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Partie 1 : Léon XIII, le pape par lequel la maçonnerie pénétra l’Église
Du Privilegium Ottonianum (962) au « droit d’exclusive » (1590)
1590 – L’élection d’Urbain VII et la formalisation du « droit d’exclusive »
1846 – Élection de Pie IX : le pape qui tenta de gérer l’offensive politique antireligieuse
Léon XIII, le débiteur des loges
1878 – Élection de Léon XIII
1880 – Première expulsion religieuse (Freycinet-Ferry)
Le toast d’Alger : 18 novembre 1890
Février 1892 – L’encyclique Au milieu des sollicitudes
1903 – La seconde expulsion et le bannissement définitif des religieux (Émile Combes)
Partie 2 : La pénétration de l’idéologie vétérotestamentaire : l’inerrance biblique
Des chercheurs biblistes qui dérangent
L’encyclique Providentissimus Deus (1893)
Le décret De reformatione du concile de Trente
Pie XI, l’inquiétant séide d’Aristide Briand
L’excommunication de l’Action française, preuve de l’appui inconditionnel du Vatican à Aristide Briand
L’encyclique Mortalium animos (6 janvier 1928)
Pie XII et l’encyclique Divino afflante Spiritu (30 septembre 1943)
Le récent terme d’inerrance, concept « protestant » revendiqué ?
Partie 1 :
Léon XIII, le pape par lequel la maçonnerie pénétra l’Église
Il serait naïf de croire que l’élection pontificale est restée à l’écart de l’influence des grandes puissances politiques européennes. Dès que la religion catholique et la papauté ont été assez fortes pour interférer dans la vie politique, les puissances chrétiennes ont influé sur les élections pontificales et vice versa… Mais peu de papes peuvent revendiquer le fait d’avoir été élus par l’entremise de la maçonnerie pour laisser mener (ou pire faire mener) une politique anticatholique !
Ce fut le cas de Léon XIII sans qui jamais le ralliement des catholiques à la République française, l’expulsion des congrégations et la loi de 1905, n’auraient pu se produire… Une responsabilité écrasante, toujours occultée de nos jours, alors que l’on continue de célébrer l’auteur de Rerum Novarum comme le pape ayant « condamné le modernisme »…
I – Du Privilegium Ottonianum (962) au « droit d’exclusive » (1590)
Le Privilegium Ottonianum – droit de veto à l’élection pontificale concédé par Jean XII [1] en 962 à l’empereur Othon, qui lui avait permis de recouvrer les États pontificaux envahis – a régi directement l’élection pontificale durant 16 papes. Ce, jusqu’à Nicolas II qui le supprima en tant que tel en 1059 pour l’associer au choix électoral des seuls cardinaux. Confirmant le synode de Melfi, sous l’influence du moine Hildebrand, futur pape Grégoire VII, il promulgua le 13 avril 1059, un décret qui remettait l’élection du pape dans les seules mains du collège des cardinaux (ce qui n’empêche pas lesdits cardinaux d’élire pape un non cardinal, voire un simple laïc). Néanmoins, l’empereur du Saint-Empire gardera le droit de confirmer le candidat au siège pontifical.
L’habitude de voir les puissances politiques interférer dans l’élection papale était prise...
C’est Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique, et surtout son fils Philippe II, roi d’Espagne, qui vont institutionnaliser le droit de veto à l’élection pontificale, privilège jamais reconnu mais effectif, dit « droit d’exclusive », en fait une version modernisée et étendue du Privilegium Ottonianum, qui a duré jusqu’au début du XXe siècle.
