Des magistrats suspendus, deux procureurs placés sous mandat de dépôt, des enfants de responsables politiques impliqués... La saisie de 701 kilogrammes de cocaïne le 29 mai 2018 dans le port d’Oran n’en finit pas d’ébranler les institutions algériennes.
L’homme filmait ses rencontres avec ses interlocuteurs. Magnat de l’immobilier, le jeune quadragénaire Kamel Chikhi s’est converti dans l’importation de la viande congelée. Surnommé « Kamel El Bouchi (Boucher) », le milliardaire a vu sa carrière prendre fin le 29 mai 2018 à Oran. Sur un bateau en provenance du Brésil, en plus de la viande congelée, les douaniers algériens, alertés par leurs homologues espagnols, découvrent 701 kg de cocaïne, la plus importante saisie de l’histoire de l’Algérie.
Le scandale devient politique et met à nu des complicités dans l’appareil judiciaire. Appartements, maisons, des millions de centimes en liquide, le principal accusé, Kamel le Boucher, s’est montré très généreux avec ses « amis ». Sans les avertir, le jeune importateur aurait filmé à chaque fois ses rencontres avec ses obligés : magistrats, procureurs, enfants de responsables politiques, dont le fils d’un ancien Premier ministre, entre autres.
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Affaire de la cocaïne saisie à Oran : jusqu’où ira la justice ?
Le Syndicat national des magistrats (SNM), très discret ces dernières années, a jeté un pavé dans la marre, samedi 23 juin, en qualifiant « d’infondées » les informations évoquant l’implication de juges et de procureurs dans l’affaire de la saisie de 701 kg de cocaïne au port d’Oran.
Selon le SNM, l’objectif de la publication de ces informations est d’attenter au corps des magistrats et de « faire dévier l’enquête ». Cette réaction amène inévitablement à se poser de nombreuses questions puisque ces informations paraissent émaner de l’appareil judiciaire lui-même.
Qui veut « dévier » l’enquête et pourquoi ? Et pourquoi le SNM réagit-il en posture offensive alors que l’instruction n’est qu’à ses débuts au niveau du tribunal d’Alger qui a compétence nationale ? Cherche-t-il à influencer le cours de l’enquête en ajoutant une autre pression sur les magistrats chargés de l’instruction ?
Le SNM va plus loin en disant qu’il existe une volonté de détourner le cours de l’enquête « d’une affaire de trafic de drogue » à « une opération étudiée » pour « porter atteinte à la crédibilité de la justice ».
Le SNM est-il à ce point sûr qu’aucun magistrat n’est impliqué dans l’affaire de la cocaïne et de trafic d’influence ? La presse, qui a publié des informations sur l’affaire, a-t-elle inventé l’identité des magistrats cités dans le dossier ?
Communiquer pour éviter l’intox
Il est évident que le secret de l’instruction n’a pas été respecté dans l’affaire de la saisie de la cocaïne et qu’une fuite d’informations a été soigneusement organisée.
Ce n’est pas nouveau en Algérie où les procès se font parfois dans les médias avant leur déroulement dans les prétoires. Il est naturel que les médias nationaux s’intéressent à une affaire qui a défrayé la chronique et qui suscite également la curiosité de la presse internationale.
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En plus de la bataille de l’instruction, il y a celle, plus compliquée, de la communication. La justice a-t-elle tous les moyens nécessaires pour aller jusqu’au bout de l’enquête dans une affaire qui paraît sensible à tous les niveaux ?
La mise en avant du principal accusé dans l’affaire de la cocaïne, Kamel Chikhi, un homme d’affaires habitant Alger, ne suffit pas pour contenir les questionnements que se pose la rue algérienne sur les ramifications de ce dossier.
Samedi en conférence de presse, Ahmed Ouyahia, Premier ministre, a évoqué, en citant le cas Kamel Chikhi, « l’argent sale » qui s’est infiltré partout.
Silence des avocats de Kamel Chikhi
Mais, pourquoi alors la justice ou les services de sécurité n’ont-ils pas « bougé » pour enquêter sur les signes ostentatoires de richesse de Kamel Chikhi, qui construit et vend des logements à prix d’or dans les meilleurs quartiers d’Alger ?
Comment il obtenait les permis de construire d’où il ramenait l’argent pour bâtir ses immeubles ? Sans doute, ce n’est pas de l’importation de la viande surgelée du Brésil.
Pourquoi prendre le risque d’importer de la cocaïne alors que l’immobilier permet de se « mouiller » sous une pluie de billets de banque ? Les avocats de Kamel Chikhi gardent toujours le silence. Pour traverser l’Atlantique et une partie de la Méditerranée, il faut « sécuriser » la route et avoir des protections solides, en Algérie et à l’étranger, pour échapper aux contrôles.
La quantité importée de la drogue dure signifie que l’homme et son réseau étaient pratiquement sûrs de ne pas être « inquiétés » par les services de sécurité en Espagne et en Algérie. Quels sont ces complices ?
Selon des médias, les Espagnols ont préféré alerter les Algériens sur la cargaison suspecte au lieu d’intervenir en eaux territoriales ibériques pour la saisir. Une attitude qui n’a pas d’explication sauf s’il existe des mécanismes de coopération sécuritaire entre les deux pays qui permettent ce genre de décisions. L’affaire a été prise en main dès le début par l’armée algérienne. Où sont donc passées les Douanes ?