamment pour « relever des défis mondiaux tels que le terrorisme, le changement climatique, la cybersécurité et la biosécurité ».
Ainsi, l’Initiative de sécurité mondiale se présente comme un véritable manuel de la résolution pacifique des conflits et de l’approche multilatérale des problèmes du monde. Elle invite tous les pays à bâtir une communauté de destin qui intègre les différences nationales dans une perspective inclusive et non exclusive. La Chine est un grand pays qui a proscrit la guerre de sa politique étrangère et qui n’a participé à aucun conflit armé depuis 44 ans. Elle promeut une coopération internationale tous azimuts dont témoigne le succès de l’initiative « la Ceinture et la Route ». L’Initiative de sécurité mondiale est le couronnement diplomatique de cette politique de paix entre les peuples du monde. Mais elle renoue aussi avec une tradition très ancienne qu’exprime si bien le verset 31 du Laozi :
« Les armes sont des objets funestes que tous les êtres ont en haine, l’homme du Tao s’en écarte. Le sage donne dans la vie ordinaire la préséance à la gauche, à la guerre elle revient à la droite. Les armes sont des objets funestes, elles ne font pas partie de l’arsenal du sage, il n’y recourt qu’à son corps défendant ».