1590 – L’élection d’Urbain VII et la formalisation du « droit d’exclusive »
À la mort du pape Sixte V en 1590, Philippe II, alors au sommet de sa puissance politique, fournit une liste de sept cardinaux parmi lesquels le conclave est censé faire son choix, menaçant de veto l’élection de tout autre de ses membres… Les cardinaux obtempérèrent : Urbain VII fut élu... mais mourut de la malaria au bout de 12 jours avant même d’avoir été sacré. L’un des pontificats les plus courts de l’Histoire. Urbain VII est réputé avoir été la première personnalité à s’opposer au tabac, menaçant d’excommunier toute personne fumant dans une enceinte religieuse ; un ostracisme envers les fumeurs qui ne lui aura donc pas réussi…
Philippe II va réitérer cette même année et Grégoire XIV, alors élu, s’il figure bien parmi la liste des sept cardinaux préconisés, ne règnera que quelques mois.
En 1591, Philippe II fera encore de même pour le troisième conclave, dont sortira Innocent IX, fils du cardinal Francesco Sfondrati et autres oncles ou cousins cardinaux issus de la même famille… ATTENTION, FS est le père de Grégoire XIV ! Il ne règnera que dix mois.
Après ces trois interventions en moins de deux ans, le terme de jus exclusivæ (« droit d’exclusive ») commencera à être employé. Ce terme d’exclusive signifie bien ici le droit d’exclure de l’éligibilité pontificale.
Ce privilège est désormais admis pour le Saint-Empire, l’Espagne et la France (le premier État, historiquement, à avoir embrassé le christianisme romain avec le baptême de Clovis, d’où sa qualification de « fille aînée de l’Église »). Face à une Italie politiquement mosaïque, ces trois États regroupent alors l’essentiel des cardinaux.
Ce droit d’exclusive est porté à la connaissance de tous les cardinaux, lors du conclave, par un cardinal d’un des pays l’exerçant, expressément mandaté au nom de son roi ou de l’empereur.
Le conclave est devenu une assemblée isolée depuis celui de Viterbe en 1268 où durant plus de deux ans les cardinaux italien et français se sont affrontés, bloquant toute élection pontificale, jusqu’à ce qu’ils soient enfermés par la population excédée, voulant un pape, et réduits au pain et à l’eau pour se décider à se mettre d’accord. La tradition rapporte même que pour accélérer encore les choses, on commença à retirer les tuiles du toit laissant leurs éminences à l’air libre ! Les cardinaux seront dès lors enfermé d’où le nom de l’assemblée : conclave = cum clavis = « avec une clef »)
Teobaldo Visconti, archidiacre en Terre sainte, fut finalement élu pape sous le nom de Grégoire X.
On comprend donc que, depuis la fin du Xe siècle, les interdictions politiques potentielles – transmises par les cardinaux – sont prévues bien avant que le conclave ne se tienne, et qu’elles ne sont dévoilées que si la personne objet du veto se trouve en situation potentielle d’être élue.
L’exclusive n’est donc portée au cours du conclave qu’après les premiers tours de vote laissant émerger, le cas échéant, la candidature à exclure. Ce qui signifie que l’Histoire n’a retenu que les cas où le droit d’exclusive fut effectivement porté, et non pas l’ensemble des cas où des cardinaux qui n’ont pas rassemblé un nombre suffisant de suffrages sur leur nom étaient pourtant destinés à être écartés selon le vœu de tel ou tel chef d’État. Les exclusive « prévues » ont donc dû être infiniment plus nombreuses que celles historiquement constatées : on parle déjà de plus d’une trentaine... et on n’évoquera pas les exclusives prévues, mais devant être portées par des cardinaux parvenus en retard, arrivés après la mise sous clef des votants et le début du processus électoral. Tel fut le cas de la tentative d’exclusive portée par la France au conclave de 1644, quand Mazarin, mandaté par le roi, arriva trop tard pour empêcher l’élection du cardinal Pamphili, qui fut élu sous le nom d’Innocent X.
Au XIXe siècle, après la dissolution du Saint-Empire par Napoléon, le « droit d’exclusive » germanique sera reconnu à ses « héritiers » : l’Empire allemand et l’Empire austro-hongrois.
