Comment le président de la République peut-il décider seul, alors que le peuple français a juridiquement rejeté l’intégralité du traité, de faire cependant ratifier par voie parlementaire la majeure partie des dispositions qu’il contenait au motif que celles-ci « n’auraient pas fait l’objet de contestations » ? Anne-Marie Le Pourhiet juge que le nouveau traité européen, rédigé à dessein de façon extrêmement complexe, reprend la quasi-totalité des mesures rejettées en 2005, et elle conteste la légitimité d’une ratification parlementaire.
Le projet de « traité modificatif » (reform treaty) européen a été rendu public le vendredi 5 octobre. On comprend à sa lecture pourquoi ses rédacteurs ont renoncé aux expressions de « mini-traité » ou de « traité simplifié » puisqu’il ne comporte, avec ses douze protocoles et ses 25 déclarations diverses, pas moins de 256 pages et qu’en matière de complexité rédactionnelle on peut difficilement faire pire.
Dans la mesure où ce texte se borne en réalité à recopier sous une autre forme les trois quarts des dispositions du traité établissant une constitution pour l’Europe, il eût certainement été plus simple de reprendre le texte initial en en rayant seulement les dispositions symboliques abandonnées. On comprend cependant que cette formule ait été écartée car elle aurait manifesté de façon trop criante que l’on se moquait ouvertement de la volonté des peuples français et néerlandais.
Les rédacteurs ont donc préféré concocter une formule compliquée qui modifie d’une part le traité sur l’Union européenne (traité UE) et d’autre part le traité instituant la communauté européenne (traité CE), lequel s’intitulera désormais « traité sur le fonctionnement de l’Union ». La supercherie apparaît clairement avec la Charte des droits fondamentaux qui n’est plus incluse dans les traités mais apparaît dans l’article 6 du texte de la façon suivante : « L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, laquelle a la même valeur juridique que les traités » ... Un traité affirme donc qu’une charte qui lui reste extérieure a cependant la même valeur juridique que les traités qu’il modifie ! On n’a jamais vu de procédé juridique plus tordu, même dans les récentes révisions de la Constitution française qui ont pourtant révélé au plus haut niveau normatif l’invasion de notre pays par le « maldroit ». Le protocole n°7 prévoyant cependant que la Charte ne permet ni à la Cour de justice européenne ni aux juridictions britanniques et polonaises d’écarter l’application d’actes nationaux de ces deux pays jugés incompatibles avec ladite charte, provoque un pincement de cœur. Tout se passe comme si le « non » des Français avait servi à d’autres mais pas à eux, quelle humiliation !
Le « traité modificatif » modifie bien le traité constitutionnel rejeté en 2005 puisqu’il en enlève un certain nombre de dispositions explicites et dispense la Pologne et le Royaume-Uni du respect de certains engagements. C’est donc une modification par simple soustraction en ce sens que l’on s’apprête à faire ratifier par le parlement français un traité partiel aux lieu et place du traité complet initial.
Une question fondamentale se pose dès lors : comment le président de la République peut-il décider seul, alors que le peuple français a juridiquement rejeté l’intégralité du traité, de faire cependant ratifier par voie parlementaire la majeure partie des dispositions qu’il contenait au motif que celles-ci « n’auraient pas fait l’objet de contestations » ? Chacun a pu constater, durant la campagne référendaire, que toutes les dispositions étaient critiquées : les uns se focalisaient davantage sur la charte des droits fondamentaux et les politiques communautaires, les autres sur les transferts de compétence, le passage de l’unanimité à la majorité et le déficit démocratique, d’autres encore s’offusquaient des principes et symboles fédéraux. On pouvait peut-être apercevoir que le « non » de gauche déplorait davantage la menace sur l’Etat-providence et le « non » de droite la perte de l’Etat régalien, mais il est certainement impossible et inconcevable de sonder le cerveau de chaque Français en prétendant y déceler des dispositions qu’il aurait rejetées et d’autres qu’il aurait approuvées. La démarche du président de la République prétendant interpréter seul la volonté du peuple français est totalement arbitraire et confine à la dictature. Lorsque l’on sait que la Constitution californienne prévoit qu’une norme adoptée par référendum ne peut être par la suite abrogée ou modifiée que par une autre décision populaire et que la Cour constitutionnelle italienne adopte le même principe, on ne peut qu’être bouleversé par le coup d’Etat ainsi perpétré en France. Si le président a la conviction que les dispositions restant dans le traité modificatif ont fait l’objet d’une approbation implicite des Français, encore faut-il qu’il s’en assure en organisant un nouveau référendum tendant à obtenir leur accord explicite.
