Fiction forgée de toutes pièces, la « révolution syrienne » devait fournir un alibi démocratique au « regime change » planifié de longue date par l’administration US. Comme l’écrit Hillary Clinton dans son fameux email, « la meilleure manière d’aider Israël à gérer la capacité nucléaire grandissante de l’Iran est d’aider le peuple syrien à renverser le régime de Bachar el-Assad ». Mais pour garantir le succès de cette opération, deux conditions étaient requises. La première, c’est la manipulation des desperados du djihad global, auxiliaires zélés et toujours prêts à l’emploi de l’impérialisme occidental. La seconde, c’est le déferlement d’une propagande destinée à persuader l’opinion mondiale que Bachar Al-Assad est un monstre sanguinaire.
La France s’étant rangée derrière les USA dans cette entreprise de déstabilisation d’un État souverain, une meute de charlatans, depuis 2011, y abreuve de ses affabulations les plateaux télévisés et les colonnes des journaux. Avec le concours de ces plumitifs, un déluge de mensonges s’est abattu sans répit sur la Syrie, ajoutant à la cruauté de cette guerre par procuration l’effet délétère d’une manipulation à grande échelle. Voici une première esquisse, non exhaustive, du florilège de ces impostures. Des experts douteux, des intellectuels vendus et des journalistes serviles y ont excellé depuis cinq ans. Ce sont les meilleures perles des charlatans de la révolution syrienne.
PERLE N°1 : La théorie des deux mamelles
« Les deux mamelles de Daech, c’est la guerre en Irak en 2003, et la répression menée par Bachar el-Assad depuis 2011. Ceux qui étaient pour la guerre d’Irak comme ceux qui soutiennent le président syrien sont mal placés pour nous donner des leçons sur la meilleure façon de gagner la guerre contre Daech. »
Pascal Boniface, Metronews, 15/11/2015.
Si l’agression américano-britannique de 2003 contre l’Irak est effectivement à l’origine de Daech, le gouvernement syrien, lui, n’est pour rien dans la percée d’une organisation qui a juré sa perte et qu’il affronte sans répit. En juxtaposant de façon maligne les deux événements, Pascal Boniface pratique un amalgame grotesque entre George W. Bush et Bachar Al-Assad. Mêlant le vrai et le faux, il attribue au président syrien, dans la genèse du prétendu « État islamique », une responsabilité qui n’existe que dans son imagination.
PERLE N°2 : Bachar extermine son peuple à l’arme chimique
« Syrie : l’extermination chimique que prépare Bachar » (titre de l’article)
Jean-Pierre Filiu, L’Obs-Rue89, 25/08/2013.
Pour ôter toute légitimité au pouvoir syrien, il fallait absolument lui imputer les pires horreurs. Une indignation vengeresse devait alors justifier, sur le modèle libyen, une intervention militaire occidentale. Pièce maîtresse de cette opération, l’imputation à Damas du massacre du 21 août 2013 n’a jamais fait l’objet du moindre commencement de preuve. L’ONU a confirmé la réalité d’une attaque au gaz de combat, mais elle ne l’a jamais attribuée à qui que ce soit. Une enquête indépendante menée par le « Massachusetts Institute of Technology », en revanche, a conclu sans hésitation que l’attaque chimique ne pouvait venir que de la zone rebelle.
PERLE N°3 : Le complot contre la Syrie est imaginaire
« Malgré la violence qu’il exerce contre son peuple, M. Bachar Al-Assad et son régime sont présentés comme les victimes d’un plan savamment concocté à Washington pour affaiblir l’un des rivaux régionaux de l’Etat hébreu. »
Akram Belkaïd, Le Monde Diplomatique, juin 2015.
Le propos se veut sans doute ironique, mais il sombre dans le ridicule. Comme l’a écrit Hillary Clinton, le renversement du gouvernement syrien visait à sanctuariser Israël en éliminant le principal allié de l’Iran et du Hezbollah. Que l’administration US et ses vassaux aient propagé le « chaos constructif » en Syrie par djihad interposé ne relève pas d’une interprétation subjective, c’est un fait avéré. Quitte à mettre le Moyen-Orient à feu et à sang, Washington a pactisé avec le diable en poursuivant son objectif de toujours : la fragmentation ethno-confessionnelle de la région.
PERLE N°4 : Les réfugiés fuient Bachar
« Les réfugiés syriens ne fuient pas Daech, ils fuient Bachar el-Assad. On n’a pas à choisir entre lui et Daech. »
Pascal Boniface, France TV Info, 24/09/2015.
Si les réfugiés syriens fuyaient Bachar Al-Assad, les régions contrôlées par le gouvernement n’accueilleraient pas la grande majorité des personnes déplacées à l’intérieur du pays. Les réfugiés syriens au Liban n’auraient pas provoqué une énorme cohue, à Beyrouth, pour aller voter en faveur de M. Assad lors de l’élection présidentielle du 3 juin 2014. Et puisqu’il affirme cyniquement que « les réfugiés ne fuient pas Daech », nous invitons M. Boniface à se rendre dans les zones où sévit cette organisation pour y vérifier par lui-même l’allégresse de la population.
PERLE N°5 : La division inter-confessionnelle, c’est la faute à Bachar
« Le régime ne protège pas vraiment les minorités mais il s’en sert habilement pour se protéger. C’est lui et certainement pas les islamistes qui a joué dès le début cette carte pernicieuse de la division sectaire. »
François Burgat, cité par Catherine Gouësët, L’Express, 15/03/2013.
