L’ascension aux plus hautes fonctions gouvernementales en Israël d’Itamar Ben Gvir, un « suprémaciste juif » assumé et partisan de l’utilisation des méthodes les plus brutales à l’égard des Palestiniens est donc acté. Il devrait être le ministre de la Sécurité nationale du prochain gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Hier considéré comme un paria, son parcours incarne l’évolution de la société israélienne en trois décennies.
Une extrême droite fasciste, ultracolonialiste et raciste a toujours existé dans l’histoire du mouvement sioniste. Mais elle y a longtemps été très minoritaire, la droite nationaliste oscillant selon les circonstances entre proximité et ostracisme à son égard. Le cas le plus célèbre fut celui de Brit Habirionim (Alliance des zélotes), un groupe qui scissionna en 1928 des jeunesses de la droite sioniste, jugée trop molle. Son leader, Abba Ahiméïr, publiait une chronique hebdomadaire dans le quotidien Doar Hayom intitulée « Journal d’un fasciste ». Son organisation ne vécut que quelques années. D’un racisme anti-arabe exacerbé et dominé par une phobie anticommuniste, Ahiméir en vint à soutenir Adolf Hitler. Il admettait que le chef nazi était un antisémite virulent, mais il était avant tout anticommuniste, et là était l’essentiel…
L’Alliance des zélotes fut un mouvement fugace, comme le fut en Israël le kahanisme dans les années 1970-1980. Celui-ci tenait son nom du rabbin américain Meïr Kahane, qui développa d’abord sa Ligue de défense juive aux États-Unis avant de s’installer en Israël en 1971. Il y professa une idéologie mêlant un mysticisme ethnique juif fondé sur le culte de la Terre d’Israël et un racisme brutal envers « les Arabes », dont il prônait l’expulsion de cette même terre. Après trois échecs, Kahane réussit à se faire élire député en 1984. Mais un consensus général du Parlement, droite et gauche unies, aboutit à l’ostraciser. En 1988, qualifié de « raciste » par la Cour suprême, son parti, le Kach, se vit interdire de participer aux élections.
Depuis, quarante ans ont passé. Kahane a été assassiné en 1990 à New York (par un Américain d’origine égyptienne) et le kahanisme s’est ensuite délité. Mais un autre phénomène l’a remplacé, que l’accession d’Itamar Ben Gvir au poste de ministre de la Sécurité nationale incarne de manière spectaculaire. Si le kahanisme n’existe plus tel quel, son influence idéologique n’a cessé de croître dans la société, jusqu’à faire de ses héritiers le troisième parti du Parlement en nombre d’élus (14 sur 120), et de la culture kahaniste une force idéologique de premier plan.
Reconstruire le Temple
Itamar Ben Gvir a 14 ans lorsque Kahane est assassiné. Enfant d’un couple juif d’origine irakienne, sa famille n’est pas religieuse, mais lui porte la kippa dès l’adolescence. Il s’engage très tôt dans l’extrême droite la plus vindicative : les kahanistes. Vivant dans le culte du héros disparu, ils prônent l’expulsion des Palestiniens, la « souveraineté juive » exclusive sur la terre d’Israël et la reconstruction du Temple (détruit en 70 après Jésus-Christ par les Romains), étapes obligées pour la venue du Messie. À 18 ans, Ben Gvir est le coordinateur des jeunesses kahanistes. L’armée l’exempte du service militaire. Motifs invoqués : le jeune homme promeut des idées subversives et dégage une violence peu commune. Ces caractéristiques le suivront toute sa vie.
Cette violence est surtout dirigée contre « les Arabes », qui n’ont rien à faire selon lui sur la terre juive. Mais il ne dédaigne jamais de s’en prendre aussi aux juifs israéliens qui ne partagent pas son colonialisme effréné. Le nom de son non-parti, Puissance juive, créé en 2015, résume tout. Ben Gvir incarne ce que B’Tselem, l’organisation israélienne de défense des droits humains dans les territoires palestiniens appelle le « suprémacisme juif ». Les inculpations pour propos et actes racistes accompagnent tout son parcours politique et dans une interview de 2015, il disait en avoir compté 53. Devenu avocat tardivement, la liste de ses clients, a écrit le quotidien Haaretz, « se lit comme un who’s who des suspects juifs d’actes de terrorisme et des cas de crimes haineux en Israël ».
Ce who’s who du terrorisme israélien est son milieu social et politique depuis trois décennies (il a aujourd’hui 46 ans). Jusqu’à récemment, il avait placé en majesté dans son salon une grande photo de Baruch Goldstein, ce colon kahaniste qui, en 1994, après l’accord israélo-palestinien d’Oslo, avait assassiné 29 musulmans priant au caveau des Patriarches d’Hébron, en blessant 125 autres. En 2020, sur le conseil de certains proches, Ben Gvir a retiré la photo du mur pour ripoliner sa propre image. Mais une photo du vénéré Kahane y figure encore, avec l’autographe que le rabbin lui a dédié. Et il n’a jamais caché son respect pour Yigal Amir, le fanatique qui, en 1995, a assassiné le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin.
Une large kippa brodée sur la tête, insigne du sionisme religieux radical, Ben Gvir porte aussi les épais souliers emblématiques des « jeunes des collines », ces fanatiques généralement ultrareligieux qui sillonnent la « Judée-Samarie » pour s’y implanter sur des terres confisquées par la force à des Palestiniens. Le journaliste Armin Rosen, du magazine juif américain Tablet, qui a rencontré Ben Gvir en août 2022, décrit un homme habité d’une haine compulsive des Arabes. « Au cours de notre conversation, il ruminait l’idée d’envoyer des terroristes à la chaise électrique et dénonçait “la viande d’agneau, la confiture et le chocolat” que l’on servirait supposément à manger aux “tueurs arabes de juifs” dans les prisons israéliennes », écrit-il. Durant la récente campagne électorale, il a modéré ses propos, mais le fond est resté le même. Si un Palestinien jette un cocktail Molotov sur un soldat, « il doit être emprisonné puis, sa peine purgée, expulsé » du pays. Attention, il n’a « rien contre les Arabes » en général. Mais que faire si les Palestiniens sont quasiment tous des terroristes à ses yeux ?
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