Le 16 février, en marge d’une manifestation des Gilets jaunes, le philosophe Alain Finkielkraut est interpellé dans la rue. « Sale sioniste de merde », lui lance un homme. Cette scène, filmée sur le vif, le député La République en marche (LREM) Sylvain Maillard ne cesse de la citer en exemple ces derniers jours. Il veut convaincre ses collègues parlementaires de voter, mardi 3 décembre, sa proposition de résolution sur l’antisémitisme.
« Président du groupe d’étude "Antisémitisme", je suis également vice-président des groupes d’amitié France-Allemagne et France-Israël et membre des groupes d’amitié France-Arabie saoudite et France-Arménie. »
Adoptée à l’Assemblée nationale par un très faible nombre de voix (154 votes pour, 72 votes contre, 351 abstentions), la proposition de résolution contre l’antisémitisme du 3 décembre 2019 correspond à une revendication de longue date du lobby sioniste. Porté par le député LREM Sylvain Maillard, ce texte « invite » le gouvernement à se référer à la définition opérationnelle de l’antisémitisme telle qu’établie en 2016 par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), définition soutenue et validée par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Sans valeur juridique contraignante, cette résolution constitue néanmoins un nouvel outil moral, symbolique et politique, que ne manqueront pas d’utiliser les réseaux qui font pression sur la France dans le but de pénaliser l’antisionisme et sanctuariser leurs intérêts.
« J’attends que la France adopte la recommandation du Parlement européen qui a adopté la définition de l’IHRA, laquelle recense en onze points ce qu’est l’antisémitisme. Parmi eux figure la négation d’Israël. » (Francis Kalifat, président du CRIF)
« J’accuse le gouvernement d’une certaine complaisance à l’égard de l’antisionisme. » (Meyer Habib, député de la huitième circonscription des Français établis hors de France)
Si l’adoption de la résolution contre l’antisémitisme traduit la « promesse » faite par Emmanuel Macron lors du dernier dîner du CRIF de « mettre en œuvre » une définition de l’antisémitisme élargie (à l’antisionisme et aux « formes modernes de l’antisémitisme »), elle n’allait pourtant pas de soi pour le président de la République et son Premier ministre Édouard Philippe qui ont bien conscience du risque de céder trop de terrain au lobby sioniste. La démonétisation de l’ultra servile Manuel Valls leur ayant servi d’exemple à ne pas suivre, le « couple » gouvernemental a plusieurs fois repoussé l’échéance et résisté aux exigences délirantes.
« Je ne pense pas que pénaliser l’antisionisme soit une solution. (...) Lorsqu’on rentre dans le détail, la condamnation pénale de l’antisionisme pose d’autres problèmes. » (Emmanuel Macron lors du 34e gala annuel du CRIF, 20 février 2019)
Cette déclaration du chef de l’État venait alors éteindre les espoirs de certains, le groupe d’étude sur l’antisémitisme de l’Assemblée nationale évoquant à l’époque cette possibilité avec sérieux. Son président Sylvain Maillard s’était en effet jeté sur « l’affaire Finkielkraut » (l’académicien ayant été insulté de « sale sioniste » le 16 février 2019 lors de l’Acte XIV des Gilets jaunes) pour justifier la piste d’une proposition de loi de pénalisation de l’antisionisme.
« Je crois qu’il nous faut nous accorder au sein de l’Union européenne sur une même définition, afin que l’ensemble des États membres puissent lutter efficacement contre l’antisémitisme à l’échelle du Vieux Continent. Je réfléchis actuellement à la manière la plus efficace de faire reconnaitre la définition adoptée par le Parlement européen au sein de nos institutions françaises et de nos administrations (Police, Justice…). Avec notre groupe d’étude, nous proposerons dans les semaines qui viennent une réponse juridique et un modus operandi afin d’avancer sur la concrétisation d’une évolution de la définition de l’antisémitisme en France. » (Sylvain Maillard, entretien avec Marc Knobel, directeur des études au CRIF)
Finalement adoptée sans modification du Code pénal et par à peine 80 députés LREM, soit moins d’un tiers du groupe (en dépit du soutien apporté par le président du groupe, Gilles Le Gendre et le délégué général du mouvement, le strauss-kahnien Stanislas Guerini), la nouvelle définition de l’antisémitisme ne fait pas l’unanimité et aurait plutôt tendance à diviser...
Qui est Sylvain Maillard ?
Né en 1974 à Saint-Maur-des-Fossés, Sylvain Maillard grandit à Versailles (Lycée Notre-Dame du Grandchamp) et suit des études comptables et financières à ICS Bégué (école d’expertise comptable dirigée par Marc Sellam) avant d’obtenir un mastère HEC-Entrepreneurs à l’École supérieure de commerce de Grenoble.
Après avoir étudié les sciences politiques à l’université de Munich, il revient en France en 2001 et crée avec Florian Abraham Deloppinot Alantys Technology, une entreprise basée à Argenteuil et spécialisée dans l’import-export de composants électroniques. Toujours en activité, cette société de 70 salariés lui permettrait d’être aujourd’hui millionnaire. Alantys Technology dispose de bureaux en Chine, en Italie, en Allemagne, en Espagne et depuis 2012 en Israël (Tel-Aviv). En octobre 2019, Alantys Technology réorganise son capital avec l’entrée de LBO France (société de capital-investissement fondée en 1985 par Gilles Cahen-Salvador, fils du conseiller d’État Jean Cahen-Salvador) au travers du fonds FPCI LBO France Capdev FRR France.