Comment qualifier et sanctionner, dès lors, un tel coup d’Etat ? Le texte de la très populaire Constitution de 1793 n’y allait pas de main morte en disposant, dans son article 27 : « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres ». La peine de mort étant désormais prohibée par la Constitution française il convient de s’y conformer et de se tourner plutôt vers l’article 35 du texte de 1793 qui affirmait solennellement : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée au préambule de l’actuelle Constitution, range aussi la résistance à l’oppression parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme.
Notre texte constitutionnel affirme encore que le principe de la République est « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » et que son président est élu au suffrage universel direct pour veiller au respect de la Constitution, assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat et garantir l’indépendance nationale. Le terme qui vient à l’esprit pour désigner le mépris présidentiel de la volonté populaire est évidemment celui de haute trahison. Malheureusement, une révision des dispositions sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat, intervenue en février 2007, a substitué à l’antique et belle formule de haute trahison, l’expression affadie et banale de « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat ». Cela manque singulièrement d’allure et de force mais l’on s’en contentera cependant en proposant aux parlementaires, au lieu de commettre eux-mêmes une forfaiture en autorisant la ratification d’un traité rejeté par leurs mandants, de se constituer en Haute Cour pour sanctionner le coupable.
Sans insurrection ni destitution, nous n’aurons alors plus qu’à pleurer sur notre servitude volontaire en réalisant que nos élus représentent bien ce que nous sommes nous-mêmes devenus : des godillots.
COMITE VALMY
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, Marianne2, 9 octobre 2007
Le projet de « traité modificatif » (reform treaty) européen a été rendu public le vendredi 5 octobre. On comprend à sa lecture pourquoi ses rédacteurs ont renoncé aux expressions de « mini-traité » ou de « traité simplifié » puisqu’il ne comporte, avec ses douze protocoles et ses 25 déclarations diverses, pas moins de 256 pages et qu’en matière de complexité rédactionnelle on peut difficilement faire pire.
Dans la mesure où ce texte se borne en réalité à recopier sous une autre forme les trois quarts des dispositions du traité établissant une constitution pour l’Europe, il eût certainement été plus simple de reprendre le texte initial en en rayant seulement les dispositions symboliques abandonnées. On comprend cependant que cette formule ait été écartée car elle aurait manifesté de façon trop criante que l’on se moquait ouvertement de la volonté des peuples français et néerlandais.
Les rédacteurs ont donc préféré concocter une formule compliquée qui modifie d’une part le traité sur l’Union européenne (traité UE) et d’autre part le traité instituant la communauté européenne (traité CE), lequel s’intitulera désormais « traité sur le fonctionnement de l’Union ». La supercherie apparaît clairement avec la Charte des droits fondamentaux qui n’est plus incluse dans les traités mais apparaît dans l’article 6 du texte de la façon suivante : « L’Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7 décembre 2000, laquelle a la même valeur juridique que les traités » ... Un traité affirme donc qu’une charte qui lui reste extérieure a cependant la même valeur juridique que les traités qu’il modifie ! On n’a jamais vu de procédé juridique plus tordu, même dans les récentes révisions de la Constitution française qui ont pourtant révélé au plus haut niveau normatif l’invasion de notre pays par le « maldroit ». Le protocole n°7 prévoyant cependant que la Charte ne permet ni à la Cour de justice européenne ni aux juridictions britanniques et polonaises d’écarter l’application d’actes nationaux de ces deux pays jugés incompatibles avec ladite charte, provoque un pincement de cœur. Tout se passe comme si le « non » des Français avait servi à d’autres mais pas à eux, quelle humiliation !
