Extraits d’un entretien pour Libération paru le lundi 5 septembre 2016 :
Sur quoi la gauche complexe-t-elle ?
Sur le temps de travail, on ne mène même plus la bataille alors qu’on en parle dans le monde entier et que la droite raconte n’importe quoi. Pareil sur le salaire universel. Autre exemple, l’islam : soit on est dans un truc de Bisounours, soit on dit qu’il y a un combat à mener face à l’islamisme radical qui essaie de prendre en otage tout une partie de la communauté française pour la séparer. Il faut être intransigeant. Sur le burkini, j’étais par exemple contre les arrêtés municipaux, mais on ne peut pas dire que c’est un habit comme un autre. Et en même temps, oui, on doit continuer à défendre le métissage de la société car c’est ça, la réalité massive de la France. Sur l’intégration, il n’y a pas de discours positif alors que la France a intégré, en deux ou trois décennies, comme peu de pays ont été capables de le faire. Dans la vie réelle, la majorité des jeunes qu’on continue de dire « issus de l’immigration » sont surtout connectés au monde et au pays. Ils bossent, on les voit tous les jours dans les entreprises, les services publics. Et nous, les politiques, on est en décalage total avec cette réalité. Ce métissage ne détruit pas la France, il la rend plus forte et c’est en le disant, comme Ségolène Royal en 2007, qu’il faut affronter la droite qui porte, elle, une France archaïque et dépassée. Hollande a été le candidat de la jeunesse en 2012, aujourd’hui il doit être le défenseur de la France non pas communautariste mais métissée : celle des JO.
On n’entend pas ces mots dans sa bouche, qu’en pense-t-il ?
Sur ces sujets, il est très en avance. Il est d’une lucidité totale, c’est pour cela qu’il faut qu’il se lâche et qu’il assume en ouvrant encore plus la porte à la nouvelle génération. On avait un vieux pays, cette élection doit être celle d’un pays neuf. Cette génération ne quémande pas, elle veut qu’on lui donne toutes ses chances pour être entrepreneur de sa vie.
Les circonstances d’une victoire face au FN imposeront-elles l’union nationale au gagnant de 2017 ?
Je préfère parler de rassemblement parce que je crois à l’idée qu’il y a une confrontation au-delà des partis entre ceux qui défendent la France nouvelle qui existe et ceux qui se raccrochent à une France qui aurait disparu. Dans cette revendication, le candidat de gauche victorieux peut tout à fait tendre la main à des personnalités et à des forces partageant cette ambition de défendre la France métissée et « intégratrice ». Mais la coalition « arc-en-ciel », ce n’est pas non plus le renversement des alliances ou la simple addition des bonnes volontés, c’est un projet politique. C’est une discussion que j’ai d’ailleurs eu des nuits entières avec Macron. Il avait du mal à comprendre combien il est important de ne pas se couper de la gauche de la gauche, qui a en elle une sève de contestation qui doit être utile. L’idée qu’un autre monde est possible, qu’il n’y a pas de fatalité, cela doit continuer à nous nourrir. Encore une fois, si Mitterrand a d’abord pris Mai 68 dans la tête sans vraiment comprendre, il a ensuite, comme l’a formidablement dit Roland Castro [architecte et soixante-huitard historique, ndlr], mis « une paille dans le cerveau de Mai 68 ». La gauche qui perd, c’est celle qui s’enferme dans les excommunications, les sommations, et qui finit même par nourrir la violence en son sein. Personne n’a le monopole de l’identité de la gauche.
Sur l’idéologie de Julien Dray,
lire chez Kontre Kulture