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Entretien avec le musicien et chanteur Franck Deweare

Propos recueillis par Kontre Kulture Musique

Quel est votre parcours musical personnel, la genèse de votre projet ?

Je suis né à Verdun mais j’ai grandi à Thionville, en Moselle. En dépit des apparences Thionville avait, à l’aube des années 90, une scène alternative trépidante, connectée sur le post-punk britannique et américain. Alors que Nirvana était encore inconnu, Bleach était déjà culte parmi nous. On n’en avait que pour Sonic Youth, Butthole Surfers, Nick Cave, Slint, Minor Threat, Albini et consort... Ça se reflétait dans la musique de nos groupes. Y avait les Davy Jones Locker, les Hems. Moi je jouais dans les Poormen.

On faisait tous les concerts qu’on pouvait faire (avec les Garçons Bouchers, Ludwig Van 88, Sheriff...). Un beau jour on a gagné un concours qui nous a permis de faire la première partie de Bashung. C’était l’époque de Novice. J’ai pris une baffe.

Ensuite, je suis parti avec la femme de ma vie m’établir à Bruxelles. Je m’y suis senti à la maison instantanément. J’ai monté un trio nommé Franck Marx avec le batteur de La Muerte et Nico de A Split Second. On a pas tardé à signer chez Bang Records, les découvreurs de dEus. Ce furent des années heureuses difficiles à résumer en quelques lignes. La Belgique est un pays formidable.

En 2000 j’ai pris un zingue pour le Québec pour voir là-bas si j’y étais. Ça s’est bien passé aussi. Mon premier concert en sol nord-américain fut au Métropolis de Montréal, en compagnie de Cindy Lauper qui faisait une reprise punk de La Vie en rose...

 

Quel a été le déclencheur de votre désir de devenir musicien ?

La musique a toujours été un combat. Un combat pour faire quelque chose de valable et de respectable. Ce sont les batteurs qui m’ont donné envie de devenir musicien. Tout jeune je tripais sur Stewart Copland, Lars Ulrich, Nico Mc Brain, Richard Kolinka... Ensuite ce furent une multitude d’albums et de morceaux : Gainsbourg, Chostakovich, Helmet, Duke Ellington, Can...

 

Quelles ont été vos précédentes expériences avec le public ou avec les labels et maisons de disques, en France ou à l’étranger ?

J’ai écrit des titres pour des artistes mainstream en France et au Québec. Les choses sont rarement toutes blanches ou toutes noires : chez les majors j’ai parfois rencontré des gens cool, et non dénués de valeurs ni de goûts. Je vais pas cracher dans la soupe : j’ai pu payer quelques loyers grace aux royalties que ca m’a rapporté et en plus ça m’a permis de produire mes albums comme je l’entendais. Par contre, aucune major ne m’a proposé de me signer et y a encore moins de chance qu’on me le propose aujourd’hui !

 

Que pensez-vous de la musique qui est proposée par les médias mainstream en France de nos jours ?

Au-delà de la qualité de la musique mainstream, c’est plutôt son hégémonie qui est douloureuse. Souvent, t’as beau changer de station de radio, c’est la même ineptie qui passe...

On pouvait espérer qu’avec l’Internet on allait enfin avoir un peu de répit : grossière erreur ! Les majors y règnent en maîtres... Le problème n’est pas tant que la musique qui passe soit bonne ou pas (il y a eu de la merde de tous temps), c’est surtout la manière dont on nous incite à la consommer : à 1$ le titre sur l’infâme iTunes, en streaming à la qualité douteuse, sur les chiottes en poussant une crotte avec notre iPhone en main... c’est triste.

 

Comment avez-vous découvert Kontre Kulture Musique et E&R ?

Comme beaucoup de monde : par l’axe Dieudonné-Soral-E&R.

J’ai réalisé l’entretien mélomane de Soral lors de son passage à Montréal en 2012. Depuis, on a entretenu une correspondance succincte mais amicale et régulière. C’est un bonhomme qui se tient debout et dont le travail m’a permis à m’extraire de la zone de confort où je me tenais, là-bas, tout à gauche.

 

Considérez-vous votre travail comme un acte culturel militant ?

Pas du tout. Je me considère à peine comme un musicien, donc encore moins comme un dissident. Je milite seulement pour qu’on me laisse en paix écrire ma petite musique, comme disait l’autre. Ça ne m’empêche pas de balancer quelques mots grinçants, mais c’est pas avec ça qu’on reprendra la Bastille.

 

Que vous inspire l’époque dans laquelle nous vivons ?

J’ai aimé le mot du Gorafi après les attentats du 13 novembre : « L’agence Fitch vient de descendre la note du monde de “Monde de merde” à “Monde de merde-merde”. » Ça résume pas mal ce que je pense de notre époque. C’est le thème de mon album Mes semblables, ce qui en fait un disque plutôt cynique. Pour combattre la morosité, j’ai acheté une baraque dans la forêt québécoise où je fraternise avec les chevreuils, les geais bleus et les ratons laveurs...

 

Si vous pouviez partager un dîner fraternel et bien arrosé avec trois personnes de votre choix, vivantes ou disparues, quelles seraient-elles ?

Ça serait chez moi avec mon bon ami Erik Truffaz, Stanley Kubrick (le boss) et Gainsbourg (le pape) autour d’un ris de veau au gratin dauphinois à la lyonnaise.

 

Après la Troisième Guerre mondiale, vous êtes le seul survivant. Quelque part dans les décombres, une platine fonctionne encore. Juste à côté, un seul disque a échappé au carnage. Lequel ?

La Symphonie n°1 de Chostakovich conduite par Kurt Sanderling.

 

Finalement – car tout a une fin –, vous arrivez au paradis. Qu’aimeriez-vous que l’on vous dise en arrivant ?

« Y a eu erreur, on vous redescend tout de suite. Veuillez excuser ce contretemps bien indépendant de notre volonté. »

 

Enfin, en imaginant qu’il lise ces lignes, qu’aimeriez-vous dire à Patrick Bruel ?

« Allez Pat, tu dis ça parce que t’es en colère, mais t’en penses pas un mot. »

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