Alors que des diplomates russes se font expulser d’Europe amenant par là le monde au bord de la guerre, l’alliance militaire de l’OTAN en Syrie semble être en train de se désintégrer. Le 29 mars, le président français Emmanuel Macron a dit que la France allait envoyer des troupes aider les Kurdes à combattre les Forces de Défense Turques au nord de la Syrie.
La Turquie a lancé l’Opération Olive Branch [Rameau d’Olivier, NdT] le 20 janvier dernier pour évincer les forces kurdes du PYD-YPG d’Afrin, au nord de la Syrie. Les groupes combattants du PYD-YPG ont été renommés Forces Démocratiques Syriennes (FDS) à l’instigation des militaires US, afin de camoufler leurs liens avec le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, qu’Ankara définit comme une organisation terroriste.
Maintenant, Ankara accuse Paris de soutenir le terrorisme contre la Turquie et a menacé la France de représailles si elle engage des troupes aux côtés des FDS. Paris a offert de patronner une « médiation » entre le gouvernement turc et les FDS, offre rejetée avec dédain par Ankara.
Lors d’une récente interview avec Le Monde, l’ancien président français François Hollande a décrit la Turquie comme un allié de la France en lutte contre un autre allié de la France. Il a toutefois précisé que la France continue de soutenir les Kurdes. Hollande a également accusé Moscou d’avoir permis à la Turquie d’envahir la Syrie dans le but d’affaiblir et de diviser l’OTAN.
Le président US Donald Trump a indiqué que les USA entendent réduire l’étendue de leurs opérations en Syrie.
Il semble que la France remplisse désormais ses fonctions d’état vassal des USA – en fournissant des troupes pour appuyer l’armée par procuration de l’OTAN que sont les groupes militants kurdes. Donc, la France et l’Union européenne vont-ils affronter la fureur de la Turquie pendant que les USA passeront au second plan ?
Selon le directeur de Stratfor George Friedman, les forces armées turques sont beaucoup plus puissantes que les armées de la France et de l’Allemagne réunies.
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La Turquie d’Erdoğan ambitionne de raviver son passé ottoman glorieux. La Turquie est une puissance stratégique cruciale entre l’Orient et l’Occident. Ankara dispose d’une présence militaire au Qatar et en Somalie, donnant à cette puissance méditerranéenne un accès à des centres névralgiques stratégiquement importants qui donnent sur la Mer Rouge et l’Océan Indien.
La Turquie a augmenté ses investissements et ses engagements dans des pays africains au cours des dernières années. L’Éthiopie, la Somalie, le Soudan, le Nigeria, le Ghana et l’Afrique du Sud sont devenus d’importants partenaires commerciaux de la Turquie.
L’une des raisons de l’hostilité française envers la Libye de Kadhafi résidait dans la détermination de celle-ci à contrer l’influence de la France en Afrique. L’influence croissante de la Turquie en Afrique est, un jour ou l’autre, vouée à devenir une source de tracas pour les puissances d’Europe Occidentale, la France en particulier.
Mais les relations franco-turques n’ont pas toujours été aussi mauvaises. Au 16ème siècle la France a compté sur la puissance ottomane pour contrer celle du Saint-Empire Romain Germanique. À travers son alliance avec les Ottomans, la France acquit d’importantes concessions commerciales (« capitulations ») au Moyen-Orient. Les Français continuèrent de se servir de l’alliance avec les Ottomans pour contenir les Autrichiens au 17ème et au 18ème siècle.
La politique du génocide
Cependant, ces derniers temps la France a semblé s’acharner à se mettre son ancien allié diplomatique à dos. En 2016 l’Assemblée nationale française passa une loi rendant illégal le « déni » du génocide arménien de 1915. Dès lors tout historien doutant d’aspects de l’histoire « officielle » peut aller en prison et devoir payer une amende de €45 000. La Turquie continue de nier sa responsabilité dans le génocide arménien.
