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Tareq Oubrou : "Les musulmans doivent adapter leurs pratiques à la société française"

Imam de Bordeaux, Tareq Oubrou est théologien et homme de terrain : une position qui lui permet une prise de distance par rapport aux institutions musulmanes et, notamment, à l’égard de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), dont il est issu. Il vient de publier Profession imâm (Albin Michel, 248 pages, 16 euros), un livre d’entretiens avec deux chercheurs.

Alors que le débat sur le voile intégral pose à nouveau la question de la place de l’islam en France, quel est l’état de la communauté musulmane ?

L’islam en France repose la question de la laïcité. Il a introduit dans la société un sang neuf religieux qui tend à "banaliser" la religion dans l’espace public, même si cela ne veut pas dire qu’elle est acceptée. Il nourrit même un certain retour au christianisme. On peut donc dire que l’islam favorise une forme de désécularisation de la société, tout en attisant l’intégrisme laïc et catholique.

Sur le plan individuel, la religiosité se fait désormais par une approche individuelle ; la sécularisation et la modernité ont plongé les musulmans de France, comme les autres croyants, dans une autonomie, qui les amène à chercher des pratiques religieuses dans un tâtonnement total sans médiation des institutions classiques.

Dans ce contexte, on constate une tentation de crispation et de repli identitaire, qui s’explique aussi par des raisons sociales : plus on est dans la marge, plus on est tenté de construire une religion bouclier contre la société et les institutions. Une nouvelle forme de piétisme se développe dans nos lieux de culte. Il faut canaliser ce mouvement, le modérer, mais non pas chercher à l’éradiquer. Même s’il est difficile de dialoguer avec ces groupes, qui ne sont pas armés théologiquement pour discuter au fond, il ne faut pas les agresser car cela les poussera à se radicaliser. Peut-être cette catégorie de jeunes est-elle le signe d’un certain échec de la communauté à préserver ses fidèles de ce type de religiosité.

Comment faire admettre votre concept de "charia de minorité", qui défend la possibilité de se conformer à la loi islamique et aux valeurs républicaines, à ces nouveaux groupes qui prennent leurs avis religieux sur Internet ou en Arabie saoudite ?

Je pars d’une réalité française laïque, qui met à l’épreuve toute une tradition, pour offrir aux musulmans un système normatif leur permettant de vivre leur islam et leur citoyenneté française. Seuls survivront spirituellement les musulmans qui savent modérer, adapter, et négocier leurs pratiques avec la réalité de la société française. Je n’ai pas d’emprise sur ceux qui ne veulent pas réfléchir à cela et ont décidé d’être contre la société, contre la France et même contre les musulmans qu’ils considèrent trop "light".

Quelle est aujourd’hui votre position sur le port du foulard islamique ?

Si je voulais être provocateur, je pourrais dire aux femmes : mets ton foulard dans ta poche. Aujourd’hui, je dis que c’est une recommandation implicite qui correspond à une éthique de pudeur du moment coranique. Pour autant, une femme qui ne le met pas ne commet pas de faute. Mais, aujourd’hui, la communauté musulmane est fragile, et s’attache à des adjuvants et à des normes. C’est aberrant de réduire une femme musulmane à son foulard ; c’est de l’ignorance. Le foulard n’est pas un objet cultuel, encore moins un symbole de sacré. En outre, cette visibilité est néfaste car, à long terme, cette pratique pose des problèmes spirituels et psychologiques aux femmes qui veulent étudier ou travailler. Je n’ai pas le droit de tromper ces jeunes filles. Le problème, c’est que lorsqu’elles enlèvent le foulard, elles arrêtent aussi de prier. Cela dit, je crois que chacun est libre de s’habiller comme il veut, de choisir la lecture de l’islam qui lui convient, même si je ne la partage pas.

Les jeunes musulmans mettent en avant l’islamophobie dont les pratiquants seraient victimes, ce qui rendrait difficile leur vie en France. Qu’en pensez-vous ?

Le racisme n’est pas une nouveauté, mais l’islamophobie présentée comme un fléau de notre société, je ne la vois pas. Je n’accepte pas cette position victimaire et cette posture de consommation de droits. C’est vrai que les jeunes de la deuxième génération sont enclins à quitter la France, pour l’Angleterre ou un pays musulman. En attendant, certains vivent leur religiosité avec douleur, à cause du climat médiatique et sociétal français, dans lequel la visibilité religieuse devient vite suspecte. Mais je leur dis que le diable est partout ! En outre, l’islamophobie est parfois développée par des musulmans eux-mêmes qui, par leur comportement et leur visibilité, peuvent faire peur à nos concitoyens non musulmans.