Le 9 juillet dernier, les recours en excès de pouvoir pour la dissolution de Troisième Voie, du JNR et d’Envie de Rêver ont été examinés par le conseil d’État.
Pourtant convaincu que la cause était entendue en notre défaveur, tant le Conseil d’État ne s’est pas illustré récemment par son ardeur à défendre les libertés publiques, je me suis néanmoins rendu à l’audience. J’étais en effet curieux d’entendre justifier l’inacceptable et la casuistique du rapporteur public Édouard Crépey. Je rappellerai que dans cette partie d’échecs juridique, le pouvoir est à la fois partie, et juge, puisque le Premier ministre en est officiellement le président. Premier ministre qui fut il y a un an l’instigateur même de ces dissolutions, en tant que ministre de l’intérieur : Valls.
Tout le monde se rappelle en effet de l’affaire Méric. Le 5 juin 2013, une bande de nervis antifas agressent des jeunes patriotes à la sortie d’une vente privée. Malheureusement pour eux leur agression fait long feu, au point que l’un des agresseurs y laisse la vie. La rouerie politique de Valls lui fait alors amalgamer ce fait divers à une violence portée par « l’extrême-droite » et les manifestants anti mariage-gay.
Quelques heures après le drame, il nomme, avant même le début de l’enquête, les JNR comme les auteurs de cet « assassinat ». Une condamnation en dehors de toute enquête, instruction et jugement, qui s’effondre dès le lendemain, lorsque les enquêteurs m’entendent et confirment ma version selon laquelle aucun membre des JNR n’est impliqué de près ou de loin dans la rixe.
La communication du ministre de l’intérieur Valls est néanmoins lancée : il a promis une dissolution, elle doit avoir lieu. Que de tels procédés politiques n’aient rien à voir avec les principes républicains, mais tout à voir avec ceux des régimes totalitaires ne le gêne absolument pas : quelques jours après la mort de Clément Méric, je reçois la notification de dissolution des JNR, puis de Troisième Voie et enfin d’Envie de Rêver, l’association qui gère le Local.
Malgré les sorties à l’emporte-pièce de tout le gouvernement, il est juridiquement impossible de dissoudre quelque association que ce soit au motif qu’un membre réel ou supposé de celle-ci aurait commis un crime ou un délit, ou serait soupçonné de l’avoir fait. La procédure de dissolution accuse donc les JNR, Troisième Voie et Envie de Rêver « d’inciter à la haine et la discrimination en vue de la condition d’immigré (sic) » et d’être une ligue factieuse, ce qui permet de dissoudre par voie autoritaire. On cache la vraie mauvaise raison, derrière la fausse bonne raison. Cette procédure est donc dès son commencement fondée sur un mensonge.
Il faut, pour être une ligue et être dissous comme tel, correspondre à plusieurs critères : revendiquer publiquement son hostilité à la République et à la démocratie, inciter à la haine et à la discrimination, et être une organisation structurée, hiérarchisée et entrainée en vue de la préparation d’un coup d’État.
C’est sur cette définition que commence la partie d’échecs.
Le rapporteur public commence par soutenir que les JNR, qui n’étaient en réalité que le service d’ordre de Troisième Voie, comme il en existe dans tous les partis, syndicats et associations de concerts, étaient en fait une ligue parce qu’ils recevaient leurs ordres de moi. Démonstration éminemment farfelue quand on sait que tous les service d’ordre ont un responsable qui donne les directives. Si l’on poussait la démonstration du rapporteur public à son terme, il faudrait alors dissoudre Sécuritas et bien d’autres… Il appuie, sans crainte du ridicule, sa démonstration sur le physique « patibulaire » des membres du JNR, ainsi que sur la couleur du pantalon, trop noire à son goût, renforcée par celle du blouson, « qui est noire aussi ».
De notre côté, nous avançons que tout service d’ordre ou agent de sécurité porte une tenue spécifique, qui le fait reconnaître de loin et lui assure l’autorité nécessaire dans le cadre de sa mission. En l’occurrence une tenue souvent noire. C’est le cas de beaucoup d’agents de sécurité officiant dans les supermarchés et les parkings. Nous ajoutons que la hiérarchie existe dans toute société et notamment dans les services d’ordres, y compris celui du Parti Socialiste, qui protège Valls lors de ses meetings. Nous nous défendons également de suivre un entrainement groupé, et plus encore de préparer un coup d’État contre la République et la démocratie.