Depuis que la Loi Gayssot a rendu la remise en question de tout aspect du génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, l’histoire en France a lentement glissé sous l’orbite de la jurisprudence plutôt que de l’historiographie. La tentative française de légiférer sur l’histoire de la Turquie était clairement un geste politique visant à marquer des points sur un rival géopolitique potentiel. Le génocide arménien est devenu une cause passionnée pour les acteurs et les activistes élitistes de l’establishment impérial occidental.
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Vers la fin du 19ème siècle les puissances occidentales avaient largement infiltré l’Empire Ottoman à travers leurs contacts auprès de puissants responsables arméniens. Les nationalistes et les socialistes arméniens formèrent le Comité Hintchak et la Fédération Révolutionnaire Arménienne (FRA). Les Turcs pensent que ces groupes ont été encouragés par l’impérialisme européen et russe pour se révolter contre le pouvoir ottoman afin de déstabiliser l’Empire.
Quelle que soit la vérité historique entourant le génocide, la cause du génocide arménien est un facteur-clé de la politique impériale occidentale envers la Turquie.
Le soutien de la France pour la cause des USA et la cause des Kurdes, en plus de son hostilité devant la candidature turque d’accession à l’UE, semblent indiquer que la France redoute la puissance émergente de la Turquie. Toutefois, la France est l’une des premières sources d’investissements étrangers en Turquie et une rupture des relations mettrait en péril de nombreux intérêts puissants.
Le nouvel allié d’Israël
Les Kurdes ont d’éminents amis à Paris. Le philosophe Bernard Henri-Lévy a intensément défendu leur cause en France.
Bernard Henri-Lévy a joué un rôle de premier plan dans la promotion d’une intervention militaire française en Libye en 2011. Lévy ne cache nullement que sa première allégeance est envers Israël. Un État kurde en Syrie correspond aux intérêts géopolitiques d’Israël. Entourés d’Arabes et de Turcs hostiles, les Kurdes compteraient essentiellement sur Israël pour leur sécurité, facilitant ainsi l’hégémonie d’Israël dans la région.
Depuis la Guerre Froide la politique US envers la Turquie a été de s’en servir comme puissance régionale pouvant être brandie contre l’URSS. La Turquie a joué en rôle central dans la déstabilisation et la destruction de la Syrie. Mais Ankara est entré en Syrie avec son propre agenda géostratégique.
Les propres intérêts de sécurité nationale de la Turquie sont désormais menacés par l’alliance militaire occidentale. L’OTAN qui jusqu’ici soutenait des milliers de groupes terroristes différents, dont beaucoup se battent entre eux, semble être en pleine désintégration en Syrie.
Le « socialisme » présupposé des groupes kurdes en Syrie a été l’une des accroches de vente employées par les médias occidentaux. Il n’y a rien que les anarchistes petits-bourgeois et les « socialistes révolutionnaires » autoproclamés aiment plus que la vue de milices kurdes « à la Che Guevara » et de leurs « conseils des travailleurs ». La nature acéphale du PYD-YPG (Parti de l’Union Démocratique-Unités de Protection du Peuple) en Syrie reflète le type de révolutions de de « soulèvements spontanés » fomentés par la CIA dans le monde en développement et de plus en plus dans le monde industrialisé ; elle garantit également la domination impérialiste sur le mouvement.
En 2017 les Forces de Guérilla Révolutionnaires du Peuple furent formées afin d’apporter un soutien « anarcho-queer » et féministe à la cause kurde de l’impérialisme. La diffusion de la perversion sexuelle dans le monde en développement par le biais d’une idéologie pseudo-gauchiste est devenue l’avant-garde en pointe de l’impérialisme occidental. Les marxistes-léninistes ont toujours considéré l’homosexualité comme étant un problème social imputable, sous sa forme moderne, à la décadence bourgeoise ; mais il reste peu de marxistes-léninistes suffisamment courageux pour le dire, de nos jours.
Le PYD kurde a d’étroits liens avec le Rosa Luxemburg Stiftung en Allemagne, qui servit d’accessoire pour la putsch néo-nazi de la CIA de 2014, en Ukraine.
