Ce mois-ci, le tabloïd hebdomadaire américain National Enquirer accuse Johnson d’être le cerveau de l’assassinat de Kennedy, avec la complicité de son ami Edgar Hoover, le directeur inamovible du FBI, et d’Allen Dulles, le directeur de la CIA viré par Kennedy en 1961.
Signalons que le National Enquirer est la propriété de David Pecker, un ami de Donald Trump (et l’ennemi de ses ennemis, comme Jeff Bezos, qui l’accuse aujourd’hui de chantage). On peut donc se demander si Trump, ayant été empêché de déclassifier les archives les plus sensibles sur Kennedy en 2017, comme la loi le prévoyait, n’utilise pas ce canal pour en faire sortir la substantifique moelle.
C’est le second numéro en deux mois consacré à l’affaire par le National Enquirer. Le numéro du 18 novembre 2019 lui consacrait une double page, en s’appuyant sur un livre récent de Jacob Hornberger, The Kennedy Autopsy 2 : LBJ’s Role in the Assassination, qui démontre de façon rigoureuse que Johnson a personnellement ordonné aux membres du Secret Service d’arracher, en violation de la loi et sous la menace des armes, le corps de Kennedy des mains des docteurs légistes de l’hôpital de Dallas, pour le transférer à l’hôpital de la Navy à Washington où a été produite, sous l’étroite surveillance des complices de Johnson à la Navy, l’autopsie falsifiée visant à masquer le trajet de la balle mortelle.
Ce livre ajoute un argument de poids à la liste des ouvrages incriminant directement Johnson (parmi lesquels citons ceux de William Reymond en français, toujours disponibles et très recommandables), une thèse qui prend peu à peu le dessus sur celle de la CIA dans la prose grand public. À ce sujet, j’ai dit dans le film que la thèse CIA a été surjouée pour détourner les regards des indices menant à Israël (ce qui n’innocente évidemment pas les éléments criminels de la CIA loyaux à Allen Dulles). Mais il s’agissait surtout, jusqu’en 1968, de contrer la thèse de la culpabilité de Johnson, qui était dans tous les esprits, et surtout les esprits texans. La thèse CIA, telle qu’elle est encore véhiculée par exemple par James Douglass (dans JFK et l’Indicible, un livre qui mérite néanmoins lecture pour le portrait de Kennedy en pacifiste déterminé à dénucléariser le monde) s’oppose en effet à la thèse Johnson en prétendant que Johnson aurait déjoué le plan de la CIA de faire de l’assassinat de Kennedy une opération sous fausse bannière communiste servant de prétexte à l’invasion de Cuba.
Bien sûr, il n’est pas question d’Israël dans les articles du National Enquirer, pas plus que dans les principaux livres incriminant Johnson. Mais les preuves de la culpabilité de Johnson ne peuvent manquer de croiser un jour ou l’autre celles de l’incroyable complicité entre Johnson et Israël, qui font partie, elles, de l’histoire officielle. Les deux choses s’assemblent comme le tenon et la mortaise. Même le financement de Johnson par Abraham Feinberg (cité comme un homme clé du projet Dimona par Avner Cohen dans Israel and the Bomb et par Michael Karpin dans The Bomb in the Basement) est documenté dans les livres mainstream.
Les Israéliens sont d’ailleurs très candides au sujet de la politique pro-israélienne de Johnson. Pour tout ce qu’il a fait pour Israël, Johnson reçoit régulièrement les louanges posthumes de la presse juive internationale. Le Jerusalem Post lui rendait hommage sous le titre « Un ami dans les actes : de nouvelles preuves révèlent l’aide incroyable que Lyndon Johnson a apporté aux juifs » :
La Jewish Telegraphic Agency titre en 2018 : « Lyndon Johnson : pas de meilleur ami », soulignant que Johnson était « le président américain le plus intensément connecté à Israël » – comprendre : le seul qu’il n’était pas nécessaire de faire chanter pour obtenir de lui toutes les faveurs. La page est illustrée par la photo de Johnson en compagnie du Premier ministre israélien Levi Eshkol, expliquant que « les deux hommes s’entendirent si bien que Johnson offrit à Eshkol le rare privilège de l’inviter à son ranch. » C’était en janvier 1968, au moment même où Johnson étouffait le crime d’Israël contre le USS Liberty en juin 1967 – mais ça, l’article ne le dit pas. L’auteur, au doux nom de Lenni Ben-David, rappelle aussi avec émotion que « LBJ abandonna les pressions sur Israël pour l’inspection de son réacteur Dimona. Il augmenta les ventes d’armes à Israël et en 1968, […] les États-Unis devinrent le principal fournisseur d’armement d’Israël. »
De manière tout à fait plausible, certains sites vont jusqu’à présenter Lyndon Baines Johnson comme un crypto-juif issu d’une lignée juive par sa mère Rebekah Baines (dont il porte le nom), mais aussi partiellement par son père, dont la sœur était membre de la Zionist Organization of America. Johnson n’a-t-il pas, un mois seulement après l’assassinat de Kennedy, inauguré une synagogue à Austin [1] ? Tout cela est écrit non seulement dans l’article du 5 Towns Jewish Times cité dans le film, mais encore dans cet article de l’Arizona Jewish Life :
Parmi toutes les choses merveilleuses que Lyndon Baines Johnson a fait pour Israël, orchestrer et couvrir l’assassinat de Kennedy n’est pas mentionné. Cela fait partie, comme le vrai nom de Jack Ruby et sa connexion israélienne, de cet ensemble de choses que l’on sait ou devine mais que l’on ne dit pas en présence des Goyim parce que les Goyim ne peuvent pas comprendre la moralité supérieure du peuple élu.
L’idée de tuer un président américain hostile à Israël pour le remplacer par son vice-président secrètement vendu à Israël est si naturelle, si conforme aux plans divins, qu’Andrew Adler, propriétaire et rédacteur en chef du quotidien The Atlanta Jewish Times, agacé par les réticences d’Obama à bombarder l’Iran, l’avait suggérée candidement à Benyamin Netanyahou dans son éditorial du 13 janvier 2012 :
« Allez ! Donnez votre accord (the go-ahead) pour que des agents du Mossad basés aux États-Unis éliminent un président jugé inamical envers Israël, afin que le vice-président prenne sa place et dicte avec force que la politique des États-Unis inclut le fait d’aider l’État juif à annihiler (obliterate) ses ennemis [2]. […] Ordonnez le meurtre (a hit) du président afin de préserver l’existence d’Israël ».
Adler n’allait pas jusqu’à recommander explicitement à Netanyahou qu’il s’inspire de Ben Gourion, mais c’était l’idée. Il va d’ailleurs de soi, selon lui, que l’option « a été discutée dans les cercles les plus secrets d’Israël » (Israel’s most inner circles).
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