Notre bonne foi et les évidences n’ébranlent pourtant pas le rapporteur public Crépey. C’est acquis, la tenue noire symbolise une allégeance au fascisme, et il n’ y a qu’à regarder les photos du JNR pour voir qu’ils s’entrainent ensemble, sont prêts aux « coups de main » attendent mes ordres… D’où lui vient cette assurance ? Des notes blanches, c’est-à-dire des notes confidentielles rédigées par la DCRI. Des notes non-signées, bien évidemment. On ne peut donc ni savoir qui est responsable de ces propos et même si cette personne existe réellement. Reconnaître la moindre valeur à ces notes de basse police prouve que notre pays glisse vers un État de plus en plus policier.
Faute de démonstration, le rapporteur public gonfle alors artificiellement ses accusations d’éléments contextuels, comme les arrestations d’individus sans liens avérés avec l’organisation. Une grande majorité des noms cités dans cette litanie de faits divers insignifiants m’étaient mêmes inconnus. De surcroît, la quasi-totalité des affaires n’avaient débouchées sur aucune condamnation, ce qui empêche toute vérification des allégations du rapporteur.
Le comble de la mauvaise foi et de la maladresse est atteint lorsque le rapporteur public entreprend de retourner contre moi mes propres déclarations. « Si je reprend les déclarations de monsieur Ayoub, le JNR est le service d’ordre de Troisième Voie et donc fait partie intégrante de ce mouvement. Si c’est le cas, en application de la jurisprudence sur la dissolution du SAC, et au vue des preuves que nous venons d’apporter (sic) nous confirmons le décret de dissolution du JNR en tant que milice et par voie de conséquence du mouvement Troisième Voie dont il est partie intégrante. »
Le rapporteur public Crépey commet pourtant de nombreuses erreurs à travers ces propositions.
1ère erreur : la dissolution de Troisième Voie « par contagion »… de son propre service d’ordre. Plus qu’une erreur, c’est un scandale car cette notion de contagion n’existe pas dans le droit français. De plus, lorsqu’en 1995 la dissolution du DPS, le service d’ordre du Front National, avait été envisagée, il n’avait jamais été question de la dissolution « par contagion » du parti politique de Jean-Marie Le Pen.
Seconde erreur, l’évocation de la jurisprudence de la dissolution du SAC, groupement lié au RPR à l’époque. La dissolution du Sac est en effet consécutive au massacre appelé la tuerie d’Auriol en avril 1981. On est bien loin de la rixe accidentelle de Caumartin. Les barbouzeries du SAC, véritable police parallèle dans les années 60 et 70, sont bien loin aussi des activités des JNR ! On ne peut donc évoquer l’exemple de la dissolution du SAC qu’à la décharge du groupement JNR et de l’association Troisième Voie, tant les caractéristiques du premier sont éloignées de celles des seconds.
Troisième erreur : le rapporteur évoque la dissolution du SAC, qui n’a pas mené à la moindre menace de dissolution contre le RPR, pour justifier la dissolution « par contagion » de Troisième Voie ! Ainsi, en appliquant comme il le souhaite la jurisprudence de la dissolution du SAC, il n’y a pas lieu de dissoudre Troisième Voie.
J’ajouterai que le rapporteur public a admis que rien, ni dans mes propos ni dans mes actes, ne pouvait relever de l’incitation à la haine ou la discrimination contre les étrangers. Rien non plus dans les pièces justificatives de l’activité de notre mouvement politique et de son service d’ordre. Le rapporteur public n’a pas non plus contesté la sincérité de notre attachement aux principes fondamentaux de la république et de la démocratie, revendiqué à de nombreuses reprises dans nos écrits. S’il ne l’a pas contesté, c’est qu’il l’a donc admis.
Si les JNR, partie intégrante de Troisième Voie, n’incitent pas à la haine et n’ont pas pour but de fomenter un coup d’État contre la République et la démocratie qu’ils revendiquent de défendre, alors ils ne sont donc plus une milice. En effet personne ne pourrait croire que des mines jugées patibulaires et des blousons noirs suffisent à définir une milice…
Enfin et surtout, il y a un point fondamental qui mine cette procédure de dissolution contre Troisième Voie et le JNR, depuis le début. La liberté d’association est en effet une liberté fondamentale qui a valeur constitutionnelle. Cette liberté permet à tout citoyen de créer une association comme il le veut, librement et de la dissoudre à sa guise. Ainsi lorsque j’ai dissous pour l’honneur, en bonne et due forme et avant la décision du conseil des ministres, l’association Troisième Voie et son service d’ordre les JNR, la procédure de dissolution administrative a perdue sa raison d’être. On ne fusille pas un mort…
C’est cette thèse que nous avons soutenue et qui a bien embarrassé notre rapporteur public. Il l’a reconnu cette configuration est « nouvelle, intéressante, et embarrassante » pour le gouvernement.
