Dans un article récent [1], il était fait état d’un concept anglo-saxon plein d’avenir qui propose aux étudiantes – et étudiants [2] – désargentées nord-américaines de devenir « sugar baby » sur un site de rencontres spécialisé. L’objectif pour les jeunes femmes : trouver un « sugar daddy [3] » qui financerait leurs études.
La nature prostitutionnelle du rapport qui s’établit entre les jeunes gens et leurs mentors plus âgés semble inhérente à une telle mise en relation. Pourtant, le porte-parole du site se défend hypocritement que « le sexe » soit « un préalable pour toute rencontre ». Pour l’année 2012 « à Montréal, près 16 500 jeunes femmes étaient abonnées à ce site pour 2 000 “sugar daddies”, un ratio de 8 pour 1. Pour l’ensemble du Canada, ce ratio montait à 10 pour 1 300 000 abonnées cherchant les faveurs [matérielles] de 30 000 hommes matures. » Mensonge manifeste donc, car difficile pour des jeunes femmes dans la précarité et en compétition dans cette recherche d’un « sponsor » les unes avec les autres, de résister longtemps à une « proposition malhonnête », alléchante mais conditionnée, même si leur intention première était de ne pas s’y laisser prendre : loi de l’offre et de la demande oblige ! Et l’argument des quelques mariages allégués par le site – une douzaine par an pour des milliers d’abonnés – qui finalisent parfois ces rencontres n’est que celui de l’exception qui confirme la règle !
La mondialisation de la crise faisant le larron, ce site sévit également en France. En effet, dans un communiqué de presse (diffusé par mail) à l’occasion de son lancement officiel dans notre plus si beau pays, il est dit :
« Les étudiantes universitaires en France font face à une augmentation du coût de la vie une fois et demie plus rapide que l’inflation, et une augmentation des dépenses de 2 % jusqu’à une moyenne de 2 481,3 euros au début de l’année universitaire 2013-2014. Environ un million d’étudiantes ont démarré la nouvelle année universitaire en France, en dépit du financement limité. Certaines étudiantes ont trouvé un moyen d’éviter le stress financier. Plus de 7 490 étudiantes en France se tournent vers les sugar daddies pour subventionner la hausse de leurs coûts […] Paris a vu la plus grande concentration de ces étudiantes, et 9% de la population des sugar babies étudiantes y résident.[…]
Le fondateur et PDG du site […], soutient qu’il y a une corrélation directe entre l’augmentation des inscriptions de sugar babies et l’augmentation des frais des étudiantes […]. Les sugar daddies fournissent de vraies solutions au problème de l’endettement des étudiantes. […] La sugar baby moyenne en France reçoit 3 600 € par mois en allocation et en cadeaux de la part de son sugar daddy pour l’aider à couvrir ses frais, comme le logement et le transport. Nous aidons non seulement les étudiantes à rester libres financièrement, mais nous soulageons également le gouvernement de la charge des prêts non-remboursés…[…] Si moins d’étudiantes dépendent de prêts et si plus de diplômés remboursent les leurs, alors le budget éducatif d’ensemble serait considérablement réduit. »
On reste confondu devant un tel argument « publicitaire » : les sugar daddies sont d’utilité publique !
- Une photo explicite du site qui ne laisse guère de doute sur ce qu’est censée offrir (et recevoir) une
sugar baby
Comble d’hypocrisie, le site « a cherché à redéfinir ce qu’être un sugar daddy, en redéfinissant le terme moderne sugar daddy en une sorte de mentor, de sponsor, ou de bienfaiteur qui est toujours respectueux, généreux, et qui cherche à responsabiliser les autres ». De vrais philanthropes ! De quoi décomplexer – s’il le fallait – ces « bienfaiteurs » et susciter de nouvelles vocations humanistes pour palier aux déficiences de plus en plus nombreuses de l’État-providence…
Qui sont ces bienfaiteurs ? D’après le créateur du concept, ce sont pour majorité des hommes, mais on trouve également des femmes, car il ne faut bien entendu pas oublier de répondre aux besoins des fortunées qui, en féministes cohérentes, jouissent sans complexe d’un privilège qu’elles reprochaient aux hommes, celui que confère sur ses semblables un fort pouvoir d’achat ! Des hommes donc, dont « la moyenne d’âge est de 39 ans, le revenu moyen de 200 000 dollars par an et qui dépensent environ 3 000 dollars par mois pour s’offrir les services d’une sugar baby [4] ». Si ce n’est pas de la prostitution de luxe, qu’est-ce ?
Pour finir, le communiqué se vante d’avoir vu en 2013 « une hausse d’inscription d’étudiantes de 54 pour cent. Les étudiantes sont désormais plus de 42 pour cent des membres sugar baby totaux du site ». Et pour inciter un peu plus les jeunes Français à franchir le pas, le site « offre des abonnements gratuits aux étudiantes [...] sur présentation d’une preuve d’inscription scolaire ».
Nous vivons une époque formidable !