Le cursus médical universitaire français est ultra-sélectif : 10 % de réussite seulement au concours éliminatoire de première année et une compétition rude entre ces 10 % d’étudiants pour occuper les premières places au concours de sixième année (Concours de l’Internat - ENC [1]), afin de pouvoir choisir ville d’exercice et spécialité.
La dérégulation académique au service du désengagement de l’État
L’Institution médicale est devenue la proie du dogme ultra-libéral européiste et mondialiste, avec pour conséquence classique une sous-enchère sociale et salariale au moyen de l’immigration : recrutement de médecins à diplôme étranger qui représentent presque la moitié des nouveaux inscrits au tableau de l’Ordre [2]. Ceci s’effectue au détriment des Français, même « d’origine étrangère », qui eux sont soumis à juste titre au concours éliminatoire de première année, au concours classant de sixième année, puis à l’Internat de spécialisation (une formation médicale de qualité [3] se fait au prix d’une sélection, comme pour les Grandes Écoles). Ces médecins à diplôme étranger, Union européenne (UE) (Belgique, Italie, Roumanie par exemple) ou hors UE (Maghreb, Machrek, Afrique subsaharienne), contournent les deux concours imposés aux étudiants des facultés françaises et ne font pas l’Internat de spécialisation. Leur embauche permet une sous-enchère sociale et salariale à l’hôpital public et dans les cliniques privées.
La raison du recours massif à ces médecins à diplôme étranger est claire : leur embauche coûte moins cher que celle d’un médecin à diplôme français et permet d’éviter d’investir dans la formation des étudiants en médecine français (construction de nouveaux campus et création de nouveaux terrains de stage). Ceci se justifie d’autant plus en période de crise, dans la mesure où le premier poste budgétaire à l’hôpital correspond aux salaires des personnels, et que l’hôpital public est surendetté du fait d’une mauvaise gestion politique et économique. Outre l’emploi de médecins à diplôme étranger, le déficit budgétaire des hôpitaux publics favorise une autre dérive : certains hôpitaux délocalisent au Maghreb la frappe des comptes rendus médicaux pour économiser des frais de secrétariat. On appelle cela « externalisation » de la saisie des comptes rendus [4]. La stratégie adoptée par les gouvernants est plutôt de détruire (« réorganiser ») l’hôpital public : démolition d’un hôpital universitaire historique (Hôpital Laennec en plein 7ème arrondissement de Paris [5]) à la faveur de la spéculation immobilière, ou fermeture (Hôtel-Dieu en plein cœur de Paris).
Par ailleurs, le taux de suicide serait deux fois plus élevé chez les étudiants en médecine que dans les autres filières [6]. Le dumping social et salarial s’effectue avec l’aval ou le silence des élites médicales et des syndicats. De toute façon le pouvoir décisionnaire est passé progressivement de l’autorité médicale vers l’autorité administrative et financière intégralement, pour laquelle seule la rentabilité annuelle compte, même à l’hôpital universitaire public.
Le mépris chronique des gouvernants à l’égard des étudiants en médecine (Externes [7]) et des Internes [8], dont sont exigées docilité et servilité [9], s’est clairement manifesté lors de la campagne de vaccination contre la grippe A en 2009-2010 : ce sont les Externes et les Internes qui ont été réquisitionnés à moindre coût pour vacciner la population dans des gymnases. Cependant la majorité des Externes et des Internes étaient opposés à cette réquisition administrative forcée, mais risquaient jusqu’à 7 000 euros d’amende et une peine d’emprisonnement en cas de refus. Pourtant la propagande vaccinale d’alors, basée sur la peur et sans argument sérieux, n’était pas convaincante. Il apparaissait déjà que ce virus n’était pas plus dangereux que celui de la grippe saisonnière [10]. Le gâchis financier et l’influence des laboratoires pharmaceutiques sur les gouvernants ont d’ailleurs été évoqués officiellement a posteriori par la Commission d’enquête parlementaire et le Sénat [11]. À cette époque les services hospitaliers ont donc été vidés partiellement de leurs personnels médicaux (externes et surtout internes) pour assurer le bon déroulement d’une campagne vaccinale contestable.
Le cursus médical universitaire français, grâce à sa double sélectivité qui doit absolument être conservée, est un des derniers bastions de la méritocratie avec les Grandes Écoles ; c’est un vecteur objectif d’ascension sociale sans « piston ». C’est également un vecteur d’assimilation : beaucoup de Français « d’origine étrangère » passent et réussissent les deux concours avant de réaliser leur Internat de spécialisation. Ces derniers ne comprennent pas que des spécialités très prisées par les étudiants français soient occupées par des médecins à diplôme étranger qui ont contourné le cursus académique français ultra-sélectif et bénéficié du régime dérogatoire de l’équivalence. Ceci mènera progressivement à une dévalorisation du diplôme français de Docteur en médecine, dont l’obtention est très difficile et très longue (deux concours ultra-sélectifs et un Internat de spécialisation, soit plus de dix ans d’études). Pour être médecin en France, le cursus académique classique (à savoir le triptyque concours de première année – concours de sixième année – Internat de spécialisation) devrait être le seul valable.