Notre rapporteur public y a répondu avec un argument à sa mesure. Selon lui il ne faut pas tenir compte de cette dissolution volontaire, car tout le monde en profiterait alors pour se dissoudre et éviter ainsi une condamnation pour reconstitution de ligue dissoute. La raison invoquée par Ayoub, l’honneur, pour expliquer et justifier l’autodissolution, ne serait aux yeux du gouvernement qu’une manœuvre.
Mais comment ce personnage se permet-il de supputer, d’imaginer ? Nous sommes au Conseil d’État, pas chez Thierry Ardisson, seul comptent les faits et aucunement les interprétations sans fondement. J’admets que la notion d’honneur soit si étrangère à nos différents gouvernants qu’elle puisse leur paraître une manœuvre, mais en l’occurrence ce n’est pas le cas. Surtout je rappellerai à ce rapporteur quelques fondamentaux de droits : lorsque la dissolution est volontaire, il n’est en aucun cas question que sa validité soit subordonnée au but poursuivi. C’est pourtant ce que soutient le représentant du gouvernement Edouard Crépey.
En effet, pour dissoudre administrativement Troisième Voie et les JNR, il faudrait pour cela invalider la procédure de dissolution volontaire au motif que l’intention de cette dissolution volontaire ne serait qu’une manœuvre et ne serait pas en quelque sorte « sincère ». Autant dire que c’est impossible à prouver. La légalité d’une dissolution volontaire ne peut être affectée par cette perspective, ce qui compte c’est le respect des conditions prévues dans le contrat d’association initial. Si le droit est respecté, il n’y a donc pas la possibilité juridique de dissoudre une seconde fois Troisième Voie. Tel est le cas en l’espèce.
De plus, aucun élément des observations présentées par Troisième Voie et les JNR n’accrédite cette thèse. C’est donc une pure affabulation du sieur Crépey. Par suite, les conclusions qui proposent de déclarer nulle et non avenue la dissolution volontaire de Troisième Voie et des JNR doivent être écartées.
Le rapporteur public reconnaît lui-même que la faculté d’autodissoudre son association relève bien d’une liberté fondamentale, puisqu’il propose en réalité de dissoudre Troisième Voie non plus en tant qu’association loi 1901, mais en tant que groupement de fait qui aurait « survécu à l’autodissolution ». Il admet donc que dissoudre administrativement une association déjà dissoute « de son plein gré » est une impasse juridique. Mais il reconnaît aussi que Troisième Voie a cessé toute activité politique depuis son autodissolution, et donc que Troisième Voie n’a pas perduré comme groupement de fait. Il y a tout de même une incohérence de taille à vouloir dissoudre un mouvement en tant que groupement de fait tout en reconnaissant que ce groupement de fait n’a aucune existence réelle.
Défait, le rapporteur public ose alors déclarer que nos observations aussi intéressantes soient-elles ne pouvaient être retenues, car elles émanent de « personnages » comme nous. Je me permet de rappeler à ce bonhomme ce qu’il semble avoir oublié et qui est le B.A.BA en la matière, que le recours pour excès de pouvoir est un recours dirigé contre un acte (in rem) et qu’il ne doit pas prendre en considération la personne du requérant. Le recours n’est pas in personam comme l’est une décision en matière pénale. Les conclusions du rapporteur violent donc ce principe du contentieux qui ne peut être contesté.
Dans un État de droit, je serais sûr de la victoire, mais aujourd’hui, même au conseil d’État, on ne peut plus savoir qui sera échec et mat, du gouvernement ou de la démocratie ?
Malheureusement, j’ai mon idée sur l’issue de la délibération qui devrait avoir lieu dans les prochains jours. J’en veux pour preuve les propos hallucinants du rapporteur public au sujet de la dissolution d’Envie de rêver, l’association qui gérait le Local. Le rapporteur lui-même propose en effet l’annulation de cette dissolution au Conseil d’État, tant celle-ci ne tient pas juridiquement, tout en s’excusant du fait que cette annulation « pourrait faire croire à une victoire pour les gens de ces idées-là ». Ce jour-là, au conseil d’État, sanctuaire théorique de la République, de la démocratie et des libertés publiques, je n’ai vu qu’une casuistique dirigée contre un ennemi politique.
Dont acte.