Il faut se méfier de la futilité. On se gaussait de Fleur Pellerin. Même Canal + moquait son inculture revendiquée devant les caméras. Un ministre de la Culture qui ne lit pas. Et qui en pouffe de rire. Insignifiance inoffensive, pensait-on. A tort. La frivolité ne fait pas que des bulles. Elle peut détruire. Sans aucune mauvaise conscience. C’est en bonne voie avec le projet de loi Liberté de création, architecture et patrimoine voté en première lecture à l’Assemblée.
Seul son bref article 1er – « La création artistique est libre » – a fait l’objet de commentaires. Pour s’en amuser encore. Mais la sociologue de la culture Nathalie Heinich y a vu plus que de la démagogie : « Cette loi créerait une catégorie de citoyens à part, les artistes ayant un privilège, une impunité juridique, ce qui poserait un problème constitutionnel. » A l’appui de cet article 1er, Fleur Pellerin a invoqué la polémique du Vagin de la reine d’Anish Kapoor, cette installation qui a légalement vandalisé une partie du parc de Versailles. Un indice. Ou un lapsus. Car le reste de sa loi promeut une autre liberté. Celle de détruire. Les vieilles pierres. Les vieux jardins. Les vieux quartiers. La mobilisation des professionnels du patrimoine contre ce projet de loi désormais devant le Sénat a eu peu d’écho. C’est pourtant un siècle et demi d’une législation protectrice, lentement tissée de Prosper Mérimée à André Malraux et Jack Lang, que Fleur Pellerin saccage.
Une législation contraignante qui explique que les centres historiques soient préservés quand tant de maires ont défiguré les entrées de ville. Un modèle copié par de nombreux pays. La loi de 1913 sur les « Monuments historiques ». Les « Secteurs sauvegardés » créés par Malraux en 1962. Les « Zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager » mises en place par Lang en 1983. Ce maillage subtil mais efficace d’outils juridiques pilotés par l’Etat est ratatiné dans l’appellation unique de « Cité historique ». Laquelle est intégrée au plan local d’urbanisme modifiable par les maires ! Les collectivités locales deviennent maîtres d’ouvrage à la place de l’Etat. [...]
Il y a des maires conscients de l’intérêt de cette protection nationale. Eux savent ce qu’investissait l’Etat en interventions de professionnels enviés dans le monde entier pour identifier et délimiter les protections, opérer les restaurations. Ils sont affolés par cette liquidation. [...]
Tout se combine dans ce moment Pellerin. La crise des finances publiques. La haine de l’Etat national. La haine du passé.