Chapeau, M. Browder ! Je lui tire mon chapeau, à ce type incroyable ! Le mois dernier, il a réussi à faire arrêter le visionnage d’un film, L’Effet Browder, au Parlement européen [1], et il a fait retirer quelques articles de sites américains. Et voilà que cette semaine, il a réussi à faire de la projection aux US (exclusivement) de ce film critique sur sa propre histoire l’occasion d’un énorme branle-bas de combat.
Surtout pas de liberté d’expression pour ses ennemis, que nenni ! Ses avocats rôdent et menacent de poursuites quiconque creuse dans ses affaires sordides. Ses sbires ont réécrit sa notice Wikipedia, en expurgeant jusqu’aux discussions sur le sujet : malgré des centaines de posts, rien n’a survécu en dehors de la version officielle. Très peu d’hommes puissants sont parvenus à effacer leurs traces à ce point là. Et malgré cela, la chance, toujours volage, est en train de lui tourner le dos, à ce M. Browder.
Qui est donc cet homme extrêmement influent ? Un homme d’affaires, un politicien, un espion ? Le magnat juif né américain William Browder – dit le Jewish Chronicle – se considère comme l’ennemi numéro un de Poutine. Pour lui, Poutine n’est « pas ami des juifs », c’est un « tueur à sang froid » et même un « dictateur criminel, qui ne diffère en rien d’ Hitler, de Mussolini ou de Kadhafi ». Plus précisément, Browder, c’est l’homme qui a le plus contribué à déclencher la nouvelle guerre froide entre l’Occident et la Russie. Les racines en étaient bien là, certes, mais c’est lui qui les a fait fleurir. Si les US et la Russie n’ont pas encore échangé leurs tirs de sommation nucléaire, ne lui en faites pas reproche : il a fait tout ce qu’il a pu. Et ce, pour une raison particulièrement valable : il a été frappé par le cruel suppôt d’Hitler Vladimir Poutine, là où cela lui fait le plus mal, au porte-monnaie. À moins qu’il y ait eu encore une meilleure raison ?
C’est un petit-fils du dirigeant communiste américain Earl Browder [2] ; il est arrivé en Russie au moment où celle-ci était le plus affaiblie après l’effondrement soviétique, et il a su rafler une fortune colossale grâce à des transactions financières opaques. Ce genre de fortunes n’est pas l’œuvre du Saint-Esprit. Il était impitoyable, comme n’importe quel oligarque, pour s’enrichir personnellement.
Et voilà qu’il s’est mis en travers de M. Poutine, qui était et qui reste très tolérant envers les oligarques tant qu’ils respectent les lois. Les oligarques ne le seraient pas s’ils trouvaient cela facile. Certains d’entre eux ont essayé de trouver une parade : Khodorkovsky a atterri en taule, Berezovsky et Gusinsky sont partis en exil. Browder était dans une position particulière : c’était le seul oligarque juif en Russie qui ne s’était jamais soucié d’acquérir la nationalité russe. Il a été interdit de séjour en Russie, ses sociétés ont fait l’objet d’un audit, et le résultat laisse à désirer. Comme vous pouvez le supputer, on lui a découvert d’énormes fraudes fiscales. Browder pensait que tant qu’il léchait les bottes à Poutine, il échapperait à une fin sanglante, et poursuivrait ses manigances en matière d’évasion fiscale. Il se trompait. Poutine n’est la marionnette de personne. Les flatteurs n’ont pas le champ libre en Russie.
Et Browder avait vu trop grand. Il a commis deux fautes impardonnables. Les Russes avaient peur que les étrangers rachètent tous leurs biens pour une bouchée de pain, en faisant jouer les taux d’intérêt favorables et le manque de capital autochtone, comme cela s’était produit dans les États baltes et d’autres pays de l’Est, anciennement communistes. Pour éviter cela, les actions des firmes les plus sûres, purement russes, comme Gazprom et d’autres, ont été négociées entre citoyens russes exclusivement. Les étrangers devaient payer bien plus cher. Browder a fait acheter des quantités d’actions de ce genre par des hommes de paille, et il était sur le point de prendre le contrôle du pétrole et du gaz russes. Or Poutine supposait bien qu’il avait agi dans l’intérêt de grandes compagnies pétrolières étrangères, pour renouveler les exploits de M. Khodorkovsky.
Sa seconde erreur, c’est d’avoir été trop cupide. Les impôts en Russie sont très bas, mais Browder n’avait pas envie d’en payer du tout. Il a engagé Mr. Magnitsky, un fiscaliste expérimenté, qui a mis à profit des lacunes dans le code des impôts russes pour éviter toute taxation. Magnitsky a installé des sociétés écran basées dans des zones franches de Russie, telle l’enclave pastorale Kalmykia, de petite taille, bouddhiste, et autonome. Le statut non-imposable de l’enclave lui avait été garanti afin de favoriser un essor économique et de réduire le chômage ; cependant les sociétés de Browder n’ont nullement contribué au moindre essor économique et n’ont pas créé d’emploi : c’était des sociétés sur le papier, prestement déclarées en faillite par leur propriétaire.
Autre entourloupe de Magnitsky, il a créé des sociétés dirigées par des handicapés, également exemptés d’impôts. Dans le film, certaines de ces personnes, souvent illettrées et à l’intelligence limitée, parlaient au réalisateur de papiers qu’ils avaient signés sans avoir pu les lire, et de sommes modestes reçues pour laisser transiter des millions par leurs comptes en banque.