À travers le monde, le terrorisme gauchiste postmoderne et le djihad takfiri déblayent la route pour l’impérialisme.
L’impérialisme turc
Depuis la récente opération d’enfumage psychologique entourant Sergueï Skripal dirigée contre la Russie, Ankara a refusé d’expulser des diplomates russes. Il semble que la Turquie ne puisse désormais plus servir de bâton à l’Occident pour taper sur la Russie. La Turquie est un Empire en émergence, dotée de ses propres intérêts stratégiques.
Au 21ème siècle cela n’a guère de sens, au niveau géopolitique, pour qu’un Empire tel que la Turquie demeure cloisonné par les intérêts de l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (OTAN) : la Turquie n’est pas une puissance atlantique.
En tant que puissance maritime possédant un accès à la Mer Noire, à la Méditerranée et désormais à la Mer Rouge et à l’Océan Indien, le Néo-Ottomanisme turc est une réalité. Bien que toujours en conflit contre la Russie et les alliés de l’Iran en Syrie, et profondément complice dans le renforcement du terrorisme, l’orbite d’Ankara s’est rapprochée de l’axe Moscou-Téhéran au cours des deux années passées.
Néanmoins, la position géopolitique intermédiaire de la Turquie fait d’elle un partenaire peu fiable pour les promoteurs de l’Eurasisme. Les terroristes ouïghours luttant pour l’indépendance dans la province chinoise du Xinjiang (Turkestan Oriental) sont toujours soutenus par Ankara ; et aucun élément n’indique que le régime turc a rompu ses liens avec le terrorisme takfiri.
Le président Recep Tayyip Erdoğan a déjà menacé l’Europe par le passé. En 2016 le président turc avait averti que la Turquie inonderait l’Europe de migrants si l’UE ne pliait pas devant ses exigences financières pour gérer la crise des migrants. Derechef, Erdoğan menace l’Europe. Tandis que les migrants continuent d’arriver en masse dans les villes européennes, des milliers de terroristes de l’État islamique et d’al-Qaïda parmi eux, la France joue avec le feu en provoquant la Turquie. Pendant que la crise des migrants s’intensifie en France et à travers l’Union Européenne en déliquescence, la France ne sera pas en mesure de combattre dans des guerres lointaines – surtout contre des géants sur le retour comme la Turquie. Des analystes US prédisent que c’est la « Nouvelle Europe » plutôt que la « Vieille Europe » qui se chargera de cette tâche. La Pologne est en divergence avec l’UE. Le Pologne comprend que l’immigration de citoyens culturellement différents n’est pas dans ses intérêts. La Pologne se fait armer jusqu’aux dents par les USA.
Si l’UE s’effondre, le chaos suivra. La France affrontera des luttes séparatistes en Corse et un terrorisme islamiste à grande échelle. Seules la Hongrie, l’Autriche, la Pologne, la République Tchèque et la Slovaquie seront à même de défendre l’Europe contre l’assaut néo-ottoman. Mais nous ne devons pas rester dans l’illusion concernant la nature de cette « défense ». L’Oncle Sam soutiendra les deux côtés jusqu’à ce qu’une guerre de tous contre tous amène l’humanité plus proche d’un gouvernement planétaire. L’ancien Commissaire de l’UE Javier Solana a dit que l’Europe est le laboratoire de la gouvernance mondiale.
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Une période prolongée d’austérité et de guerre civile forcera les citoyens à tourner leur regard vers des institutions mondiales promettant la paix et la protection. Quand les plans pour le Printemps Arabe furent annoncés par la Secrétaire d’État US Condoleezza Rice en 2005 devant l’American-Israeli Public Affairs Committee [AIPAC, Comité Américano-Israélien pour les Affaires Publiques, NdT], Rice fit référence à la nécessité d’un « chaos créatif » dans la reconfiguration d’un « nouveau Moyen-Orient ». Nous sommes aujourd’hui confrontés à un chaos créatif précédant une « Nouvelle Europe » et, ce qui est encore plus important, un « Nouvel Ordre Mondial ».