Du 17 au 26 juin devaient se réunir en Crète, l’ensemble des 14 Églises orthodoxes autocéphales. Dans un récent communiqué, le saint synode (assemblée des évêques) de l’Église orthodoxe russe a annoncé qu’elle ne participerait pas au concile orthodoxe, suivant en cela d’autres Églises comme les Églises bulgare et géorgienne. Annoncé comme historique et préparé de longue date, ce concile est perçu par certaines des principales Églises orthodoxes, dont l’Église russe, comme une tentative d’imposer le modernisme au sein de l’Église.
Cet événement nous donne l’occasion de nous pencher sur l’influence grandissante des réseaux conservateurs orthodoxes dans la politique russe ainsi que sur certains de leur relais les plus efficaces. Influence qui se fit jour de manière particulièrement visible lors du voyage de Vladimir Poutine au Mont Athos en mai dernier. Un déplacement de haute importance qui a certainement aidé le Patriarcat russe dans sa décision de ne pas participer au concile de Crête.
Autorité spirituelle et pouvoir temporel
En mai dernier, le président russe Vladimir Poutine était en Grèce pour une série de visites importantes. Après les rencontres avec l’exécutif grec, le président Poutine s’était rendu au Mont Athos où il participa avec le Patriarche Cyrille à la commémoration du millénaire de la présence spirituelle russe sur la montagne sacrée. Ces célébrations furent l’occasion d’un événement de très grande portée symbolique. Un événement qui confirma pour l’État russe, sa rupture avec le sécularisme et l’indifférence religieuse de l’Occident. Au point culminant de cette visite au Mont-Athos, le président russe s’est ainsi tenu à la place qu’occupaient autrefois les empereurs byzantins du temps de l’Empire romain d’Orient. Cet événement allant jusqu’à provoquer une brouille entre les autorités de l’Athos et la délégation grecque.
L’événement avait été alors très commenté par le think-tank Katehon et sur la télévision orthodoxe Tsargrad :
« Les moines de l’Athos ont alors offert à Vladimir Poutine de prendre la place prévue pour les évêques et les dirigeants de l’État orthodoxe. Dans le passé, cet endroit a été occupé par les empereurs byzantins. Cette proposition est devenue une source de scandale diplomatique car, avec le président russe, était venu au Mont Athos le président de la Grèce, Prokopis Pavlopoulos. Cependant, la place d’honneur n’ayant pas été offerte au président grec, mais à l’invité russe. À la suite du débat entre le gestionnaire de l’Athos et les autorités grecques, le secrétaire spécial pour la diplomatie religieuse auprès du ministère des Affaires étrangères, M. Stafis Liantas, a été déclaré "persona non grata" sur le Mont Athos. En conséquence de cela, le président de la Grèce n’a pas participé au culte. Au lieu de cela, à la droite du président Poutine, se tenait le ministre des Affaires étrangères de la Grèce, Nikos Kottsias ». [1]
« Cet épisode démontre que les moines du Mont Athos pensent que Poutine est leur chef politique, bien que formellement l’Athos fasse partie de la Grèce. Et pas uniquement les moines grecs. Sur l’Athos il y a aussi des monastères serbes, bulgares, géorgiens et russes. Parmi les moines de l’Athos, il y a de nombreux représentants d’autres nations orthodoxes : Roumains, Macédoniens, Albanais. Le Centre spirituel du monde orthodoxe manifeste donc que le chef de l’État russe est le principal défenseur de la foi chrétienne et place en lui de grands espoirs. Le président russe et le Patriarche, avec leur visite au Mont Athos, ont montré que la notion d’autorité byzantine renaît en Russie. Le dirigeant russe a ainsi pris la place symbolique de chef politique orthodoxe et a, de fait, soutenu l’Athos en faveur du maintien de la pureté de l’Orthodoxie et condamné les tendances crypto-catholique de la vie de l’Église ».
Le symbole est clair, Poutine est désormais reconnu par l’une des plus hautes autorités spirituelles du monde orthodoxe – les moines du Mont Athos – comme le défenseur de la Chrétienté orthodoxe dans le monde. En prenant la place autrefois réservée aux empereurs byzantins, le président russe est désormais considéré comme le « Basileus », le protecteur de l’Orthodoxie universelle et la Russie comme le « Katechon » qui résiste au Nouvel Ordre mondial et au sécularisme.
À bien des égards on assiste ici à un retour de la symphonie des pouvoirs temporel et spirituel, système caractéristique des États chrétiens orthodoxes.