On a beau tourner la réflexion dans tous les sens, élever le débat politique en discutant de grandes visions économiques, sociales voire sociétales, à la fin, à la toute fin, la question reste la même : la question de l’antisémitisme. Untel est-il antisémite ou non ? Tout autre question est éclipsée par LA question centrale. Sincère traumatisme post-seconde guerre mondiale ou manipulation politique ?
Historique
« La question juive », aurait-on du écrire. Mais cette expression est trop teintée d’antisémitisme (justement !) pour que nous puissions le faire. Et pourtant, cette question s’origine dans l’aptitude ou non des juifs à s’intégrer en Europe. Elle a été historiquement posée par Napoléon dans sa célèbre convocation d’une assemblée juive, appelée l’Assemblée des notables. La réponse a été positive, les juifs ne posent pas de problème, moyennant quelques concessions.
Et puis il y eut le célèbre Sur la Question juive de Karl Marx (1844), en réponse au jeune hégélien Bruno Bauer. Ouvrage polémique, peut-être antijudaïque d’après Jean-François Revel (ce qui n’est pas illégal), mais en rien antisémite, Karl Marx étant d’origine juive lui-même.
D’autres encore ont posé la « question juive », et qu’ils soient plutôt antisémites ou philosémites, la question était encore débattue : Abraham Léon ou Jean-Paul Sartre, pour les plus célèbres.
Et voilà que survient la Seconde guerre mondiale et la Shoah. Patatras, toute référence à la « question juive », même bienveillante, n’est plus possible. Et en cela, la question est paradoxalement restée. Non pas comme une question que l’on pose, mais comme une question que l’on ne peut plus poser, que l’on ne doit plus poser. Yahweh ne doit pas être prononcé ; ainsi en est-il de la « question juive ».
Politique française récente
Nous pourrions penser que ce débat est donc clos de nos jours. Et que d’ailleurs la simple question étant suspecte, elle n’a pas à être posée. Et pourtant, il s’agit de plus en plus de la question centrale. Le grand public ne le voit pas, et pourtant tout se joue ici.
Le Front national a été diabolisé pendant près de 40 ans, non pas sur ses positions opposées à l’immigration (essentiellement africaine et musulmane), mais en vérité sur ses positions supposées antisémites. C’est bien le B’nai Brith* qui est à l’origine de la diabolisation, et la manipulation de Carpentras (1990) en est le point d’orgue :
En France, « le geste fondamental qui a vraiment lancé le mythe du B’nai B’rith fut en fait insignifiant : la publication d’un communiqué de celui-ci dans le journal Le Monde », demandant « à la droite de tenir son engagement de ne pas s’allier avec le FN. Pour celui-ci, l’affaire devient « le diktat du B’nai B’rith », les hommes politiques de droite étant dits avoir dû prêter serment dans les loges de l’obédience. [...] L’essentiel des tendances de l’extrême droite reprend cette idée et y ajoute ses propres obsessions, toutes aisément accueillies en cette figure mythique ». (Wikipedia)
Nous ne voyons pas ce qu’il y a d’antisémite à considérer qu’une organisation juive s’inquiète d’un parti qui lui semblerait antisémite et souhaiterait empêcher tout accord politique avec celui-ci :
« En 1986, nous avions invité des représentants de droite et de gauche à une réunion et nous avions demandé s’il y aurait un accord entre la droite et l’extrême droite. A l’époque, Alain Madelin avait promis qu’il n’y en aurait pas, ni au niveau local ni au niveau national. Mais il n’y a évidemment jamais eu de ’pacte’ ni de ’signature’ », a ajouté un ancien président de l’organisation, Yves-Victor Kamami.
Interrogé pour les 40 du FN, Jean-Marie Le Pen a affirmé que ces propos ne sont « pas un scoop », en ajoutant ne pas avoir « assisté à la rencontre ». « Je n’ai pas été témoin » mais « c’est ce qui s’est dit ». « C’est quand même une explication plausible. Ça fait vingt ans que je somme le RPR et l’UMP de dire pourquoi ils sont contre le Front national, ils n’ont jamais répondu (...) En tout cas, ça n’a pas été démenti », a-t-il ajouté.