1846 – Élection de Pie IX : le pape qui tenta de gérer l’offensive politique antireligieuse
L’élection de Pie IX, pape au plus long pontificat de l’histoire (31 ans), si elle avait initialement suscité certains espoirs chez les progressistes italiens, allait assurer une affirmation conservatrice dans le monde catholique.
Les troubles politiques consécutifs à l’instauration de l’unité italienne et la confiscation des États pontificaux allaient rendre la position pontificale des plus précaires : chassé de son palais du Quirinal, le pape sera cantonné au Vatican, qui n’aura plus alors aucun statut politique particulier.
Face à l’instabilité de son pouvoir, il tente de s’affirmer en faisant proclamer le dogme de l’Immaculée Conception (dogme affirmant la naissance de la Vierge Marie exempte du péché originel) et surtout celui, toujours controversé, de l’infaillibilité pontificale (dogme proclamant l’impossibilité que des propos pontificaux concernant la foi puissent être entachés d’erreur) au concile de Vatican I (concile qui restera d’ailleurs inachevé à la suite de l’invasion et de la prise de Rome par les insurgés !)
Il faudra attendre plus de cinquante ans, l’avènement de Mussolini et les accords de Latran (1927), pour que soit créé et reconnu l’État pontifical du Vatican et que le souverain pontife retrouve une reconnaissance internationale.
Sur le plan scientifique comme philosophique, cette période regorge de découvertes et de théories qui semblent devoir ébranler la doctrine traditionnelle de l’Église : darwinisme, marxisme, historicité de la Bible, etc. C’est une crise sans précédent pour l’Église qui analyse de façon libérale l’évolution du monde moderne.
Au moment où se pose la Question romaine (l’annexion de l’unique vestige des États pontificaux — Rome — au reste de l’Italie unifiée), le pape Pie IX dénoncera les erreurs de l’époque par l’encyclique Quanta cura (8 décembre 1864), qui complète le Syllabus. On parlera dès lors de la « condamnation du modernisme ».
La lettre Quanto conficiamur moerore aux cardinaux et évêques d’Italie (10 aout 1863) est aussi particulièrement significative de cet état d’esprit [2].
« Pour lui [Pïe IX], la menace contre l’Église ne vient pas de telle ou telle erreur particulière mais du libéralisme, c’est-à-dire le maçonnisme », selon les termes de Mgr Henri Delassus.
Soucieux de stabiliser le navire en pleine tempête, Pie IX se raccrochera aux « vérités certaines » (théologiquement, les affirmations issues des Écritures saintes jugées intangibles, en particulier la Genèse évidemment attaquée par les scientifiques mais aussi par les exégètes bibliques, notamment les Allemands, alors à l’origine de l’extension de la méthode historico-critique). En ce sens Pie IX va remettre à l’ordre du jour la théologie vétérotestamentaire bien oubliée depuis le Moyen Âge…
Le Concile de Trente (milieu du XVIe siècle), qui avait fixé la liturgie, avait retenu très peu de textes de l’Ancien Testament, essentiellement présents dans les vigiles des grandes fêtes, les psaumes chantés (vêpres et complies) des offices monastiques et certaines lectures du bréviaire…
On peut dire sans exagérer que l’Ancien Testament – source inépuisable de l’iconographie des bas reliefs des cathédrales – avait pratiquement disparu de l’horizon des fidèles catholiques cantonné aux morceaux choisis et censurés de l’Histoire sainte depuis le concile de Trente, et ce jusqu’en 1960 (Concile Vatican II). D’autant plus que le monde protestant allait, en réaction au catholicisme durant la Contre-Réforme, faire la part de plus en plus belle à l’écriture vétérotestamentaire !
II – Léon XIII, le débiteur des loges
1878 – Élection de Léon XIII
Dès que la maçonnerie est assez forte pour peser de façon conséquente sur la vie politique (dès le milieu du XIXe siècle) la tactique d’opposition à l’Église des maçons est résumée par cette formule : « nous devons attendre de voir élu un pontife qui partagera nos vues ».
