Le débat qui a eu lieu à l’antenne de Radio-Sputnik entre Éric Zemmour et moi-même a permis de préciser un certain nombre de choses. Je recommande à mes lecteurs de l’écouter, et de l’écouter soigneusement, car tant les points d’accords que de désaccords sont importants.
Ce débat n’a pas dégénéré. Le mérite en revient à Éric Zemmour qui a su exprimer ses postions avec la carté et la retenue qu’imposaient un tel débat. Il est donc maintenant possible d’en dresser un bilan en distinguant ce sur quoi nous nous sommes entendus et ce sur quoi nous divergeons.
Ce que ce débat ne fut pas
L’animateur avait présenté ce débat comme celui opposant les notions de souveraineté et d’identité. Mais, il est très vite devenu évident qu’il n’y avait sur ce point aucune opposition. Zemmour a défendu explicitement une vision historique de la notion de l’identité à grand renfort de citations d’Ernest Renan et de Marc Bloch. Je suis, bien entendu en parfait accord sur ce point avec lui. Je pense que l’identité est une représentation politique majeure, qui s’est construite sur la mémoire, tant consciente qu’inconsciente, des conflits, des luttes, mais aussi des compromis passés. Les démonstrations de Guizot, qui parle à ce sujet de la « civilisation européenne » [1], mais aussi celles de John Commons [2], sont éclairantes. La question de la « mythification » de cette histoire est en réalité un faux problème, puisqu’il s’agit essentiellement d’une représentation collective, donc d’un fait subjectif. Il ne sert à rien de vouloir chercher ici une quelconque représentation « objective ». Ce serait une contradiction dans les termes.
Nous nous sommes aussi retrouvés pour constater que la souveraineté sans l’identité n’avait guère de sens mais que, inversement, l’identité sans la souveraineté, était une notion vide. Hors antenne, Zemmour m’a reproché de minorer, ou en tous les cas de rabaisser le « souverainisme de l’identité ». Ce n’était pas le sentiment que j’en avais, dans les différents textes que j’ai pu écrire. Mais, si cela fut perçu comme tel, je tiens ici à dire que je considère que la question de l’identité est bien une question légitime, et qu’elle contribue à structurer, à donner du sens, à la notion de souveraineté. Bien entendu, la souveraineté ne se réduit pas à l’identité : elle inclut la dimension sociale et celle des institutions politiques qui concrétisent nos libertés collectives. Mais, la question de l’identité est bien incluse dans la souveraineté. Cependant, cette identité doit se concevoir à la fois comme le produit d’un processus historique (point sur lequel Éric Zemmour et moi sommes d’accord) et comme un processus politique. Il s’agit d’un sentiment qui se définit, en fait, politiquement même si les individus ne le formulent pas nécessairement sous une forme politique.
Première divergence
Si le débat n’a pas été entre l’identité et la souveraineté, sur quoi a-t-il porté ? Il y a eu en réalité, deux débats, un mineur et un majeur. Le débat mineur a porté sur l’échec de Marine le Pen à l’élection présidentielle. Si nous avons été d’accord pour considérer, l’un et l’autre, qu’elle avait fait une erreur majeure dans sa gestion du débat télévisée, nous nous sommes opposés sur la question de l’interprétation des résultats du 1er tour. Éric Zemmour soutient que LES électorats de Jean-Luc Mélenchon sont radicalement opposés à Marine le Pen, et il prétend qu’il y aurait une composante ethnique dans cet électorat qui l’écarterait radicalement de tout ralliement au Front National. Les résultats du 2ème tour semblent lui donner raison, car le pourcentage des électeurs de Jean-Luc Mélenchon s’étant reporté sur Marine le Pen a été faible.
Mais, il faudrait, alors, tenir compte de l’effet catastrophique du débat télévisé. En fait, entre le dimanche soir où ont été connus les résultats du 1er tour et le milieu de la semaine qui a suivi, les intentions de vote pour Marine le Pen sont passées de 36-38 % à 40-42 %. On pouvait penser qu’elle pourrait monter vers 45 %, en particulier si elle avait continué sur sa dynamique d’Amiens. En fait, c’est à partir du moment où Marine le Pen a introduit des éléments de confusions sur la question des retraites, sur la question de l’euro (avec l’impossibilité dans laquelle elles s’est trouvée d’expliquer le passage d’une « monnaie unique » à une « monnaie commune »), que le chiffre de ses intentions de vote a commencé à baisser. Il semble bien qu’à la veille du débat du mercredi soir, elle était repassée sous la barre des 40 %. Dans ces conditions, l’effet de sa prestation lors de ce débat n’a pu qu’accélérer le mouvement. Si, donc, on suit cette analyse, on constate qu’il n’est pas besoin de faire des hypothèses hasardeuses sur la composition ethnique du vote du 1er tour pour Jean-Luc Mélenchon. Si tel avait été la cause, elle se serait manifestée dès le soir du 1er tour.
Je pense qu’ici Éric Zemmour commet deux erreurs. L’une est technique, en cherchant à ethniciser des statistiques dont on ne connaît que la composition géographique, et de plus en se basant sur les résultats de 3 départements. L’autre erreur est politique ; elle consiste à vouloir chercher une explication « fondamentale » à un vote, alors qu’une explication à partir de son contexte politique particulier est amplement suffisante. En fait, et c’est l’avis de Pascal Perrineau dans Le Point [3], le choix stratégique que l’on nomme « ligne Philippot » était bon, mais n’a pas suffi à surmonter le déficit en crédibilité gouvernementale du Front national. C’est cela, aggravé et démultiplié par les reniements ou les ambiguïtés de la deuxième semaine de campagne du 2ème tour et bien entendu par les effets catastrophiques du débat, qui explique le résultat final.
Une opposition irréductible ?
Mais, ce débat est en réalité secondaire par rapport à un débat plus fondamental, qui porte sur l’islam, mais aussi les représentations d’une fraction des musulmans vivant en France. Éric Zemmour a une vision « essentialiste » de l’islam. Et c’est pourquoi, pour amener cette idée, il passe par la case du vote « ethnique ».