Les rebelles au Soudan du Sud menacent les champs pétroliers essentiels à l’économie du pays, au risque de provoquer une intervention militaire du Soudan voisin, très dépendant des recettes de l’or noir, préviennent des experts.
Samedi, un commandant de l’armée contrôlant l’Etat d’Unité, l’un des plus riches en pétrole, a rallié les forces rebelles de l’ancien vice-président Riek Machar.
Le porte-parole de l’armée, Philip Aguer a cependant assuré que les forces loyales au président Salva Kiir contrôlaient toujours l’État d’Unité et ses gisements pétroliers, et que seule la capitale de cet État, Bentiu, était aux mains des rebelles.
"La richesse pétrolière est un enjeu susceptible d’exacerber l’actuelle lutte pour le pouvoir", a mis en garde Emma Vickers, de l’ONG Global Witness.
"Si les forces rebelles s’emparent des champs pétroliers, elles tiendront le gouvernement en otage", a-t-elle souligné.
Les sociétés pétrolières ont déjà commencé à évacuer leur personnel, comme la compagnie d’État chinoise China National Petroleum Corp (CNPC). Ce qui implique, dans le meilleur des cas, que la production sera fortement réduite.
Des centaines d’expatriés travaillant dans ce secteur, dont des Chinois et des Pakistanais, patientaient samedi à l’aéroport de Juba, attendant le premier vol en partance.
Le pétrole, enjeu des combats
Le pire des scénarios se réalise rapidement : les querelles politiques et personnelles dégénèrent en guerre civile, au cours de laquelle certains groupes ethniques sont la cible d’attaques répétées par les forces d’autres (groupes), et les rebelles prennent le contrôle des champs pétrolifères, a pronostiqué l’analyste John Prendergast, dans un article signé conjointement avec l’acteur et militant George Clooney.
Le gouvernement de Khartoum a longtemps exploité les divisions au Soudan du Sud et apporté son soutien à différents groupes armés afin de semer la division et la destruction, soulignent ses auteurs.
Khartoum, qui a dû accepter l’amputation de la partie sud de son vaste territoire au profit d’une nouvelle nation en 2011 sous la pression internationale, notamment de Washington, a déjà exprimé ses craintes d’une baisse de la production pétrolière chez son voisin et ennemi, car son économie vacillante en dépend. Le Soudan doit en effet recevoir en 2014 des taxes évaluées à 1,5 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) en échange de l’utilisation par le Soudan du Sud de ses oléoducs pour l’exportation du pétrole.
Le pire des scénarios pour nous est que cette guerre se propage à d’autres régions et à l’ensemble du Soudan du Sud, a déclaré vendredi le ministre soudanais de l’Information Ahmed Bilal, estimant que le contrôle des champs pétroliers serait l’enjeu de ces combats.
Sans aucun doute, l’un des objectifs de ces deux forces est d’essayer de prendre les champs pétroliers, probablement pour tenter d’accroître leur pouvoir de négociations, a-t-il estimé.
Au cours de la guerre civile (1983-2005), Khartoum avait soutenu des milices pour protéger les gisements de pétrole contre les forces rebelles du Sud, qui constituent désormais, depuis l’indépendance du Soudan du Sud, l’armée régulière sud-soudanaise. Plusieurs de ces milices ont été intégrées dans l’armée sud-soudanaise, mais à présent que des factions de l’armée font défection, certaines pourraient retourner à la rébellion.
Après des combats frontaliers sporadiques en 2013, les relations entre les deux Soudan ont connu une amélioration à la faveur d’une rencontre en septembre entre le président Salva Kiir et son homologue soudanais Omar el-Béchir, qui ont décidé de mettre en oeuvre des accords sécuritaires et économiques.
Le Soudan devrait éviter de s’impliquer
Mais ces accords seront très difficiles à mettre en oeuvre s’il n’y a pas de partenaire à Juba, a mis en garde un diplomate étranger ayant requis l’anonymat.
Le Soudan pourrait tirer avantage des conflits internes qui s’exacerbent à Juba, en dépit d’assurances antérieures affirmant que les accords entre les deux pays ne seraient pas remis en cause par la crise, a estimé Ahmed Soliman, analyste du groupe de réflexion britannique Chatham House.
Le régime soudanais pourrait profiter de l’instabilité dans les régions pétrolifères pour progresser d’une manière agressive vers les régions frontalières, s’emparer de quelques régions pétrolières du Sud, et s’assurer que les approvisionnements de pétrole continuent vers le Nord, abonde M. Prendergast.
Selon des diplomates, le Soudan n’a aucun moyen d’arrêter le conflit. Ils devraient éviter de s’impliquer, cela ne peut que mener à la catastrophe, a estimé un diplomate à Khartoum.