Aujourd’hui, 2024
Et, aujourd’hui, 80 ans plus tard, ce que Maurice Bardèche avait analysé avec finesse dès 1948, c’est bien toujours la question de l’antisémitisme qui prévaut, qui subsume tout comme dirait le philosophe.
Ainsi la grande bascule incroyable de la diabolisation : le FN (RN, désormais) n’est plus diabolisé, c’est la gauche radicale qui l’est devenue. Et le seul changement opéré est la position de l’un et de l’autre sur le conflit israëlo-palestinien, et donc tout l’antisémitisme latent, imaginé, supposé ou réel qui serait charrié par cette question.
qu’est-ce que ce triangle rouge porté à la boutonnière
par Manuel Bompard lors du débat ? (Le Figaro, 26 juin 2024)
Quelques mots sur le triangle rouge arboré par Manuel Bompard :
1) C’est un symbole de revendication ouvrière, adopté au XIX siècle pour distinguer le manifestant du simple citoyen, et appeler à la journée de 8h.
2) Dans les camps de concentration nazis, le triangle rouge… pic.twitter.com/LGj2yncONz— Raphaël Enthoven (@Enthoven_R) June 26, 2024
Pour notre part, nous ne croyons personnellement pas une seule seconde qu’il y ait quelque antisémitisme chez La France Insoumise. Et probablement personne ne le croit vraiment. Mais le jeu de dupes est d’une efficacité rare : le RN, pour se payer une virginité antisémite, en fait des tonnes sur l’antisémitisme supposé de LFI. Et ça marche !
Dès lors, les portes médiatiques s’ouvrent, les discours changent, les diabolisations s’inversent. Alors, le peuple français, bien manipulable et bien manipulé de tout temps (« Les gens voteront comme on leur dira » aurait dit Tocqueville), fait effectivement ce qu’on lui dit.
Ce même 26 juin 2024, Le Figaro commettait un article :
le 21 avril 2002, ils ont manifesté contre Jean-Marie Le Pen,
ils soutiennent aujourd’hui le RN
Et, une fois encore, on découvre que c’est bien la question de l’antisémitisme qui est centrale. En 2002, seulement 7% des 18-25 ans ont voté Jean-Marie Le Pen. Or, cette génération qui a désormais 38-45 ans vote à 47% pour le RN !
Elle n’aurait jamais voté pour Jean-Marie Le Pen, en revanche. « L’homophobie et l’antisémitisme, chez lui, ça me mettait hors de moi. Marine Le Pen au moins ne remet pas en cause la Shoah. »
[...]
On demande à cette dernière si elle regrette d’avoir pris part aux cortèges. « J’ai défilé contre le fascisme et le nazisme... Je n’ai pas renié cet engagement politique ! » Lycéenne, elle-aussi, à l’époque, elle demeure fermement hostile aux propos « révisionnistes » de Jean-Marie Le Pen, et fait partie des rares élus RN à dénoncer l’antisémitisme du fondateur du parti. Convaincue par le « nettoyage » opéré par « Marine Le Pen », elle assure avoir « voulu voir comment c’était à l’intérieur » suite à « la déception des cinq années Sarko », pour qui elle avait voté en 2007. « Si j’avais entendu le moindre propos raciste ou antisémite au FN quand je me suis engagée en 2011, je n’aurais pas choisi d’être candidate sous la bannière du parti ! »
Ainsi donc, comme nous l’avons vu par notre rapide rétrospective, rien n’a changé depuis des décennies, voire des siècles (certains diraient même des millénaires). La question centrale est toujours la même. Qu’on le déplore ou non ne change rien à l’affaire. C’est ainsi.
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*L’Ordre indépendant du B’nai B’rith (בני ברית, de l’hébreu : « Les fils de l’Alliance ») est la plus vieille organisation juive toujours en activité dans le monde. Calquée sur les organisations maçonniques, elle a été fondée à New York, le 13 octobre 1843 (Wikipédia)