Longtemps l’alliance entre le clan Bouteflika et le général Gaïd Salah, que le président Abdelaziz Bouteflika avait nommé vice ministre de la Défense et chef de l’armée, tiendra par une commune hostilité au général Mohamed Lamine Mediène, dit « Toufik », qui, pendant un quart de siècle, fut le véritable et discret patron de l’Algérie à la tète du redoutable DRS (services algériens).
Le truculent et bourru secrétaire général du FLN, Amar Saadani, qui aura vite oublié un début de carrière vécu à l’ombre du DRS, aura été le porte-flingue consensuel de cette offensive anti-Toufik. On le vit même insinuer que le DRS, présenté comme une mafia de tueurs, aurait été responsable de la tentative d’attentat à la voiture piégée qui eut lieu à Batna contre le président Bouteflika. Si Saadani faisait dans la dentelle, cela se saurait. « À la tète du FLN, confie un dignitaire algérien, cet intriguant a joué toutes les cartes à la fois ».
En septembre 2015, la cabale a enfin réussi. Après avoir été totalement émasculé, à la fois privé de ses principaux collaborateurs et dépossédé de nombreuses missions, dont la sécurité de l’armée et les enquêtes financières, le général Toufik est contraint à une retraite bien méritée. Les redoutables et redoutés services qui auront constitué « la moelle épinière » de l’État algérien, selon l’expression de feu le président Boumedienne, sont décapités. À l’époque, Gaïd Salah souhaiterait envoyer Toufik en prison. Le chef de l’État, qui a cohabité si longtemps avec le patron du DRS, s’y opposera. Pas de vagues inutiles, pense-t-on au sommet de l’État.
Guerre de tranchées
Sur ces décombres, on va assister à une formidable guerre de tranchées entre les principaux clans qui constituent le pouvoir algérien. Malade, le chef de l’État, qui était encore soigné récemment à Grenoble, est totalement affaibli. À tout moment, il peut disparaître. Or la belle alliance scellée contre Toufik a explosé depuis longtemps.
Les fractures vont apparaître, voici un an, lors d’un de ces conclaves militaires, qui décident collégialement de l’avenir de l’Algérie. Ce jour là, une trentaine de généraux majors planchent sur la succession du président Bouteflika. Le général major Gaïd Salah, qui depuis la prise de pouvoir en 2013 du maréchal Sissi en Égypte se rêve en pape de transition, va faire place nette. Et de quelle façon ! En début de réunion, le frère du Président, Saïd Bouteflika, qui joue les régents au Palais de Zéralda transformé en maison de cure médicale pour son frère président et qui se pose clairement, lui aussi, comme un possible successeur, est prié de quitter la salle avant que l’assemblée ne délibère. La réponse sera sans appel. Ce ne sera pas lui le futur Président. Et pas d’avantage l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia, conseiller à la Présidence mais coupable de proximité avec le DRS honni.
Pas plus le général–major Hamel, cet ancien gendarme que le président Bouteflika a placé à la tète d’une police gâtée et suréquipée. Éconduit, Saïd tente bien de le proposer comme candidat de substitution. Peine perdue ! Exit Hamel ! Ce jour-là, les chefs de l’armée, fidèles à une grande tradition, ont flingué toute tète qui dépassait. Protégé par une collégialité largement formelle, Gaïd Salah a pu continuer à avancer masqué. Ou presque…
Depuis, les chicayas n’ont pas cessé entre les clans au pouvoir. Le chef d’état-major fait feu de tout bois. Après avoir annexé la Direction Centrale de la Sécurité de l’Armée (DCSA), il l’a transformée en un véritable DRS-bis, dont le patron aujourd’hui est un ancien dirigeant des services particulièrement discret et efficace. Ce n’est pas tout. Gaïd Salah a mis en coupe réglée le puissant service des enquêtes financières, ainsi que les relations avec la presse qui longtemps, sous le règne de Toufik, furent gérées par un de ses proches, un colonel resté célèbre qui imposait sa loi dans les médias à coup de budgets publicitaires et d’intimidations en tous genres.
Un DRS amoindri
En face, le clan Bouteflika a bien tenté de faire du nouveau patron d’un DRS amoindri, le général Tartag, un ministre d’État et un conseiller à la Présidence avec l’espoir de le contrôler. Du moins jusqu’à ces derniers jours où on a vu Gaït Salah, sous de vagues prétextes fonctionnels, obtenir le déménagement des services de Tartag dans les locaux de l’état-major.