San Francisco était depuis cinquante ans la capitale US des bobos et des artistes branchés, cultureux, musiciens, plasticiens, écrivains, comédiens, militants LGBT. C’est fini. Chassés par la vie chère de Silicon Valley, ils fuient vers un nouvel Eldorado, Los Angeles. Drame migratoire, ils chassent à leur tour les pauvres hispaniques qui s’y logeaient.
O tempora, ô mores ! Finis les fleurs dans les cheveux, les bandeaux hippies, le macramé, les découpages, les collages communautaires, l’acide partagé et la création psychédélique subséquente : les bobos cultureux se sont remis on the road again, ils ont pris leurs cliques, leurs claques, leurs pochoirs et leurs guitares et ils fuient vers le sud. La petite maison bleue accrochée à la colline sur la baie qu’enjambe le pont du Golden Gate coûte désormais trop cher, à cause des yuppies qui triomphent à quelques miles de là, dans la Silicon Valley : le prix de location moyen d’un studio est monté à 3.866 dollars par mois. À ce compte, bien des cultureux n’ont même pas de quoi se payer un sofa chez un ami. Aussi se rabattent-ils en masse sur Los Angeles, à six heures de voitures, qu’ils sont en train de coloniser, ce qui ne va pas sans provoquer la colère des locaux : ce phénomène migratoire est une gêne pour tout le monde.
Les cultureux de San Francisco méprisaient Los Angeles
C’est une révolution. Il y a peu, pour qu’un encultureur de San Francisco se risque à visiter Los Angeles, son trafic aérien, ses embouteillages, sa pollution, sa promiscuité, il fallait qu’il soit bourré de LSD. Et puis les millionnaires de Silicone Valley sont arrivés, les loyers ont changé, l’air de la ville aussi. « Tout ce qu’on connaissait a été poussé dehors, ce que j’aimais a disparu, je n’ai juste plus pu vivre ici, alors j’ai bougé vers Los Angeles », raconte un peintre de quarante et un ans, Andrew Schoultz. « Alors j’ai bougé vers Los Angeles », c’est une phrase qu’on entend souvent dans la communauté des artistes et intellos branchés qui s’y sont transplantés. Le même mouvement migratoire a saisi tout le monde au même moment pour la même raison. Le signal de la grande transhumance fut peut-être le départ des découpeurs de papier, la découpe du papier était une institution à San Francisco. En tout cas, le résultat est que Los Angeles est en train de devenir la capitale US des bobos cultureux, qui y ont leurs nouveaux musées, galeries, événementiels et expérimentations artistiques.
Ils fuient : le paradis est devenu l’enfer, et inversement
Gay friendly, forcément gay friendly, comme aurait dit Marguerite Duras, tout ce petit monde a également amené avec lui ses LGBT.