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Seule la souveraineté est progressiste

Lors du 25ème sommet des pays membres de l’Organisation de l’unité africaine, le 26 juillet 1987, le président du Conseil national révolutionnaire de Burkina Faso dénonçait en ces termes le nouvel asservissement de l’Afrique : « Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme. Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous ont colonisés, ce sont les mêmes qui géraient nos États et nos économies, ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fonds. » La dette du tiers-monde est le symbole du néo-colonialisme. Elle perpétue le déni de souveraineté, pliant les jeunes nations africaines aux desiderata des ex-puissances coloniales.

 

Mais la dette est aussi l’odieuse martingale dont se repaissent les marchés financiers. Prélèvement parasitaire sur des économies fragiles, elle enrichit les riches des pays développés au détriment des pauvres des pays en voie de développement.

« La dette (...) dominée par l’impérialisme est une reconquête savamment organisée pour que l’Afrique, sa croissance, son développement obéisse à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer les fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. »

Décidément, c’en était trop. Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est tombé sous les balles des conjurés au grand bénéfice de la « Françafrique » et de ses juteuses affaires. Mais le courageux capitaine de cette révolution étouffée avait dit l’essentiel : un pays ne se développe que s’il est souverain et cette souveraineté est incompatible avec la soumission au capital mondialisé. Voisine du Burkina Faso, la Côte d’Ivoire en sait quelque chose : colonie spécialisée dans la monoculture d’exportation du cacao depuis les années 20, elle a été ruinée par la chute des cours et entraînée dans la spirale infernale de la dette.

Le marché du chocolat pèse 100 milliards de dollars et il est contrôlé par trois multinationales (une suisse, une étasunienne et une indonésienne). Avec la libéralisation du marché exigée par les institutions financières internationales, ces multinationales dictent leurs conditions à l’ensemble de la filière. En 1999, le FMI et la Banque mondiale exigent la suppression du prix garanti au producteur. Le prix payé aux petits planteurs étant divisé par deux, ils emploient pour survivre des centaines de milliers d’enfants-esclaves. Appauvri par la chute des cours liée à la surproduction, le pays est également contraint de diminuer les taxes sur les entreprises. Privé de ressources, esclave de la dette et jouet des marchés, le pays est à genoux.

La Côte d’Ivoire est un cas d’école. Un petit pays à l’économie extravertie (le cacao représente 20 % du PIB et 50 % des recettes d’exportation) a été littéralement torpillé par des étrangers qui ne visent qu’à maximiser leurs profits avec la complicité des institutions financières et la collaboration de dirigeants corrompus. Thomas Sankara l’avait compris : s’il est asservi aux marchés, l’indépendance d’un pays en développement est une pure fiction. Faute de rompre les amarres avec la mondialisation capitaliste, il se condamne à la dépendance et à la pauvreté. Dans un livre prophétique paru en 1985, Samir Amin nommait ce processus de rupture « la déconnexion du système mondial ».

Lorsqu’on analyse l’histoire du développement, un fait saute aux yeux : les pays les mieux lotis sont ceux qui ont pleinement conquis leur souveraineté nationale. La République populaire de Chine et les nouveaux pays développés d’Asie orientale, par exemple, ont mené des politiques économiques volontaristes et promu une industrialisation accélérée. Ces politiques reposaient – et reposent encore largement – sur deux piliers : la direction unifiée des efforts publics et privés sous la houlette d’un État fort et l’adoption à peu près systématique d’un protectionnisme sélectif.

Un tel constat devrait suffire à balayer les illusions nourries par l’idéologie libérale. Loin de reposer sur le libre jeu des forces du marché, le développement de nombreux pays résulta au XXème siècle d’une combinaison des initiatives dont l’État fixait souverainement les règles. Nulle part, on ne vit sortir le développement du chapeau de magicien des économistes libéraux. Partout, il fut l’effet d’une politique nationale et souveraine. Protectionnisme, nationalisations, relance par la demande, éducation pour tous : la liste est longue des hérésies grâce auxquelles ces pays ont conjuré – à des degrés divers et au prix de contradictions multiples – les affres du sous-développement.

