Le prix « Démocratie à vendre » entend mettre sous les feux de projecteurs les lobbys économiques qui, à Bruxelles comme à Washington, poussent le projet d’accord de libre-échange transatlantique. De grandes associations professionnelles peu connues du grand public, porte-voix des multinationales, que la Commission européenne a étroitement associé, dès le début, aux négociations.
Mais qui pousse réellement l’accord de libre-échange entre Europe et États-Unis ? Les citoyens européens, chaque fois qu’on leur en donne la chance, ne manquent pas d’exprimer leurs réticences, sinon carrément leur opposition, face à un projet qui ne semble devoir bénéficier qu’aux grandes entreprises. D’un autre côté, de nombreux dirigeants politiques du continent, particulièrement en France ces derniers temps, se sont empressés plus ou moins hypocritement de déclarer que le TAFTA était mort. Pourtant, du point de vue de la Commission européenne, rien ne semble avoir changé, et les négociations suivent leur cours. Signe que le projet d’accord de commerce et d’investissement transatlantique est aussi et surtout porté par d’autres forces, hors de la sphère publique, qui imposent leur agenda aux gouvernements et aux citoyens.
Ce sont ces forces – « les pouvoirs cachés qui co-écrivent le TAFTA » – qu’ont voulu mettre en lumière quatre ONG européennes [1] en organisant le « prix Démocratie à vendre », dans le cadre duquel les internautes sont invités à voter pour le pire lobby pro-TAFTA. Contrairement à d’autres « prix de la honte » similaires, celui-ci ne vise pas directement des multinationales, mais leurs associations professionnelles à l’échelle européenne : EFPIA pour la pharmacie, Cefic pour la chimie, ESF pour les services, Acea pour l’automobile… Sans oublier BusinessEurope, le Medef européen, pour chapeauter le tout. Nettement moins bien connues du grand public, ces associations ont joué dès le début, un rôle central dans l’élaboration du projet de traité et dans les négociations.
Interlocutrices privilégiées par la Commission, disposant de budget énormes, elles servent de paravent aux multinationales pour pousser leurs intérêts et promouvoir l’orthodoxie néolibérale et libre-échangiste, en prétendant parler au nom de secteurs économiques entiers. Ce sont elles qui défendent les aspects les plus controversés du TAFTA, comme le système des tribunaux arbitraux privés pour protéger les « investisseurs » contre les États, ou encore l’harmonisation par le bas des réglementations.
Influence au quotidien
Le lobbying, à Bruxelles ou ailleurs, est souvent abordé de manière caricaturale ; on imagine des députés acceptant de défendre des amendements pré-rédigés en échange d’une mallette d’argent ou de dîners bien arrosés. De telles pratiques existent. Mais pour les organisateurs des prix « Démocratie à vendre », la « triste réalité », concernant le TAFTA, est qu’elles ne sont même pas nécessaires : « Les lobbyistes ont eu un siège à la table des négociations, en co-rédigeant le projet d’accord, et ce dès le départ ».
Pas de scandale retentissant, donc, mais l’étroite imbrication au quotidien de la machine européenne et des intérêts des grandes entreprises, rendue d’autant plus fluide que les lobbyistes sont souvent d’anciens fonctionnaires de la Commission et vice-versa : consultation très en amont et invitation à transmettre des « listes de souhaits » que l’on retrouve souvent textuellement dans les propositions de la Commission, rendez-vous réguliers pour faire le point sur les négociations, participation des entreprises et de leurs lobbys aux groupes d’experts, coordination informelle en matière de « communication » vis-à-vis de l’extérieur… Le tableau – dont on peut retrouver le détail sur le site des prix Démocratie à vendre – est le même quelque soit le secteur [2] Inutile de préciser que les organisations de la société civile et les autres voix discordantes sont soigneusement tenues à l’écart. Jamais peut-être la consubstantialité de la Commission et de ses lobbys n’aura été aussi manifeste que dans le processus du TAFTA.
Autre point commun : malgré toute la rhétorique sur la défense de l’industrie européenne, toutes ces associations professionnelles sont déjà, de fait, euro-américaines. Non seulement chacune d’elles a son pendant de l’autre côté de l’Atlantique, avec lequel il collabore étroitement pour influencer les négociations, mais les membres des lobbys européens et américains sont souvent exactement les mêmes. On retrouve par exemple AstraZeneca, Sanofi, GSK, Pfizer, Novartis et d’autres aussi bien au conseil d’administration de l’EFPIA, côté européen, qu’à celui de son homologue états-unienne, PhRMA. Le président de l’EFPIA, Joseph Jimenez de Novartis, est même le trésorier de PhRMA ! De même pour le Cefic et son homologue l’American Chemistry Council, qui regroupent tous deux aussi bien les géants européens de la chimie (Bayer, BASF…) que les américains (DuPont, Dow…).
Alors, qui veut vraiment le TAFTA ? Les votes en ligne sont ouverts jusqu’au 12 octobre.