Egalité et Réconciliation
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Ramadhan ou la prison selon Audiard...

Voici venu le temps des belles nuits de Ramadhan où dans toutes les prisons de France une sorte d’apaisement vient couvrir le brouhaha habituel des coursives.

Durant ce mois sacré, pour tous musulmans pratiquants, il est interdit de boire, fumer, manger, durant la journée c’est pourquoi les détenus faisant le jeûne vivent principalement la nuit, seul moment où ils peuvent se restaurer avant l’aube.

Le rythme de vie de la détention s’en trouve complètement chamboulée, puisqu’en cette période, les nuits sont assez courtes et que le manque de sommeil se fait sentir au petit matin pour ceux qui veillent tard. Il y a donc moins de monde dans les cours de promenade matinale et les activités sportives et autres mouvements baissent d’intensité de façon générale dans toute la prison, même les incidents disciplinaires connaissent une baisse significative.

La centrale ne commence vraiment à s’activer qu’en milieu d’après-midi jusqu’à la remontée des promenades de 18h30. Puis en début de soirée à la fermeture des portes. Avant 19h et le passage de la gamelle, c’est le va-et-vient des échanges dans tous les étages, où, de cellule en cellule, on se partage la « chorba » traditionnelle et autres plats savoureux préparés durant le jour et qui ne seront consommés qu’à partir du coucher du soleil vers 21h.

Le début de soirée précédant le crépuscule est un moment particulier où règne un calme saisissant et quand je me mets à la fenêtre pour ressentir les vibrations de cette étrange atmosphère, il me semble entendre la patience des jeûneurs fredonner une prière. Je peux sentir les effluves des senteurs de cuisine orientale se diffusant à travers les barreaux comme autant de parfums aromatiques me transportant au-delà de la Méditerranée, dans des pays blancs et chauds, comme une ballade au milieu des souks aux odeurs d’épices enivrantes, où se promène nonchalamment djellabas immaculées, keffiehs et voiles aux couleurs bigarrées, ne laissant entrevoir que des regards chastes aux mille et une promesses.

Oui c’est tout un voyage que je fais en me mettant ainsi à la fenêtre pour m’imprégner de cet esprit sage des nuits de Ramadhan, qui, même ici au fond des cages, réconforte le cœur de ceux qui ont la foi et qui s’en remettent à Dieu seul pour tenir le coup et espérer.

La rupture du jeûne est annoncée au son de la voix d’un muezzin, diffusée par Radio Orient, appel à la prière du Maghreb qui s’élève dans un silence profond vers un ciel à l’écoute et qu’aucun bruit ne vient perturber.

Après l’Aden, tous les frères s’appellent aux fenêtres pour se souhaiter une bonne rupture de jeûne et dans toutes les cellules les repas peuvent être enfin entamés après toute une journée de privation.

J’aime cette ambiance singulière du mois de Ramadhan, surtout lors de la nuit du destin, cette fameuse nuit sacrée où les anges descendent sur terre et où, d’après ce que j’ai entendu dire, le destin de tous, pour l’année qui arrive, est proclamé. C’est à ce moment là que les croyants se doivent de veiller toute la nuit en prière pour faire leurs demandes afin que celles-ci aient une chance d’être exaucées.

Même si l’on ne fait pas partie de ceux qui font Ramadhan on peut quand même en ressentir ses bienfaits car c’est un moment d’apaisement, de partage, de solidarité entre tous les prisonniers et pas seulement entre ceux de confession musulmane, car il arrive souvent que les co-détenus musulmans viennent nous offrir une soupe, un repas ou un gâteau, qu’on ne peut refuser par respect, politesse et amitié.

Si la religion musulmane est la deuxième religion après le christianisme en France, dans le monde carcéral elle est, depuis quelques décennies, en tête de liste, la population pénale étant essentiellement composée d’une majorité de Français issus de l’émigration maghrébine et d’étrangers originaires du continent africain.

L’islam en prison est sujet à tous les phantasmes d’ailleurs on peut encore le voir dans le dernier film d’Audiard « Un prophète » qui donne une vision de la religion musulmane absolument négative, celle de « Barbus » extrémistes voulant à tout prix prendre le contrôle d’une taule en rivalité avec une équipe de bandits corses qui veut faire de même.

Comme raccourci et caricature on ne peut pas faire pire et je peux vous dire que la prison d’Audiard n’est qu’une chimère de plus qui alimentera encore plus la xénophobie et tous ce qui peut dégrader l’image d’un Islam tolérant aux yeux d’un public non averti.