Et cela va être le cas plus tôt même que certains ne l’imaginaient…
Il est piquant d’abord de voir la Troisième République, anticléricale et antimonarchique, recycler l’exclusive, cette prérogative héritée de l’Ancien Régime : le gouvernement français, sans complexe, fit porter l’exclusive « en vertu d’un privilège ancien dévolu à la France » à l’encontre du cardinal Bilio, conservateur italien, favori du conclave de 1878.
Il est cocasse de voir la façon dont le conclave est relaté de nos jours dans l’histoire officielle qui considère l’élection de Pecci comme « allant de soi et disposant d’emblée d’un nombre de voix majoritaire », et qui omet bien entendu cette intervention française sans laquelle il n’aurait jamais réuni les deux tiers des voix requises…
Grâce à ce veto français, Vincenzo Pecci est élu, sous le nom de Léon XIII. De santé supposée fragile, il devait être un pape de transition, mais il accomplira malheureusement l’un des pontificats les plus longs de l’Histoire (25 ans). Ses écrits condamnant le modernisme, le marxisme, la laïcisation et la maçonnerie seront toujours en opposition totale avec... sa politique et ses actes.
On comprend ainsi comment Léon XIII a renvoyé l’ascenseur aux républicains français : il leur devait sa tiare...
Selon Anatole France, Gambetta saluera dans son élection un « événement plein de promesses » et entreverra la possibilité d’un « mariage de raison avec l’Église », voyant en Léon XIII « un opportuniste sacré » !
On ne peut être plus clair, et la reconnaissance pontificale envers le monde anticlérical n’allait pas traîner !
1880 – Première expulsion religieuse (Freycinet-Ferry)
Jules Ferry considère que les enseignants doivent être avant tout des « éducateurs » au nouveau régime : il ne s’agit pas d’instruire les enfants, mais d’en faire de « bons républicains » !
« Au-dessus du maître d’école, il y a l’instituteur, c’est-à-dire celui qui institue la République, et au-dessus de l’instituteur, il y a l’éducateur », déclare-t-il. Ce seront les fameux « hussards noirs ».
Dès cette époque, nombre de professeurs refusent cette hiérarchie, et l’historien Lavisse, l’un des principaux collaborateurs de Ferry, les rappellera à l’ordre... C’est donc un contresens historique – que font encore la majorité des enseignants aujourd’hui – de penser que Ferry aurait choisi d’abord l’instruction. Ce qu’il veut imposer c’est l’idéologie laïque et républicaine. Dans ce cadre de formatage idéologique, l’ennemi à abattre est le corps des congrégations enseignantes.
La première expulsion des congrégations religieuses de France se produit à la suite de la signature, le 29 mars 1880, de deux décrets par Charles de Freycinet, président du Conseil, et Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique. Leur objectif est d’abord de balayer les congrégations enseignantes :
expulsion de France des jésuites
imposition aux autres congrégations de demander leur autorisation dans un délai de trois mois, sous peine de dissolution et de dispersion.
La plupart ayant décidé de ne pas demander l’autorisation par solidarité avec les jésuites, les congrégations non autorisées (bénédictins, capucins, carmes, franciscains, assomptionnistes…) sont expulsées. Certains couvents dominicains sont fermés.
Au total 261 couvents furent fermés, 5 643 religieux expulsés.
Dans le Nord où ce décret était très impopulaire, des moines trappistes purent échapper à l’expulsion en étant considérés comme « formant une société agricole » (Pas question de toucher à la bière et au fromage !!!).
Cette mesure provoquant de nombreux cas de conscience, il y eut 200 démissions de membres des parquets (Victor de Marolles, Jean de Boysson), des démissions d’officiers, de commissaires de police et d’agents de police.