Le « traité modificatif » modifie bien le traité constitutionnel rejeté en 2005 puisqu’il en enlève un certain nombre de dispositions explicites et dispense la Pologne et le Royaume-Uni du respect de certains engagements. C’est donc une modification par simple soustraction en ce sens que l’on s’apprête à faire ratifier par le parlement français un traité partiel aux lieu et place du traité complet initial.
Une question fondamentale se pose dès lors : comment le président de la République peut-il décider seul, alors que le peuple français a juridiquement rejeté l’intégralité du traité, de faire cependant ratifier par voie parlementaire la majeure partie des dispositions qu’il contenait au motif que celles-ci « n’auraient pas fait l’objet de contestations » ? Chacun a pu constater, durant la campagne référendaire, que toutes les dispositions étaient critiquées : les uns se focalisaient davantage sur la charte des droits fondamentaux et les politiques communautaires, les autres sur les transferts de compétence, le passage de l’unanimité à la majorité et le déficit démocratique, d’autres encore s’offusquaient des principes et symboles fédéraux. On pouvait peut-être apercevoir que le « non » de gauche déplorait davantage la menace sur l’Etat-providence et le « non » de droite la perte de l’Etat régalien, mais il est certainement impossible et inconcevable de sonder le cerveau de chaque Français en prétendant y déceler des dispositions qu’il aurait rejetées et d’autres qu’il aurait approuvées. La démarche du président de la République prétendant interpréter seul la volonté du peuple français est totalement arbitraire et confine à la dictature. Lorsque l’on sait que la Constitution californienne prévoit qu’une norme adoptée par référendum ne peut être par la suite abrogée ou modifiée que par une autre décision populaire et que la Cour constitutionnelle italienne adopte le même principe, on ne peut qu’être bouleversé par le coup d’Etat ainsi perpétré en France. Si le président a la conviction que les dispositions restant dans le traité modificatif ont fait l’objet d’une approbation implicite des Français, encore faut-il qu’il s’en assure en organisant un nouveau référendum tendant à obtenir leur accord explicite.
Comment qualifier et sanctionner, dès lors, un tel coup d’Etat ? Le texte de la très populaire Constitution de 1793 n’y allait pas de main morte en disposant, dans son article 27 : « Que tout individu qui usurperait la souveraineté soit à l’instant mis à mort par les hommes libres ». La peine de mort étant désormais prohibée par la Constitution française il convient de s’y conformer et de se tourner plutôt vers l’article 35 du texte de 1793 qui affirmait solennellement : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée au préambule de l’actuelle Constitution, range aussi la résistance à l’oppression parmi les droits naturels et imprescriptibles de l’homme.
Notre texte constitutionnel affirme encore que le principe de la République est « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple » et que son président est élu au suffrage universel direct pour veiller au respect de la Constitution, assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l’Etat et garantir l’indépendance nationale. Le terme qui vient à l’esprit pour désigner le mépris présidentiel de la volonté populaire est évidemment celui de haute trahison. Malheureusement, une révision des dispositions sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat, intervenue en février 2007, a substitué à l’antique et belle formule de haute trahison, l’expression affadie et banale de « manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat ». Cela manque singulièrement d’allure et de force mais l’on s’en contentera cependant en proposant aux parlementaires, au lieu de commettre eux-mêmes une forfaiture en autorisant la ratification d’un traité rejeté par leurs mandants, de se constituer en Haute Cour pour sanctionner le coupable.
Sans insurrection ni destitution, nous n’aurons alors plus qu’à pleurer sur notre servitude volontaire en réalisant que nos élus représentent bien ce que nous sommes nous-mêmes devenus : des godillots.
COMITE VALMY
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, Marianne2, 9 octobre 2007