N’en déplaise aux économistes de salon, l’histoire enseigne le contraire de ce que prétend la théorie : pour sortir de la pauvreté, mieux vaut la poigne d’un État souverain que la main invisible du marché. C’est ainsi que l’entendent les Vénézuéliens qui tentent depuis 1998 de restituer au peuple le bénéfice de la manne pétrolière privatisé par l’oligarchie réactionnaire. C’est ce qu’entendaient faire Mohamed Mossadegh en Iran (1953), Patrice Lumumba au Congo (1961) et Salvador Allende au Chili (1973) avant que la CIA ne les fasse disparaître de la scène. C’est ce que Thomas Sankara réclamait pour une Afrique tombée dans l’esclavage de la dette au lendemain même de la décolonisation.

On objectera que ce diagnostic est inexact, puisque la Chine a précisément connu un développement fulgurant à la suite des réformes libérales de Deng. C’est vrai. Une injection massive de capitalisme marchand sur sa façade côtière lui a procuré des taux de croissance faramineux. Mais ce constat ne doit pas faire oublier qu’en 1949 la Chine était un pays misérable, dévasté par la guerre. Pour sortir du sous-développement, elle a consenti des efforts colossaux. Les mentalités archaïques ont été ébranlées, les femmes émancipées, la population éduquée. Au prix de multiples contradictions, l’équipement du pays, la constitution d’une industrie lourde et le statut de puissance nucléaire ont été acquis sous le maoïsme.

Sous l’étendard d’un communisme repeint aux couleurs de la Chine éternelle, ce dernier créa les conditions matérielles du développement futur. Si l’on construit annuellement en Chine l’équivalent des gratte-ciel de Chicago, ce n’est pas parce que la Chine est devenue capitaliste après avoir connu le communisme, mais parce qu’elle en réalise une sorte de synthèse dialectique. Le communisme a unifié la Chine, il lui a restitué sa souveraineté et l’a débarrassée des couches sociales parasitaires qui entravaient son développement. De nombreux pays du tiers-monde ont tenté d’en faire autant. Beaucoup ont échoué, généralement à cause d’une intervention impérialiste.

En matière de développement, il n’y a aucun modèle. Mais seul un pays souverain qui s’est doté d’une voilure suffisante peut affronter les vents de la mondialisation. Sans la maîtrise de son propre développement, un pays (même riche) s’installe dans la dépendance et se condamne à l’appauvrissement. Les firmes transnationales et les institutions financières internationales ont pris dans leurs filets de nombreux États qui n’ont aucun intérêt à leur obéir. Dirigeant l’un de ces petits pays pris à la gorge, Thomas Sankara clamait le droit des peuples africains à l’indépendance et à la dignité. Il renvoyait les colonialistes de tous poils à leur orgueil et à leur cupidité. Il savait surtout que l’exigence de souveraineté n’est pas négociable et que seule la souveraineté est progressiste.

Bruno Guigue

Seule la souveraineté est progressiste
avec Kontre Kulture :

Bruno Guigue, sur E&R :

 
 






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5 Commentaires

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  • #1824621
    Le 22 octobre 2017 à 18:22 par Albert
    Seule la souveraineté est progressiste

    Le "développement" dont il est question ici, c’est l’accès au progrès technologique, et il ne pouvait se faire avec le capitalisme libre-échangiste. Maintenant c’est plus difficile, les places sont déjà prises, il faut des pauvres pour qu’il y ait des riches.
    Mais ce sont les E.U. qui ont permis à la Chine, à Formose, à la Corée (du sud) de se développer comme naguère le Japon, pour des raisons stratégiques. Les délocalisations ont ruiné des pans entiers de l’industrie occidentale, avec des baisses de qualité et une augmentation des profits.

     

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  • #1824633
    Le 22 octobre 2017 à 19:08 par aymard de Chartres
    Seule la souveraineté est progressiste

    La Chine est sous la houlette d’un système hybride d’apparence paradoxal qui nivelle la société en deux strates sociales étrangères l’une à l’autre : une classe bourgeoise capitaliste, rentière et décomplexée qui est parfaitement introduite dans les rouages de l’économie financière mondiale, d’une part, et une classe sociale ouvrière et laborieuse, taillable et corvéable à volonté et qui est vouée à servir les intérêts du grand marché, d’autre part.