Mais cela ne trouble que très moyennement le pape qui réplique en attaquant tout de même la maçonnerie en avril 1884 dans son encyclique Humanum genus… À croire que cette encyclique n’a été écrite que pour donner le change vis-à-vis de certains catholiques naïfs, et lui permettre de poursuivre son aide à l’entreprise de destruction de la catholicité en France, ce à quoi il contribuera tacitement jusqu’à sa mort avec l’aide empressée de son secrétaire d’État, franc-maçon notoire, Mariano Rampolla, créé cardinal par ses soins en 1887...
C’est donc lui qui sera le secrétaire d’État à l’époque de « l’affaire du ralliement ».
Connu pour ses idées progressistes et ses sympathies maçonniques – sinon son affiliation, évidemment non revendiquée bien que notoirement admise – Rampolla, papable, fut frappé d’exclusive par l’empereur François Joseph d’Autriche au conclave de 1903.
Ceci amènera l’élection du cardinal Sarto, patriarche de Venise, élu pape sous le nom de Pie X qui ne règnera qu’une dizaine d’années (1903-1914). Grand réformateur, soucieux de corriger les dérives maçonniques de son prédécesseur Léon XIII, Pie X commencera par supprimer le droit d’exclusive en menaçant d’excommunication à l’avenir tout cardinal qui s’aventurerait à en porter une : la submersion judéo-maçonnique de la France lui semblant menacer directement, désormais, l’élection potentielle de tout pape non progressiste.
Le toast d’Alger : 18 novembre 1890
Léon XIII, loin de s’attaquer de front aux républicains alors qu’il dispose en France d’une opinion très majoritairement catholique et largement monarchiste, s’appuie sur un archevêque progressiste, fondateur des Pères blancs, Mgr Lavigerie qu’il fera cardinal en 1882 et qui recevra le titre de primat d’Afrique.
Nommé archevêque d’Alger sur proposition de Mac Mahon, et conjointement archevêque de Carthage, le cardinal Lavigerie jouit d’une immense popularité dans les milieux libéraux où il est connu pour sa lutte contre l’esclavage, et pour les programmes d’évangélisation et d’éducation dans le monde colonial alors en pleine expansion, mis en œuvre notamment par la congrégation qu’il a fondé : les Pères blancs.
Léon XIII sait pouvoir compter sur son habileté diplomatique pour servir ses dessins : obtenir le ralliement des catholiques, et, de facto, des monarchistes français, au jeune régime républicain athée.
Alger est alors ville française, mais hors de la métropole. Un discours officiel prononcé là par le cardinal primat d’Afrique a forcément une portée politique. À l’initiative de Léon XIII, le 18 novembre 1890, le cardinal Lavigerie prend prétexte d’une visite de l’escadre française de la Méditerranée à Alger pour convier les officiers et, à l’occasion d’un toast, prononcer ce texte aujourd’hui fameux connu historiquement sous le nom de « toast d’Alger » :
« Quand la volonté d’un peuple s’est nettement affirmée, que la forme d’un gouvernement n’a rien de contraire, comme le proclamait dernièrement Léon XIII, aux principes qui peuvent faire vivre les nations chrétiennes et civilisées, lorsqu’il faut, pour arracher son pays aux abîmes qui le menacent, l’adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement, le moment vient de sacrifier tout ce que la conscience et l’honneur permettent, ordonnent à chacun de sacrifier pour l’amour de la patrie. […]
C’est ce que j’enseigne autour de moi, c’est ce que je souhaite de voir imiter en France par tout notre clergé, et, en parlant ainsi, je suis certain de n’être démenti par aucune voix autorisée. »
Un tel discours de la part du cardinal primat d’Afrique traduit un premier pas vers la recherche de la conversion de la métropole et de l’adhésion de son clergé, comme celle de ses œuvres vives, au ralliement à la République.
Cela eut un retentissement d’autant plus considérable que les cadres de la marine appartenait, de tradition, comme ceux de la cavalerie, essentiellement au monde aristocratique catholique et royaliste.