Bien sûr qu’en prison il y a des extrémistes présumés incarcérés pour des faits de terrorisme puisque je les côtoie depuis plus de 20 ans. Je peux même vous dire que je les ai tous vu arriver par vagues successives, ceux impliqués dans les premiers attentats en 86, puis ceux de 95 à Paris, ceux de Roubaix, ceux de Lyon, ainsi que des dizaines de membres de réseaux et filières affiliés au F.I.S, l’A.I.S, G.I.A, sympathisants d’Al Qaïda et pseudo « djiadistes » de tous poils. Je pourrais vous faire une encyclopédie, un historique sur l’évolution de l’islamisme intégriste en milieu carcéral. J’ai discuté avec bon nombre d’entre eux par curiosité pendant des années, sur leurs motivations, leurs idéaux, pour essayer de comprendre ce qui les avait poussé à agir et j’ai compris qu’il n’y avait en fait rien à comprendre, que toute leur logique faisait partie intégrante du domaine du surnaturel, de l’au-delà, de la métaphysique et de la foi et que face à cela la vie ici bas n’avait pas vraiment d’importance.

Mais cependant, toute proportion gardée, même avec l’arrivée de toute cette nouvelle génération de prisonniers barbus, (qui ne représente au fond qu’un très faible pourcentage de la population pénale), il n’y a vraiment pas de quoi s’alarmer et craindre un danger imminent pour le monde « libre » et la civilisation occidentale.

La méconnaissance du milieu carcéral laisse libre cours à toutes sortes de légendes paranoïaques entretenues par les stéréotypes et les poncifs habituels qui détournent notre réalité au profit d’intérêts politiques ou pour le conditionnement des masses par la peur.

Trop facile de laisser les médias, nous raconter, le plus sérieusement du monde, qu’Al Qaïda recrute en promenade ou de nous faire croire que les intégristes mènent la danse dans les prisons, comme tente de le faire sous-entendre « Un Prophète » genre de film racoleur qui relève plus du racisme, de la propagande et de la mythomanie qu’autre chose.

Bref encore un cliché grossier pour des « gogos » qui n’ont jamais mis les pieds dans une prison qui, soit disant, est infestée de barbus et de dangereux malfaiteurs. Bhou ! J’ai peur !...

Mais bon, c’est le scénario qui veut ça paraît-il. Il faut choquer par toujours plus de violence gratuite, jouer avec les phobies. Alors le mélange prison, islamisme, banditisme, c’est l’idéal, pas étonnant que ça marche, car c’est dans l’air du temps, ce qui fait l’actualité. Ce sont les ingrédients désormais indispensables pour fabriquer de l’émotion pure à des spectateurs blasés en quête de sensations fortes.

Pour cela les producteurs, scénaristes et réalisateurs sont prêts à tous les mensonges, prêts à tous les amalgames, prêts à toutes les caricatures pour inventer une réalité carcérale factice aussi « balourde » que le décor en carton pâte de la prison qu’Audiard a dû fabriquer pour son film.

En plus, pour couronner le tout, son film a reçu un prix à Cannes, sans doute celui du film à message subliminal ?

Evidement on va me dire que tout cela est au service de l’art, d’une histoire, que c’est au-delà de la prison, que ce n’est que le décor d’un cheminement initiatique et tout le tralala...

Mais a-t-on vraiment besoin, pour cela, de salir une religion, de dénigrer, de stigmatiser des détenus qui n’en n’ont vraiment pas besoin en ce moment au vu de l’augmentation de la population pénale, des suicides et autres problèmes liés à l’enfermement. Comment va-t-on encore nous percevoir ?

Pourquoi utiliser une fois de plus le monde carcéral comme seul exutoire à tous les maux, à toutes les perversités d’une société qui pourtant, dans la réalité, ignore et méprise si profondément ses prisonniers et ses prisons.

Non sincèrement je préfère la douce ambiance bénéfique que nous vivons chaque soir au sein de la détention dès la tombée de la nuit, grâce à nos co-détenus musulmans en cette période de Ramadhan et qui n’ont absolument rien à voir avec cet intégrisme que l’on tente de nous vendre à toute les sauces et à la moindre occasion.

Je ne cautionnerai sûrement pas cette immonde supercherie cinématographique et ne laisserai pas dire n’importe quoi sur ce qui se passe à l’intérieur des murs, parce qu’à moi on peut pas me la raconter la prison, j’y suis depuis un quart de siècle !

Sur ces mots je vous laisse en souhaitant un bon mois de Ramadhan à tous ceux qui le font dedans et dehors...