    Le modèle chinois est de loin celui qui répond le mieux au modèle capitaliste idéal. Les grands de ce monde (l’hyper classe possédante occidentale) sont intarissables quand il s’agit de vanter le modèle économique chinois.

    L’élite politique chinoise a d’ores et déjà intégré le club de la recomposition de l’ordre mondial nouveau qui a été dessinée et âprement discutée durant de longues années à l’occasion des nombreuses rencontres discrètes ou secrètes qui ont mis en prise les délégations des pouvoirs oligarchiques dominant les démocraties occidentales et celles de leurs homologues chinois, indiens et russes (La Russie s’est retirée de ce marché de dupes sous la Présidence Poutine peu après le second mandat).

    Le développement industriel et manufacturier de la Chine à deux chiffres ou presque a eu pour point de départ les nombreux accords de délocalisation productive visant le transfert des outils de production et de l’intelligence technologique des pays occidentaux en Chine.

    La Chine se soumettait à des concessions en contrepartie de ce qu’elle recevait et qui assurerait aux membres de l’oligarchie chinoise une position qui la placerait à l’égal des oligarques homologues. La Chine devait adhérer au club de l’ordre mondial nouveau sous réserve de négociations, notamment quant à l’étendu des pouvoirs conférés à l’oligarchie chinoise et à l’espace géographique qui sera soumise à son autorité.

    La Chine investit partout en Europe en prenant notamment possession des activités portuaires sous la bénédiction de l’UE et des USA.

     

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  • #1824634
    Le 22 octobre 2017 à 19:10 par The Médiavengers
    Seule la souveraineté est progressiste

    Ah tiens, un texte tiré du GrandSoir.info, le frère ennemi d’E&R. Ce serait tellement bien une conférence commune. On peut rêver.

     

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  • #1824638
    Le 22 octobre 2017 à 19:16 par léon
    Seule la souveraineté est progressiste

    On dit ça, mais le jour ou le marché global sera prêt à acceuillir le continent Africain à part entière bizarrement il n’y a aura plus tant de freins et d’histoires.

    Le temps de l’Afrique viendra,
    Et l’article le dit lui même, cela peut aller très vite, quelques décennies... après est ce que cela a à voir avec les modèles politiques, ou avec le bon vouloir du marché global ?

    Quand il y a aura tant et plus à importer/exporter, ce genre de relations economiques ne suffiront plus.
    Aussi le contrôle social imposera un autre modèle, quand tout le monde aura à y gagner, cela se normalisera, peut importe les politiques en place.

     

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  • #1824917
    Le 23 octobre 2017 à 10:17 par Le Gwen
    Seule la souveraineté est progressiste

    " Seule la souveraineté est progressiste ".

    Je rajouterais, c’est la possibilité d’être adulte ds le concert des nations, c’est survivre ds un monde ou disparait tant de diversité.

    Comment m. Junker de l’U.E , issu du prospère Luxembourg aux 500 000 âmes, comptant donc pour 1 voie au parlement Eur. peut il ne pas envisager la Souveraineté d’une Catalogne Prospère de 7,5 millions ...d’une Bretagne Maritime (Nantes-St.Nazaire..Lorient..Brest..St.Malo..) 4 millions de Bretons aux cultures, langues, patrimoine, histoire..connus et reconnus !..
    Paradoxe flagrant et mépris de ces contribuables,
    Combines..etc
    En crimée de poutine il y a 3 langues officielles, le Tatar, Ukrainien, Russe..en France 1 seule (cas unique ), on fini d’éradiquer les langues locales de façon insidieuse, nos enfants indianisés (3% de bilingue sur une génération en bretagne, leur gd parents..95% !)..
    Albert camus : " la démocratie , ce n’est pas la loi du plus fort, c’est la prise en compte des minorités ".

     

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