Les coups de gueule de Français de confession musulmane se multiplient. Les tueries du 13 novembre ont réveillé consciences et paroles. Mais toutes les voix n’ont pas le même poids, dans le dispositif médiatique. L’accès aux médias dominants étant totalement sous contrôle.

À gauche, c’est la grande remise en question, celle de la tolérance sans bornes, de l’amour aveugle sauce SOS Racisme, mais aussi la découverte soudaine d’une France oubliée, secrète, prête à tuer, et à tuer des innocents. Le ver est dans le fruit ! Nous voilà plongés dans la faille ethnico-sociale, que nos gouvernants ne voulaient pas voir. Ne nous voilons pas la face : de nos cités partent les candidats au Jihad. Et la face, plus personne ne peut se la voiler aujourd’hui, tellement la claque a été rude. Une claque pour tout le monde. Un réveil qui sonne fort, très fort, sur une nation assoupie.
À droite, c’est le sempiternel concert des « on vous l’avait bien dit ! », des « regardez vos Chance Pour La France ! », avec des explosions d’un racisme ou d’un séparatisme identitaire désormais décomplexé. Rien de nouveau sous le soleil : la problématique sociale passe sous la problématique ethnique, ou religieuse. Entre gauche et droite, seule la place dans la pile change.

En France, tout le monde s’est exprimé, toutes les communautés, issues du paysage politique ou de la société civile, ont pris la parole, parce qu’il faut verbaliser, traduire son émotion. Tout le monde, gauche droite, people, quidams, sauf, sauf les musulmans de France, qui, il est vrai, n’ont pas souvent et pratiquement voix au chapitre. Alors, ce sont des prises de parole spontanées de Français qui parlent d’abord pour eux-mêmes, et par extension pour la part de communauté qu’ils rassemblent. On a eu par exemple un chroniqueur radio des Grandes Gueules, et un rappeur controversé sur le Net, scandant tous la même chose, en substance : « Ne nous mélangez pas à cette horreur ». Pas d’analyse politique divergente, et encore moins déviante. Il est vrai que le système de surveillance médiatique ne la laisserait pas passer.

Les musulmans de France, on le sait tous, ne sont pas véritablement représentés par leurs porte-paroles officiels, ceux du CFCM. Tout a été dit sur l’initiative de Nicolas Sarkozy, qui voulait « contrôler » cette communauté, à la manière de Napoléon avec les juifs, en leur accordant une assise politique. Avec une arrière-pensée d’autosurveillance, mais c’est peut-être mieux que rien. Une partie de ladite communauté a « reconnu » le CFCM, l’autre s’est abstenue de participer à son élection, qu’elle estimait pipée.

Certes, il y a aujourd’hui de nombreuses associations d’obédience musulmane, qui en fédèrent les tendances, mais, pour des raisons politico-médiatiques, on n’entend rarement leur voix. Ou alors seulement quand la communauté se retrouve sur la sellette, c’est-à-dire les cas extrêmes. En fait, les musulmans de France, qui ne sont pas un parti, ne peuvent s’exprimer qu’en « défense ». Ils ne font pas automatiquement partie des tours de table habituels des plateaux télé, ne sont pas, comme d’autres, des invités récurrents, sauf ceux que les observateurs lucides considèrent comme des « soumis » aux fourches caudines du système médiatique. Un autre problème surgit, celui de « qui donne la parole ».

D’un pur point de vue des effectifs, sans même parler de « députés musulmans » à l’Assemblée nationale, il est étonnant qu’un pays de 66 millions d’habitants, et de six millions de musulmans, n’ait pas de porte-paroles couvrant leurs différentes tendances dans les médias dominants, à l’instar d’autres confessions. Cette sous-représentation chronique serait selon certains le résultat du faible niveau d’éducation générale et de formation des membres la communauté musulmane ; pour d’autres, elle est due à un blocage médiatique. Pour des raisons politiques, on ne laisse effectivement pas des exclus, des pauvres, des victimes du libéralisme, des révoltés, s’exprimer dans les médias de masse, et cela ne se limite pas aux musulmans. Surtout, soyons clairs, quand il peut y avoir des accents d’antisionisme dans les déclarations spontanées. Elles sont alors aussitôt entourées « d’explications » ou « d’éditoriaux » par les professionnels de la parole, globules blancs stipendiés pour neutraliser ces bactéries dangereuses.

L’imam Chalghoumi réclame donc une réaction unanime de la part de la communauté des musulmans de France, qui ne dispose pas d’un accès automatique aux médias de masse, fustige les terroristes qui tuent au nom de sa religion, et clame sa solidarité avec le peuple français, en empruntant un discours exogène. Ce qui lui est reproché constamment. Si toutes les religions ont leurs modérés et leurs ultras, l’islam n’a pas encore fait son aggiornamento de ce côté-là, ce qui explique le facile amalgame musulmans/terroristes : facilité par cette non-visibilité médiatique. Qui peut, aujourd’hui, dans la communauté musulmane, intervenir dans les médias aussi facilement qu’un Roger Cukierman ? Personne, sauf pour dire la même chose que Cukierman sur les musulmans. Et on n’est pas en Israël. Enfin, pas encore.

L’amalgame peut ainsi être plaqué de l’extérieur sur cette communauté, pour la paralyser politiquement. Le terrorisme comme épée de Damoclès. Alors, quelle porte de sortie de ce cercle vicieux ? La solution passe par une organisation, une politisation de cette parole, pour que le niveau de conscience générale augmente, que la violence ou la tentation de la violence diminue, et ne soit plus une option.

Après Lassana Bathily, le héros de l’Hyper Cacher, c’est au tour de l’imam de Drancy Hassen Chalghoumi d’exprimer sa colère contre les responsables des attentats parisiens. Il rappelle que Drancy est une ville de résistance à l’ennemi « nazi ».

« Aujourd’hui, les nazis fachos au nom de l’islam, ces barbares il faut qu’on résiste face à eux, il faut sortir de notre silence ! »