Février 1892 – L’encyclique Au milieu des sollicitudes
La République française est finalement instituée en janvier 1875 et les lois constitutionnelles de février, puis de juillet, organisent son fonctionnement. En 1879, avec la démission du président Mac Mahon, tous les pouvoirs sont aux mains des républicains.
Le Comte de Chambord, héritier du trône, qui s’est volontairement exilé, meurt le 24 août 1883 au château de Frohsdorf, à Lanzenkirchen en Autriche. Le terrain est alors propice à une grande opération de captation de l’électorat majoritairement catholique et farouchement royaliste, mais divisé et désorienté par les querelles dynastiques qui commencent à se faire jour, opposant les tenants de la branche aînée qui n’est plus présente qu’en Espagne (dits « légitimistes ») et les tenants des descendants de Louis Philippe, de la branche cadette issue de Philippe d’Orléans (dits « orléanistes ») qui, eux, sauront constituer une entité politique (concept alors inconnu dans le monde hérité de l’Ancien Régime) à travers l’Action Française. Et cela continue d’ailleurs encore aujourd’hui !
Pour la République naissante, le ralliement des monarchistes catholiques est indispensable à la survie d’un régime préconisé par la révolution de 1789, objet de l’idolâtrie de tous les progressistes, mais très fragile car il n’a jamais pu être instauré durablement dans le pays depuis déjà un siècle et n’a jamais eu, en aucun cas, l’adhésion massive de la population encore majoritairement rurale…
Ce sera l’œuvre de Léon XIII – qui n’aura jamais appuyé le comte de Chambord et qui aura temporisé dix ans durant face aux menées destructrices antichrétiennes et dogmatiques laïcistes – que de tout faire pour voir s’affirmer en France le régime républicain !
Comme les catholiques, qui restaient réfractaires à la République, n’avaient pas compris qu’il fallait « l’adhésion sans arrière-pensée à cette forme de gouvernement », Léon XIII, quinze mois plus tard le 16 février 1892, publiera, en français d’abord, ce qui n’est pas l’usage, l’encyclique Au milieu des sollicitudes.
L’arrivée à la Chambre, en 1889, de députés républicains, mettant les conservateurs – mais aussi les radicaux – en minorité, le pape pouvait enfin justifier auprès des catholiques une position d’adhésion à la légitimité de la Constitution républicaine et poser la question du ralliement…
Un ralliement qui passerait alors non pour l’approbation directe de lois anticatholiques qui se multipliaient, mais qui se justifierait seulement pour l’acceptation du système républicain devenu politiquement légitime.
« Nous croyons opportun, nécessaire même, d’élever de nouveau la voix, pour exhorter plus instamment, Nous ne dirons pas seulement les catholiques, mais tous les Français honnêtes et sensés, à repousser loin d’eux tout germe de dissentiments politiques, afin de consacrer uniquement leurs forces à la pacification de leur patrie. »
Vis-à-vis du clergé, l’injonction du pape fut plus directe et plus explicite, voire comminatoire, transmise aux évêques de France dans une lettre du 3 mai 1892 : « Acceptez la République ! » (sic !)
Décédé le 20 juillet 1903, Léon XIII aura eu le temps de voir le fruit de sa politique : la seconde expulsion des religieux de France (mars 1903).
Il aura donc bien mérité de la maçonnerie et de la République !
1903 – La seconde expulsion et le bannissement définitif des religieux (Émile Combes)
La deuxième expulsion des congrégations religieuses de France est la conséquence de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations qui soumet ces congrégations à un régime d’exception décrit au titre III de la loi.
Les décrets de 1880 n’ont pas résolu la question des congrégations : « aucune mesure n’a été prise contre les religieuses, et les congrégations d’hommes se sont vite reconstituées. De nombreuses communautés exilées, en effet, sont revenues discrètement dans les années qui ont suivi, puis avec l’accord tacite des gouvernements de "l’esprit nouveau" ».