« Centriste de cœur et militant dans l’âme », il s’engage très tôt en politique : il participe à la campagne présidentielle de Jacques Chirac en 1995 puis rejoint l’UDF de François Bayrou à la fin des années 1990, le Nouveau Centre d’Hervé Morin en 2007 et enfin l’UDI, nid de franc-maçons, à sa création en 2012.
Élu sur la liste UMP-UDI-MoDem conduite par Delphine Bürkli (ancienne attachée parlementaire de Pierre Lellouche, proche de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Christian Estrosi) et Alexis Govciyan, il devient en 2014 conseiller du maire du 9e arrondissement de Paris, délégué à « l’attractivité économique, à l’emploi, au tourisme, aux professions libérales, au commerce de proximité et à l’artisanat ».
Il rejoint En marche ! à sa création en 2016, via le franc-maçon venu du PS Richard Ferrand (actuel président de l’Assemblée nationale, mis en examen pour prise illégale d’intérêts dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne), et devient l’un des porte-parole d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle de 2017.
Le 11 juin 2017, il est élu député de la première circonscription de Paris dès le premier tour des élections législatives (avec 50,8 % des voix). Il succède ainsi pour quelques voix à Pierre Lellouche et devient le premier député LREM à l’Assemblée nationale. Sa suppléante lors de cette campagne est Clara Pisani-Ferry (fille du strauss-kahnien Jean Pisani-Ferry et arrière-arrière-petite-nièce du célèbre franc-maçon Jules Ferry).
En novembre 2017, Sylvain Maillard et Aurore Bergé (vice-présidente du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, ancienne conseillère communication chez Microsoft et Huawei) sont invités en Israël par le cabinet de lobbying Elnet. Cet organisme du complexe militaro-industriel israélien est dirigé en France par Arié Bensemoun (ancien président de la communauté juive de Toulouse et soutien inconditionnel de la résolution contre l’antisémitisme). Son objectif est de promouvoir activement les sociétés israéliennes de cybersécurité.
Depuis les attentats de 2015 en France, de plus en plus d’élus ne jurent plus que par le modèle israélien de sécurité. (...) Selon nos informations, c’est le cabinet de lobbying Elnet qui pilote l’offensive de charme de Tel-Aviv à destination des politiques. (...) Depuis plusieurs mois, Elnet a réussi à se rapprocher du maire de Nice Christian Estrosi. Le cabinet a ainsi organisé conjointement avec l’édile, en mars dernier, la conférence dédiée à la cybersécurité Safe & Smart City 2017. Toujours à l’offensive, Estrosi était de nouveau en visite à Tel-Aviv fin octobre, où il a rencontré Yoram Cohen, l’ex-directeur du Shin Bet, ainsi que l’ancien directeur de l’Unité 8200 (la NSA israélienne), Pinchas Buchris. À la tête de son fonds State of Mind Ventures (SOMV), Buchris est aussi membre du conseil d’administration de la société de cybersécurité Reporty, présidée par l’ancien Premier ministre israélien, Ehud Barak.
En mai 2019, il participe à une conférence organisée par les députés Meyer Habib et Claude Goasguen dans un grand hôtel parisien avec Yossi Dagan, le président des colons de « Samarie » (nom donné en Israël au nord de la Cisjordanie). Le journaliste Dominique Vidal déclarera alors : « Ce faisant, ces députés ne bafouent pas seulement le droit international, mais aussi la position de la France dont tous les gouvernements depuis 1967 ont condamné la colonisation. La vidéo de cette rencontre illustre le cynisme du véritable chantage à l’antisémitisme pour contraindre la République à s’aligner sur la politique de Tel-Aviv. »
Le 23 juillet 2019, il vote en faveur de l’adoption du CETA, accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.
En septembre 2019, il intègre l’équipe de campagne de Benjamin Griveaux (proche collaborateur de Dominique Strauss-Kahn et mari de Julia Minkowski) pour les élections municipales de 2020 à Paris. Il retrouve ainsi Delphine Bürkli, qui a elle aussi intégré l’équipe de campagne de l’ancien secrétaire d’État d’Emmanuel Macron. Sylvain Maillard y gère les finances de l’association Avec Benjamin Griveaux, en compagnie de la trésorière Axelle Evrard. La suppléante de Benjamin Griveaux pour cette élection est Élise Fajgeles, chargée de mission de la DILCRAH (le responsable de la DILCRAH Frédéric Potier, ancien collaborateur de Manuel Valls, est l’un des promoteurs actifs de la résolution contre l’antisémitisme), ancienne collaboratrice de Manuel Valls, présidente du groupe d’amitié France-Israël (Sylvain Maillard est vice-président), petite protégée du CRIF et du B’nai B’rith.
Visiblement pris en charge par le lobby sioniste pour faire passer ses revendications, le zèle de l’entrepreneur Sylvain Maillard ne fait l’unanimité ni au sein de la classe politique ni au sein de son groupe. La proposition de résolution n’a été signée que par un tiers du groupe de la majorité, ce qui est rarissime. Quatre parlementaires MoDem et LREM, et deux communistes, ont même demandé dans une tribune publiée sur le site internet du Monde son retrait de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Le même jour, 127 universitaires juifs (principalement anglo-saxons) appelaient à ne pas la soutenir. Sans compter le silence de mort d’Emmanuel Macron sur la question depuis son adoption... La pression israélienne sur les institutions françaises mènera-t-elle le pays jusqu’à son point de rupture ?