Il est tacitement signifié aux étudiants en médecine que malgré tous leurs efforts académiques et leur qualification de haut niveau, ils pourront être avantageusement remplacés par des médecins à diplôme étranger « low cost » qui auront contourné la double sélection du cursus académique français.
En outre, comme pour les produits de consommation courante, le ministère envisage d’organiser une « traçabilité » des étudiants au long de leur cursus en Europe [12]. De fait l’Union européenne permet des stratégies de contournement du concours éliminatoire de première année par le biais de l’équivalence automatique des diplômes [13]. Il est progressivement organisé une véritable « délocalisation » et une « privatisation » de l’apprentissage de la médecine. Ainsi, les étudiants français ou européens ne voulant pas passer par cette sélection initiale peuvent faire leur cursus en Roumanie sans sélection académique, moyennant finances (frais de scolarité de l’ordre de 5 000 euros par an pendant 6 ans). Ces étudiants reviennent ensuite en France en fin de cursus s’inscrire éventuellement à l’examen classant de sixième année alors même qu’ils auraient été recalés au concours éliminatoire français de première année. Quel que soit leur classement, ils auront le titre d’Interne grâce à cet « itinéraire bis ». Académiquement, ceci constitue une véritable injustice et une concurrence déloyale favorisées par l’Union européenne avec sa philosophie de la libre circulation et de la dérégulation. Il sera bientôt nécessaire de créer un label académique « cursus médical universitaire français » pour sauvegarder l’une des dernières voies facultaires publiques françaises de qualité.
La dérégulation académique au service de
la financiarisation de la médecine
En secteur libéral, les grosses cliniques privées appartenant à des grands groupes financiers (sociétés d’assurances, fonds de pension, banques…) font peu à peu disparaître les petites structures (cabinets de radiologie et laboratoires de biologie par exemple) et les petites cliniques appartenant aux médecins y exerçant, sur le modèle de ce qui s’est passé entre les grandes surfaces et les petits commerces de proximité. La pression fiscale, les frais liés aux nouvelles réglementations et l’accroissement du prix des nouvelles technologies médicales s’associent à une volonté latente de libéraliser à outrance le secteur médical : les seuls bénéficiaires seront les multinationales de la santé [14]. En effet, rendre un service médical de qualité est incompatible avec des logiques financières. Pourtant on assiste aujourd’hui à une financiarisation de la santé qui se fera finalement au détriment des patients.
Les médias participent en outre à un travail régulier de dénigrement des médecins libéraux « du quotidien » qui résistent à la prédation des grands groupes financiers, dont l’objectif ultime est de salarier au moindre coût l’intégralité de ces médecins libéraux encore indépendants. Au sujet de ces derniers, les journalistes confondent allègrement chiffre d’affaires et bénéfice, ne prennent pas en compte la pression fiscale (qui atteint les 50 %), l’augmentation excessive des tarifs des assurances professionnelles, et le renouvellement d’un matériel de plus en plus onéreux. En revanche, les rémunérations nettes astronomiques des dirigeants des multinationales de la santé ou de l’industrie pharmaceutique, des patrons de presse et même des élus politiques qui promeuvent ce système ultra-libéral ne sont jamais mentionnées dans ces articles. Le modèle du médecin libéral « petit entrepreneur », « patron de PME », va bientôt disparaître au profit du médecin employé, soumis au dumping social et salarial au moyen du recrutement de médecins à diplôme étranger UE ou hors UE, avec toute la perte d’autonomie politique et économique que cela implique.
Profitant de l’avènement de la télémédecine [15], la volonté de maximisation du taux de profit des multinationales de la santé mènera inéluctablement à la délocalisation low cost des services médicaux au sein ou hors de l’UE. Les États-Unis voient déjà l’interprétation de certains examens complémentaires radiologiques se délocaliser en Inde par l’intermédiaire d’entreprises privées transnationales [16]. Le lucratif marché international des téléservices de santé est de fait en pleine expansion.
Manifestement il existe une sorte de « lutte des classes » dans le secteur médical entre grands groupes financiers mondialistes et médecins libéraux français indépendants « du quotidien ».
Conclusion
Au-delà du dumping social et de la concurrence déloyale, l’absence de transparence quant à la formation des médecins à diplôme étranger est source de confusion. Ainsi, les médecins de nationalité française « d’origine étrangère » et de cursus universitaire français, qui ont le mérite d’avoir passé la double sélection académique avec succès puis réalisé un Internat de spécialisation, pourraient être injustement amalgamés avec les médecins de formation étrangère qui ont contourné les concours. L’existence d’un label « cursus médical universitaire français » mettrait fin à ce genre d’ambiguïté et accorderait une reconnaissance du mérite de ceux qui se seront donné la peine de passer les deux concours académiques avec succès. Ce serait une mesure de justice et de respect de l’effort consenti par les étudiants. Ce label préserverait la qualité de la prise en charge des patients en entravant la dérégulation académique, levier du processus délétère de financiarisation de la médecine.