Egalité et Réconciliation
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Nasrallah, le Hezbollah et l’assassinat de Rafic Hariri

Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah a donné un long entretien à la télévision Al-Manar le 31 mars sur les rumeurs rapportées par la presse libanaise concernant l’interrogatoire d’un certain nombre de membres du parti par le tribunal pénal international créé par les Nations unies à la suite de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005 (une partie de l’entretien est consacrée à d’autres questions, les armes de la résistance, les élections municipales, les relations avec la Syrie – nous les laisserons de côté – le texte intégral de l’entretien a été traduit sur le site d’Al Manar.

Ce n’est pas la première fois que des rumeurs rattachent le Hezbollah à l’assassinat de Hariri. Nous l’avions évoqué ici-même en mai 2009, « Le Hezbollah et l’assassinat de Rafic Hariri », notamment avec les informations données par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel (comme nous le rappelions à l’époque, elles n’avaient rien de nouveau, et à plusieurs reprises depuis 2006, tel ou tel journaliste les avaient relayées).

Cette fois-ci, toutefois, les choses sont plus sérieuses, puisque que, comme l’a reconnu Nasrallah dans l’entretien, « le bureau du procureur général du Tribunal pénal international de Beyrouth a contacté un certain nombre de frères, certains d’entre eux sont affiliés avec le Hezbollah et d’autres sont de nos amis ou sont proches du Hezbollah ; il les a convoqués pour interrogatoire. Cela est vrai ». Et il a ajouté que ces personnes étaient au nombre d’une douzaine et qu’une demi-douzaine d’autres allaient être également convoquées. Il a précisé aussi que certaines avaient été contactées à la fin de 2008 ou, plus précisément, après les événements de mai 2008 qui avaient vu les milices du Hezbollah et d’Amal s’emparer de Beyrouth-Ouest (Lire « Une semaine qui a ébranlé le Liban », Le Monde diplomatique, juin 2009). D’autres avaient été convoqués en 2009, mais cela n’avait pas alors été rendu public. Nasrallah a refusé de répondre à la question de l’identité des personnes interrogées, notamment sur l’éventuelle présence parmi eux des dirigeants : il a invoqué la nécessaire confidentialité de l’enquête, se réservant le droit de revenir là-dessus plus tard. Il a aussi précisé qu’ils avaient été convoqués à titre de témoins et non de suspects.

Deux noms importants ont toutefois été révélés par la presse libanaise et étrangère. Un article publié sur le site du lobby pro-israélien Washington Institute for Near East Policy, « Beirut Spring : The Hariri Tribunal Goes Hunting for Hizballah » de David Schenker (30 mars 2010) donne deux noms : al-Hajj Salim et Mustafa Badreddine ; le premier serait le chef d’une des unités spéciales de l’organisation qui était dirigée par Imad Moughniye, assassiné en février 2008, sans doute par le Mossad ; l’autre est le beau-frère de Moughniyeh et dirigerait les services de contre-espionnage du Hezbollah.

Rappelons que le contexte libanais a profondément changé depuis 2005, comme l’a confirmé la visite du premier ministre Saad Hariri en Syrie au mois de décembre 2009 et la réconciliation spectaculaire entre Walid Joumblatt, qui s’était déjà distancié des forces dites du 14-Mars, et le président Assad le 31 mars. Joumblatt a donné un entretien à Isabelle Dellerba Libération (3 avril), « Bachar al-Assad m’a dit : “Parlons, oublions le passé” ».

« Sur quoi vous êtes-vous mis d’accord lors de cette rencontre ? », lui demande la journaliste.

« Respecter les constantes suivantes : protéger la résistance libanaise – c’est-à-dire le Hezbollah – contre toute possibilité d’agression israélienne, continuer à œuvrer pour la stabilité, la sécurité, le dialogue. Enfin, les Syriens sont prêts à délimiter les frontières entre nos deux pays en commençant par le Nord. Quant à la zone des fermes de Chebaa, étant donné que c’est un territoire occupé par Israël, il est impossible de tracer les frontières là-bas maintenant. Ce sera plus logique après la libération. »

Joumblatt a aussi répondu à des questions sur les convocations de membres du Hezbollah par le tribunal.

« Des membres du Hezbollah ont été convoqués par le bureau du procureur du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). Comment réagiriez-vous si le Hezbollah était accusé par le Tribunal d’être impliqué dans l’attentat contre Rafic Hariri ? »

« Nous voulons la justice et la stabilité. Nous ne voulons pas d’accusations politiques et je vous rappelle que ceux qui ont été convoqués l’ont été en tant que témoins, pas plus. »

« Une accusation visant le Hezbollah serait politique selon vous ? »

« Oui. »

Dans son entretien à Al-Manar, Nasrallah rappelle que la première mise en cause de son organisation est venue du Figaro en août 2006, juste après la guerre israélienne contre le Liban et le Hezbollah, et il y voit une relation de cause à effet. Le secrétaire général du Hezbollah rappelle ensuite les diverses accusations lancées contre son mouvement, notamment par Israël, à propos du 11-Septembre et d’une soi-disant collaboration entre le Hezbollah et Al-Qaida, ou son implication dans le trafic de drogue ou la fabrication de fausse monnaie.

