L’écrivain Göran Burén a effectué des recherches dans les archives nationales suédoises déclassifiées en 2000. Il révèle dans The Washington Report on Middle East Affairs [1] que le comte Folke Bernadotte, médiateur de l’ONU pour la Palestine en 1948, a bien été assassiné à Jérusalem avec la complicité du gouvernement israélien.
En 1948, le comte Bernadotte – neveu du roi de Suède – tentait d’instaurer un cessez-le-feu entre les troupes arabes de libération et l’ex-Haganah, milice sioniste devenue Armée de défense d’Israël, nouvel État créé par les Nations unies, quelques mois plus tôt, sur le territoire palestinien [2]. Il condamnait « le pillage sioniste à grande échelle et la destruction de villages sans nécessité militaire apparente [3] » et proposait un plan de partage du territoire palestinien qui ne convenait pas aux dirigeants israéliens de l’époque et encore moins aux groupes sionistes extrémistes Lehi et Irgoun.
Les colons juifs n’ont rien à voir avec les Hébreux de la Bible
Le groupe terroriste juif Lehi – plus connu sous le nom de groupe Stern – avait décidé de tuer Bernadotte. Rien ne l’arrêtait : en 1944, il n’avait pas hésité à assassiner Lord Moyne, haut-commissaire britannique en Égypte, qui avait déclaré à la Chambre des Lords que les colons juifs n’avaient rien à voir avec les Hébreux de la Bible et n’avaient en conséquence aucun droit légitime sur la Palestine [4]. On sait moins que le Lehi (acronyme pour Lohamei Herut LeIsrael, c’est-à-dire : Combattants pour la liberté d’Israël), a aussi éliminé Moyne pour montrer à Hitler ce dont l’organisation était capable. Abraham Stern, son fondateur – tué en février 1942 par un des policiers britanniques qui l’avait arrêté – avait proposé à Werner von Hentig, diplomate allemand en poste à Beyrouth, d’aider le IIIe Reich à conquérir la Palestine en échange de la création d’un État juif [5].
En 1948, quand fut programmé l’assassinat de Bernadotte, le Lehi était dirigé par un triumvirat comprenant Yitzhak Shamir, futur Premier ministre d’Israël, interné en 1941 pour « collaboration avec les nazis ». C’est lui qui avait organisé l’attentat contre Moyne. En 1946, évadé d’un camp de détention britannique en Érythrée, il avait regagné la Palestine via Djibouti et la France, qui lui avait accordé l’asile politique.
Le terroriste Yitzhak Shamir n’a jamais été inquiété
Le 17 septembre 1948, une embuscade fut tendue au médiateur de l’ONU dans le secteur juif de Jérusalem. Ce jour-là, le comte était accompagné par le colonel français André Sérot, héros de la Première Guerre mondiale, chef des observateurs de l’ONU à Jérusalem. Leur véhicule est bloqué par une vraie-fausse jeep de l’armée israélienne. Trois hommes du Lehi en uniforme de la Haganah en descendent. L’un d’eux – Yehoshoua Cohen – passe le canon de sa mitraillette par la fenêtre arrière entrouverte, et vide son chargeur sur les deux occupants. À l’annonce de la mort de Bernadotte, son adjoint, l’Américain Ralph Bunche, télégraphia à Moshe Sharett, ministre des Affaires étrangères israélien, que Tel-Aviv devrait assumer l’entière responsabilité du meurtre. L’Intelligence Service était persuadée que l’ordre était venu de Moscou, car depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Lehi lorgnait vers Staline et cherchait à adhérer au Kominform !
Pour calmer l’émotion suscitée dans le monde par la mort de Folke Bernadotte et du colonel Sérot, David Ben Gourion – Premier ministre d’Israël – accusa le Lehi de provocation et annonça sa dissolution. Nathan Yalin-Mor, un des membres du commando, fut arrêté et jugé, mais pas pour assassinats : pour « appartenance à un groupe terroriste »… et amnistié deux semaines plus tard. On apprit plus tard que Yehoshoua Cohen – le tireur – était devenu le garde du corps personnel de Ben-Gourion [6]. Yitzhak Shamir n’a jamais été inquiété. S’il se garda bien de mettre les pieds en Grande-Bretagne, il exerça ses talents sans problème à Paris au début des années 60 comme officier du Mossad, d’où il dirigeait des équipes de tueurs professionnels [7]. À sa mort fin juin 2012, à l’âge de 96 ans, le président François Hollande rendit sans gêne hommage à sa « forte personnalité » et à son « courage exemplaire » !
Affaire classée
Une commission d’enquête suédoise, dirigée par le procureur-général Heuman, fut envoyée sur les lieux. En 1950, elle remit au gouvernement suédois un rapport accablant. L’enquête, côté israélien, avait été bâclée. Aucun témoin de l’attaque n’avait été interrogé, des indices négligés. Dov Joseph gouverneur militaire de Jérusalem, qui aurait dû fournir à Bernadotte une escorte armée, comme lors d’un précédent voyage, ne l’avait pas fait. Au fait des rumeurs d’attentat qui couraient dans quartier juif, il craignait pour la vie du diplomate. Les dirigeants suédois autorisés à lire le rapport en conclurent, sans se forcer, que Bernadotte avait été assassiné avec l’accord au moins tacite du gouvernement israélien.
Très embarrassée par ces informations, en totale opposition avec l’image donnée d’Israël par les médias, la Suède promit à Tel-Aviv de classer l’affaire si les Israéliens expliquaient de façon « acceptable » ce qui s’était passé, et s’excusaient pour les manquements signalés en matière de sécurité. En 1950, Israël remit au gouvernement suédois le rapport Agranat [8], une version des faits « acceptable » pour qui voulait bien s’en persuader, mais si peu crédible qu’ordre fut donné de ne pas le rendre public. Israël ayant présenté ses excuses – en la circonstance, c’était bien la moindre des choses – l’affaire fut classée top secret jusqu’en 2000 dans les Archives nationales.
Sans doute en raison de sa rédaction en langue suédoise, il semble que le rapport Heuman, déclassifié depuis 13 ans, n’ait été consulté par aucun chercheur, jusqu’à ce que Göran Burèn l’exhume pour les besoins de son enquête sur le meurtre du comte Bernadotte. Il aura fallu plus de 50 ans pour que soit confirmé ce que de nombreux observateurs subodoraient depuis 1948 : l’attentat monté par le groupe Stern est un des premiers crimes d’Israël en tant qu’État.
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