On ne peut nier que beaucoup de ce qui fait de nous des humains est notre irrationalité. Retirez-la et nous devenons des sacs de produits chimiques régis par des impulsions électriques et des hormones. Une partie de notre irrationalité est simplement aléatoire ou carrément stupide, mais une grande partie est organisée autour de schémas spécifiques de pensée magique qui défie la réalité.
Nous avons appris, au fil du temps, à maîtriser notre propension à la pensée magique dans certains domaines, mais nous ne pourrons jamais l’éliminer complètement. Même dans des domaines technologiques tels que l’énergie nucléaire, nous pensons comme par magie qu’il est possible de concevoir un ensemble de procédures d’opération telles que rien de sérieux ne se produira jamais, le tout donnant des catastrophes tels que Tchernobyl et Fukushima.
Dans de tels domaines basés sur la science, la magie dans notre pensée provient en grande partie de l’erreur de penser que ce qui peut être capturé sur le papier ne peut jamais servir de représentation complète et précise de la réalité physique en dehors de conditions soigneusement contrôlées. Dans de telles conditions, nous pouvons contrôler le caractère aléatoire en utilisant la loi des grands nombres, nous donnant des circuits de transistors dans lesquels des distributions aléatoires d’électrons créées par tunnel quantique nous permettent de construire des dispositifs informatiques parfaitement déterministes produisant des résultats uniformes pour le même ensemble d’entrées, à chaque fois. Cette capacité parfaitement rationnelle nous permet de constituer une économie totalement numérique.
Mais notre foi dans la durabilité de l’économie numérique est irrationnelle. Elle est brutalement stoppée dès qu’il y a une coupure de courant, et notre foi dans sa capacité à persister repose sur la pensée magique que le réseau électrique restera en place pour toujours. Ce faisant, nous négligeons d’apprécier le faible contrôle sur le domaine physique. Des tremblements de terre, des tsunamis, des pandémies, une éjection de masse coronale bien ciblée, une seule arme nucléaire nord-coréenne dans la stratosphère au-dessus de l’Amérique du Nord, quelques missiles autour du détroit d’Hormuz ou d’autres événements prévisibles ou imprévisibles pourrait faire en sorte que l’argent numérique, les cyber-devises et le reste de l’économie numérique disparaissent dans une grande partie du monde.
Les questions de foi sont proprement reléguées dans le domaine de la religion, et la religion repose sur l’hypothèse que ce qui est capturé sur le papier ou dans un rituel est largement exempt de contraintes rationnelles, ouvrant un vaste champ de magie habité par des personnes qui peuvent « voir » le futur (prophètes), des vierges qui donnent la vie, des gens qui ressuscitent et montent au ciel, ainsi que des tas de guérisons miraculeuses, d’apparences fantomatiques, d’icônes qui pleurent des huiles odorantes, des hommes saints qui vivent seuls sur des tapis de prière et tout ce que vous voudrez d’autre. Comparée aux produits magiques du domaine scientifique, la religion est beaucoup plus durable, puisque le seul équipement nécessaire à son fonctionnement continu est un peu de matière grise entre les oreilles de ses croyants.
Les religions organisées utilisent des techniques éprouvées pour contrôler quelles sortes de pensées magiques sont requises, lesquelles sont autorisées et lesquelles sont considérées comme hérétiques. Un petit conte très mignon appelé Credo en latin commence par « Je crois en Dieu, le père tout-puissant … » et inclut des références à la résurrection de Jésus, à sa naissance d’une vierge nommée Marie, etc. Si vous essayez d’appliquer la méthode scientifique à ce conte, vous allez vite rencontrer quelques difficultés.
Supposons que vous vouliez prouver que la résurrection des morts après la crucifixion est physiquement possible, bien que rare. Vous auriez besoin d’un très grand échantillon de Jésus pour les crucifier, les enterrer et attendre trois jours pour voir s’ils surgissent d’entre les morts. Il est peu probable que vous trouviez suffisamment de volontaires pour produire un résultat statistiquement significatif, et aucun comité d’éthique médicale n’approuvera jamais votre expérience. En ce qui concerne la résurrection des morts, en tant que scientifique, vous ne pourrez jamais aller au-delà de la formulation de l’hypothèse plutôt inintéressante selon laquelle cela est tout à fait improbable. Mais la naissance d’une mère vierge est une question entière. Avec un échantillon de sperme et une seringue, une femme en pleine ovulation peut être mise enceinte sans endommager l’hymen. Un miracle !
En matière de foi, la politique se situe quelque part entre la science et la religion. D’une part, le droit divin traditionnel des rois est d’origine religieuse ; d’autre part, ce droit divin est plutôt inutile lorsqu’il s’agit de combattre les armées d’autres rois sur le champ de bataille, mais la science militaire rationnelle l’est certainement. Dans les temps modernes, il faut souvent croire que les démocraties représentatives majoritaires poursuivent les causes de l’égalitarisme, de la justice ou de tout autre idéal qu’elles prétendent embrasser.
Les systèmes politiques (autres que théocratiques, comme en Iran) manquent de l’élément mystique de la religion et ne peuvent donc pas forcer tout le monde à croire en les menaçant d’excommunication (qui est automatiquement réinterprétée comme une oppression politique). Il y a aussi l’élément du conditionnement opérant : si un certain comportement (voter) ne parvient pas à produire la réponse souhaitée (respect des promesses de campagne), le stimulus (campagne politique) ne parvient finalement pas à produire la réponse souhaitée (se présenter pour voter).
Les États-Unis ont particulièrement progressé dans cette voie. Des votes, des promesses de campagne, des plates-formes de parti, rien que pour les apparences. Les véritables batailles politiques se déroulent dans les coulisses avec de gigantesques sacs d’argent, tandis que les avocats tentent de s’écharper pour offrir un spectacle divertissant. Au moment où j’écris ces lignes, les résultats de l’élection présidentielle précédente semblent dépendre de la question extrêmement importante de savoir quels fonds peuvent légitimement être utilisés par un candidat à la présidentielle pour payer des prostituées. Les fonds de la campagne politique seraient convenables à cette fin, tandis que l’utilisation de fonds privés provenant de son entreprise constituerait une infraction imprescriptible. Si vous vous demandez quelle est cette odeur, ce n’est que le refoulement de la « démocratie » américaine. Veuillez mettre vos masques à gaz.
Bien qu’il soit difficile d’obtenir une confiance aveugle dans le domaine politique pour les citoyens dans leur ensemble, il est toujours possible de forcer les membres des partis politiques et des factions à accepter diverses formes de pensée magique de peur d’être ostracisés. Ici, la principale technique consiste à forcer les gens à accepter un contre-fait comme étant la vérité. Les humains sont câblés pour la coopération, et l’instinct de coopération suscite souvent le conformisme, la mimique et l’hypocrisie. Il a été démontré expérimentalement que si vous mettez un certain nombre de comparses dans une pièce, montrez au sujet expérimental une image d’un carré et prétendez qu’il s’agit d’un cercle, et si tous les comparses concordent à dire que c’est un cercle au lieu de la bonne réponse, alors levez-vous et clamez : « Idiots ! Je pars tout de suite et n’essayez jamais de me reparler ! ».
Christine Hallquist, le candidat transgenre du parti démocrate au poste de gouverneur de l’État du Vermont, est un exemple contemporain de carré appelé cercle.