« Je dis que la dernière carte, la dernière arme, et le dernier point – à condition de comprendre la question dans ce contexte – pour cibler la résistance, les symboles de la résistance, et le mouvement de la résistance au Liban, est ce dossier qui a été ouvert et qui continue d’être utilisé après la guerre de juillet 2006 avec l’article du Figaro. Je crois que ni le Tribunal pénal international, ni l’enquête internationale, ni certaines forces politiques régionales ne sont étrangers à ce qui a été divulgué à l’époque. C’est notre analyse politique. »

Nasrallah revient à plusieurs reprises sur la question des fuites et des informations relayées par la presse et qui se sont révélées sans fondement.

« L’histoire de la commission internationale indépendante d’enquête et du tribunal est pleine de fuites. (…) Ce n’est pas un cadre harmonieux. Il est mélangé. Il comprend des membres en provenance du Canada, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et d’Australie. Bien sûr, il comprend aussi des Libanais, des Arabes, et des représentants de diverses nationalités. Il y a probablement des conflits et des différends au sein du tribunal. Sinon, comment expliquer que, durant ces quelques années il y ait eu de nombreuses démissions. Un fonctionnaire rejoint le tribunal et il ne reste pas un an, un greffier en chef s’y joint mais termine après à peine une courte période. Ainsi, le tribunal est un patchwork. Tout le monde y participe, sauf les forces du 8 Mars [l’opposition composée par le Hezbollah et le Courant patriotique libre] ; l’autre côté (la coalition du 14 mars) a aussi des employés dans le tribunal. Eh bien, avec un tribunal de ce genre, qui manque de cohésion et de discipline, il est naturel qu’il y ait des fuites, indépendamment du fait de savoir si elles sont bien intentionnées ou mal intentionnées, je ne veux pas discuter des intentions. »

Le but de ces campagnes est-il de détruire le Hezbollah ?

« Non, répond son secrétaire général, un tel but n’est pas réaliste. Le but est de déformer l’image du Hezbollah, car il jouit d’un grand respect et d’une grande crédibilité au Liban et dans le monde arabe et musulman. Toutes les tentatives de déformer son image au cours des dernières années n’ont abouti à rien. Même le discours confessionnel, qui a été utilisé au Liban n’a pas donné de résultats. »

Nasrallah revient ensuite sur les critiques qu’il fait à la commission internationale d’enquête et au tribunal. Il aurait fallut, dès le départ, qu’elle prenne en compte toutes les hypothèses, les probables et les moins probables.

« Or, dès le premier jour, la commission d’enquête n’a émis qu’une hypothèse. Cela signifie la politisation de l’enquête. Elle a désigné la Syrie et les quatre [officiers] libanais (libérés depuis). Elle n’a pas défini d’autres hypothèses, même pas l’implication du Hezbollah. Je vais être méthodique et objectif. Ils n’ont pas envisagé Al-Qaida comme une hypothèse. Israël n’était pas non plus considéré comme une hypothèse. Tout service de sécurité dans le monde qui veut détruire le Liban et la région n’était pas une hypothèse. Il n’y a eu qu’une seule hypothèse : la Syrie et les officiers. Tous les efforts ont été consacrés à la collecte de faux témoins pour étayer cette hypothèse. Quand ils ont commencé à amener des témoins et interroger les gens, tous les interrogatoires étaient fondés sur cette hypothèse. Ils n’ont pas travaillé sur d’autres hypothèses. »

« Dès le premier jour, ils ont exclu Israël. (…) Je ne veux pas accuser Israël, parce que je n’ai aucune preuve. Je fais des analyses comme d’autres font d’autres analyses. Mon analyse de la responsabilité d’Israël est solide comme analyse politique, mais je n’ai pas de faits. Mais je dis et je le répète ce soir que ceux qui rejettent cette hypothèse insultent le Premier ministre martyr Rafic Hariri. Que disent-ils ? Qu’Israël n’aurait jamais tué le Premier ministre Al-Hariri ? C’est une insulte pour lui ».

(…) « Même quand l’hypothèse d’un groupe salafiste a surgi (avec l’arrestation d’un groupe dit des 13) – je ne les accuse pas car je n’ai pas pu les interroger –, la commission d’enquête n’a pas pris cette hypothèse avec le sérieux requis. Le dossier a été fermé, bien que politiques et responsables de la sécurité au Liban et le procès-verbal des interrogatoires mentionnent les aveux de certains de ces salafistes sur tout : l’accident de camion, Abou-Adas [qui a été arrêté et impliqué dans les enquêtes] l’assassinat, le kamikaze ; mais il a été dit plus tard qu’ils sont revenus sur leurs aveux. Personne ne sait comment ce dossier des 13 a été fermé ou comment ils ont fini. »

« Malgré toutes nos réserves, poursuit Nasrallah, nous voulons coopérer avec l’enquête. Comme tous les Libanais, nous voulons connaître la vérité. Nous avons condamné l’assassinat du ministre Al-Hariri depuis le début et estimé que c’était un tremblement de terre. Peut-être que j’ai été le premier à utiliser le terme de tremblement de terre, terme qui a ensuite été utilisé plus largement. »

Mais, ajoute-t-il, « nous ne coopérerons pas jusqu’au bout » si « la commission continue à encourager les fuites destinées à tromper l’opinion, si les faux témoins continuent à être protégés sans qu’il leur soit demandé des comptes. »