Depuis de fort nombreuses années, la question de la relation entre la France et l’Allemagne est clairement vue comme constituant, si ce n’est le cœur, en tous les cas un des moteurs de l’intégration européenne. Or, ce moteur est aujourd’hui en panne et depuis les années 2006-2007. À son sujet, on parle souvent du « couple franco-allemand ». Cette expression découle de la réconciliation franco-allemande, qui se mena sous l’égide du Général de Gaulle et qui aboutit au Traité de l’Élysée signé le 22 janvier 1963. Mais, cette expression est peut-être trompeuse. On constate qu’elle ne caractérise que la partie française dans le débat.
Plusieurs livres ont, ces dernières années, abordé ces questions, qu’il s’agisse d’ouvrages écrits par J-P. Chevènement ou par J-L Mélenchon. Ils montrent à la fois l’importance de cette relation, mais aussi les problèmes multiples qu’elle soulève. C’est pourquoi j’ai consacré deux émissions sur ce thème dans les Chroniques de Jacques Sapir sur Radio-Sputnik.
Le Traité de l’Élysée
Le Traité de l’Élysée a incontestablement marqué une date symbolique importante dans les relations entre les deux pays. Il fut conclu entre deux hommes qui avaient vécu tant la Première que la Deuxième Guerre mondiale, le Général de Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer.
Ce traité était en fait l’aboutissement d’un processus de réconciliation, ou à tous le moins de coopération étroite qui s’était établi depuis le milieu des années 1950. Quand l’Allemagne, à l’époque on parlait de RFA et ce terme impliquait que l’on prenait la division de l’Allemagne en deux États au sérieux, quand donc la RFA fut autorisée à reconstituer son armée, c’est la France qui fournit les avions d’entrainement à réaction de l’aviation. Puis, se développa un important programme de coopération autour d’un avion de transport, le Transall, dont les derniers exemplaires sont sur le point de quitter le service actif dans l’Armée de l’Air. Ce programme est en réalité l’ancêtre d’AIRBUS dont on voit bien qu’il ne doit rien à l’Europe ou à l’Union européenne. De même des coopérations fructueuses s’étaient nouées entre ingénieurs allemands et ingénieurs français dans les années de l’immédiat après-guerre. Les réacteurs ATAR et leurs successeurs à la SNECMA, mais aussi les moteurs fusées, lointains ancêtres de ceux qui propulsent aujourd’hui ARIANE en sont issus. Et l’on doit se poser la question de savoir si, dans le cadre de l’Union européenne de tels efforts de coopération seraient encore possible.
Un traité mort-né ?
Le traité de l’Élysée ne faisait nulle mention de la CEE, de l’OTAN ou du GATT. Ceci était parfaitement intentionnel. Dans l’esprit du Général de Gaulle, il s’agissait de lier les deux pays, et ceci était d’autant plus facile que même si la RFA avait retrouvé une grande puissance économique, elle restait de taille inférieure à l’Allemagne actuelle, pour pouvoir par la suite peser dans les relations internationales.
Le Bundestag, le Parlement allemand en décida autrement. En ratifiant une version modifiée du Traité, avec l’accord tant de la droite allemande que du SPD, il mit brutalement fin à l’espoir du Général de Gaulle pour qui de nombreux allemands avaient une méfiance instinctive, et il posa les germes d’un nouvel affrontement à venir entre les deux Nations. L’Allemagne avait alors choisi les États-Unis contre la France, et ce choix – que l’on peut comprendre du point de vue des intérêts immédiats de l’Allemagne – eut des conséquences considérables pour la suite.
Un couple inexistant ?
La notion de « couple franco-allemand » est donc passée dans le langage commun. Mais, uniquement en France. Dans la presse allemande c’est plutôt l’expression de Partenariat qui est utilisée, mais jamais celle de couple. Il nous faut d’ailleurs regarder le déséquilibre dans le discours et les perceptions entre les deux rives du Rhin. Le cas de la chaîne de télévision Arte est de ce point de vue exemplaire. Chaîne en vision libre en France sur la TNT, elle est reléguée sur le câble en Allemagne. En fait, la vision du « couple » est très différente entre les deux pays, et les français sont sans doute les seuls à croire à son existence. Ces déséquilibres dans la perception de l’autre affectent aussi le projet européen, conçu comme la continuation de la construction étatique en France, mais comme la poursuite de la structure fédérale, héritée du Saint Empire Romain Germanique en Allemagne.
Non que des accords de coopération économique, politique et culturelle ne se soient largement développés entre les deux pays. Mais l’Allemagne, et ceci d’autant plus que la réunification a largement changé la donne, avance pour elle-même et ne tient aucun compte de cette notion de « Couple ».
Le temps de l’affrontement est-il revenu ?
Il faut alors revenir sur la réalité de la relation entre la France et l’Allemagne aujourd’hui, et surtout sur l’influence, que certains jugent bénéfiques, que d’autres jugent perverses, de la politique allemande sur l’Union européenne.
Nous avons tous en mémoire l’extrême brutalité de cette politique vis-à-vis de la Grèce en 2015. L’inflexibilité du gouvernement allemand, couplée il faut le dire à la faiblesse et à la pusillanimité du Premier ministre Grec, Alexis Tsipras, ont abouti à la capitulation de ce dernier pays devant les exigences allemandes.
Au-delà, la politique économique de l’Allemagne pose problème. Ce pays, devant lequel nombre de candidats à l’élection présidentielle française font aujourd’hui révérence, ainsi en est-il de François Fillon et d’Emmanuel Macron, et ainsi en serait-il d’Alain Juppé s’il devait être candidat, mène en réalité une politique mercantiliste qui est désastreuse pour la zone Euro tout comme pour l’ensemble de l’Union européenne.
On voit bien que cette politique ne saurait être imitée. Si tous les autres pays se livraient à la même politique, cela plongerait immédiatement l’UE dans une crise d’une violence encore jamais vue.
Mais alors, comment faire entendre raison aux dirigeants allemands, et plus profondément au peuple allemand ? Est-il possible de la faire par une simple coopération, par des discussions, ou le temps de l’épreuve de force n’est-il pas revenu ? La question de l’euro joue ici un rôle essentiel. Car, l’euro est bien le pivot de la politique allemande.
Pour discuter de ces diverses problèmes, j’ai reçu Eric M. Stephan Martens, professeur de civilisation allemande contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise pour parler de l’historique de la relation franco-allemande depuis 1945, puis Coralie Delaume, blogueuse, journaliste et spécialiste de la gouvernance économique européenne et Liem Hoang-Ngoc, ancien député européen et responsable des questions économiques dans l’équipe de campagne de la France insoumise, pour aborder l’état de la question aujourd’hui.
On peut écouter la première partie de l’émission, avec le professeur Martens ici :
Et la seconde, avec Coralie Delaume, blogueuse et Liem Hoang-Ngoc, économiste, ici :