Accident ou assassinat ? Près de deux ans après la mort du PDG de Total, Christophe de Margerie, disparu dans le crash de son jet privé en octobre 2014 en Russie, de nombreuses questions restent toujours en suspens. Alors que s’ouvre, vendredi 15 juillet au tribunal de Moscou, une audience préliminaire qui devrait déterminer la date de l’ouverture du procès en Russie, les circonstances de sa disparition restent floues, voire troublantes.
Le 20 octobre 2014, peu avant minuit heure locale, le Falcon 50 qui transporte Christophe de Margerie et six autres personnes heurte violemment une déneigeuse sur la piste de décollage de l’aéroport Vnokouvo, à Moscou. Les quatre passagers et les trois membres d’équipage décèdent sur le coup. Deux enquêtes sont conjointement ouvertes à Moscou et Paris. Quelques heures seulement après le drame, la Russie accrédite une seule version officielle : celle de l’accident. Mais déjà les thèses de l’assassinat circulent, alimentées au fil du temps par les nombreuses incohérences de l’enquête.
Autopsie d’un crash
Loin des théories complotistes qui fleurissent sur des sites sulfureux, une journaliste enquête. Durant 18 mois, Muriel Boselli, freelance spécialisée dans le secteur de l’énergie, met le doigt sur des faits troublants survenus dans la nuit du 20 au 21 octobre qu’elle décrit par le menu dans son ouvrage L’Énigme Margerie (Robert Laffont). « Mon intention n’a jamais été de prouver qu’il s’agissait d’un attentat, soutient-elle à France 24. Je pointe juste les zones d’ombre, car je trouve injuste vis-à-vis des proches des victimes de ne pas connaître les causes de leur mort. »
Et les incohérences sont nombreuses. Au sujet de cette fameuse déneigeuse, d’abord. D’après l’enquête de Muriel Boselli, quelques heures avant l’accident, le conducteur de l’engin insiste lourdement auprès de son patron pour passer la déneigeuse sur la voie d’approche alors que ce soir-là, il ne neige pas, il pleut. Devant son insistance, le patron cède, surpris d’une telle demande. Sur la piste, le conducteur raconte ensuite avoir perdu ses repères. Une explication pour le moins surprenante : le chauffeur connaît le site de l’aéroport sur le bout des doigts, il y travaille alors depuis 10 ans, et la visibilité au moment de l’accident n’y était pas mauvaise.
- Le crash de l’avion de Christophe de Margerie en 2014
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Reste une question centrale. Dans l’hypothèse d’un attentat, quel intérêt y avait-il à faire disparaître Christophe de Margerie ? Sans porter d’accusation, Muriel Boselli soulève un point intéressant : l’homme à la moustache, patron de la quatrième plus grosse entreprise pétrolière du monde, entretenait des rapports compliqués avec les États-Unis.
Lors de l’embargo imposé par Washington contre l’Iran en 1996 lors de « l’Iran sanction Act », Christophe de Margerie, imperturbable, contourne l’interdiction et poursuit son business avec la République islamique. Un coup de maître commercial qui n’a du tout été du goût des Américains. Plus récemment, Christophe de Margerie est le seul patron occidental du monde à se positionner publiquement contre les sanctions occidentales prises contre la Russie lors de la crise ukrainienne et de l’annexion de la Crimée.
Quelques semaines avant son décès, le patron du géant pétrolier critique enfin ouvertement l’hégémonie du dollar dans le secteur pétrolier. Il évoque ouvertement l’idée d’acheter le pétrole dans une autre devise. Une fois de plus, Washington grince des dents.
- Le crash de l’avion d’Enrico Mattei en 1962
Toutes ces raisons ne suffisent pas à accréditer la thèse d’un assassinat. « Mais il n’est pas non plus insensé de se poser des questions dans un domaine, celui du pétrole, où tous les coups sont permis », conclut Muriel Boselli. Et pour cause : l’histoire connaît un précédent. En 1962, Enrico Mattei, le patron de la firme pétrolière italienne ENI, trouve la mort dans l’explosion de son avion, au moment d’atterrir à Milan. Officiellement, le crash est attribué au mauvais temps. Mais trente-cinq ans après l’accident, des repentis de la mafia sicilienne ont avoué avoir placé une bombe dans l’avion. À ce jour, les commanditaires de l’attentat ne sont toujours pas connus.
Et la journaliste de conclure : « Christophe de Margerie, qui a eu droit à des funérailles fastueuses, a aussi le droit à une enquête digne de ce qu’il fut. »