Jean Sévillia cite ces évaluations chiffrées :
« La France compte alors exactement 1 665 congrégations, soit 154 ordres masculins et 1 511 congrégations féminines. Une enquête administrative commandée par Waldeck-Rousseau en 1899 dénombre 30 000 religieux et 28 000 religieuses. »
La loi Waldeck-Rousseau sur les associations soumet l’existence des congrégations à une demande d’autorisation :
« Aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation donnée par une loi qui déterminera les conditions de son fonctionnement. Elle ne pourra fonder aucun nouvel établissement qu’en vertu d’un décret rendu en conseil d’État. La dissolution de la congrégation ou la fermeture de tout établissement pourront être prononcées par décret rendu en conseil des ministres. » (art. 13)
« Les membres d’une congrégation non autorisée sont interdits d’enseigner ou de diriger un établissement d’enseignement. » (art. 14)
« La liste des membres et les comptes et l’inventaire de la congrégation sont à la disposition du préfet. » (art. 15)
« Toute congrégation formée sans autorisation sera déclarée illicite. » (art. 16)
« Les congrégations existantes […] qui n’auraient pas été antérieurement autorisées ou reconnues, devront dans un délai de trois mois, justifier qu’elles ont fait les diligences nécessaires pour se conformer à ces prescriptions. À défaut de cette justification, elles seront réputées dissoutes de plein droit ; il en sera de même des congrégations auxquelles l’autorisation aura été refusée. » (art. 18)
Le Vatican condamnera très mollement cette loi, et laissera avec naïveté (ou complaisance républicaine ?) aux congrégations la liberté de demander leur autorisation, ce que feront la plupart d’entre elles : c’est la soumission de facto aux diktats laïcistes.
La victoire du Bloc des gauches aux élections législatives de mai 1902 porte au pouvoir Émile Combes, allié avec les socialistes de Jaurès, et dont le gouvernement mène un farouche combat anticlérical.
Au printemps 1903, Combes transmet à la Chambre cinquante-quatre dossiers de demandes d’autorisation de congrégations masculines, présentés par plus de mille neuf cent quinze maisons. Les dossiers se répartissent en trois groupes, tous assortis d’un avis négatif :
vingt-cinq congrégations « enseignantes » (représentant 1 689 maisons et 11 841 religieux) ;
vingt-huit « prédicantes » (225 maisons et 3 040 religieux) ;
une commerçante (les Chartreux, 48 moines).
Parallèlement, Combes transmet au Sénat les demandes de six congrégations d’hommes « hospitalières, missionnaires et contemplatives ».
– Cinq avec avis favorables qui resteront tolérées :
les Frères hospitaliers de Saint-Jean-de-Dieu
les trappistes, (on ne touche toujours ni au fromage ni à la bière)
les cisterciens de Lérins, (on ne touche pas au vin !)
les Pères blancs, (c’est la congrégation missionnaire fondée par le cardinal Lavigerie premier propagandiste républicain !)
- les Missions africaines de Lyon (rôle politique et médical utile à la politique colonialiste initiée par Jules Ferry en Afrique Noire et Asie du Sud-Est)
– Une, avec avis négatif :
les salésiens de Don Bosco (Congrégation enseignante, comme par hasard !)
Quant aux congrégations féminines, 390 ont déposé une demande d’autorisation.
Seulement 81 dossiers de congrégations « enseignantes » seront transmis à la Chambre avec « avis défavorables ». La Chambre ou le Sénat suivent les préconisations de Combes.
Les congrégations « non autorisées » sont expulsées à partir d’avril 1903. Celle particulièrement spectaculaire des Chartreux, expulsée par l’armée, est restée dans toutes les mémoires.
Le comte de Chambord n’était mort que depuis vingt ans...
Tout était consommé : l’Église avait trahi sa fille aînée...
Léon XIII, élu par l’intervention des laïcistes, avait su les en remercier… La destruction du pouvoir spirituel de l’Église en France par la maçonnerie sera concrétisée par la fameuse loi de 1905…