Chez notre expert hexagonal de l’islamisme, l’inversion accusatoire est une seconde nature. Le régime baasiste a sans doute beaucoup de défauts, mais c’est un régime non confessionnel qui garantit la liberté des cultes et la coexistence des communautés. Attachées à ce modèle unique au Moyen-Orient, les autorités religieuses, musulmanes et chrétiennes, accordent un soutien unanime au gouvernement légitime. Et c’est l’opposition islamiste armée, inspirée par la détestation wahhabite pour les chiites et les alaouites, qui veut instaurer un État confessionnel fondé sur une lecture sectaire de la charia.
PERLE N°6 : Le régime syrien écrase la majorité sunnite
« Ceux qui s’indignent des menaces qui pèsent sur les chrétiens ou les alaouites ne s’embarrassent guère de justifier l’oppression de la majorité sunnite (70% de la population) : ils préfèrent la tyrannie exercée sur la majorité afin de préserver la minorité, constate Ziad Majed. »
Ziad Majed, cité par Catherine Gouësët, L’Express, 15/03/2013.
Cette lecture confessionnelle du conflit syrien est conforme aux exigences des parrains wahhabites de l’opposition syrienne, mais elle se situe à des années-lumière de la réalité. Aucune minorité religieuse n’opprime la majorité en Syrie, puisqu’il s’agit d’un État séculier qui ne favorise aucune confession. Si les sunnites sont victimes de la tyrannie alaouite, comme le sous-entend M. Majed, on se demande par quel miracle le Premier ministre, la majorité des ministres, mais aussi la majorité des officiers et des soldats de l’armée arabe syrienne sont sunnites.
PERLE N°7 : Les pétromonarchies n’y sont pour rien
« Les élites politiques saoudiennes n’ont jamais soutenu les radicaux islamistes. »
François Burgat, auditionné par la Mission d’information de l’Assemblée nationale, 12/01/2016.
Venant de François Burgat, cette échappée hors du monde réel n’est pas étonnante. Depuis trente ans, il explique que l’islamisme, pour les peuples arabo-musulmans, est une voie express vers la démocratie. Que cette collusion entre les pétromonarchies et le jihadisme soit dénoncée inlassablement par Marc Trévidic, ex-juge anti-terroriste, Alain Chouet, ex-directeur du renseignement à la DGSE, ou encore par le général Vincent Desportes, ex-directeur du Collège Inter-armées de défense, est sans importance. Régulièrement invité à Riyad, M. Burgat est sans doute mieux informé par ses amis saoudiens.
PERLE N°8 : Les jihadistes sont quantité négligeable
« Les jihadistes ne représenteraient que 10 à 15% des combattants de la révolution syrienne, selon le chercheur Romain Caillet. Ils sont mieux entraînés, mais le rapport de forces sur le terrain est en train de changer en faveur des laïques et des islamistes modérés. »
Pierre Puchot, MediaPart, 12/09/2013.
Expert renommé en jihadisme, le moins qu’on puisse dire est que Romain Caillet connaît son sujet de l’intérieur. On peut toutefois douter de sa capacité d’analyse et de prévision. Car on n’a pas vu, depuis cinq ans, les « laïques » et les « islamistes modérés » prendre le dessus au sein de l’opposition armée en Syrie. C’est exactement le contraire. Les jihadistes d’Al-Nosra règnent désormais en maîtres, et leurs alliés islamistes se sont alignés sur leur agenda politique. Quant aux combattants présumés « laïques », cette fable est éventée depuis longtemps.
PERLE N°9 : La solution, c’est de livrer des armes
« Il s’agit d’une guerre où l’armée d’Assad ne recule devant rien pour écraser l’adversaire. Il faut donc envoyer des armes pour tenter de rééquilibrer ce rapport de forces ; et surtout des armes capables de tenir en échec les chars, les hélicoptères et les avions. » Jean-Paul Chagnollaud, Confluences-Méditerranée, 28/09/2012.
Partisan enthousiaste d’une révolution imaginaire, Jean-Paul Chagnollaud est l’incarnation parfaite de « l’idiot utile » au service de l’impérialisme. Décidé à parler à leur place, il exige la démocratie pour les Syriens, dénonce Bachar al-Assad et réclame des armes pour la rébellion. François Hollande l’a entendu et les armes ont été livrées. Malheureusement, cet arsenal a fini entre les mains d’Al-Qaïda. La prochaine fois qu’il accompagnera François Hollande en visite officielle en Israël, il est souhaitable que M. Chagnollaud s’abstienne de lui parler de la Syrie.
PERLE N°10 : Bachar ne sert à rien contre Daech
« Et puis, soyons justement réalistes : que peut rapporter Assad dans la lutte contre Daech ? Des soldats ? Non, il n’en a pas. Des informations ? Il n’en a pas. Une légitimité politique ? Il n’en a pas. Il n’y a plus d’Etat en Syrie. On est face à une bande mafieuse soutenue à bout de bras par la Russie et par l’Iran. »
Jean-Pierre Filiu, Le Soir, 05/02/2016.
Prenant ses désirs pour des réalités, le distingué professeur à Sciences-Po n’a visiblement pas entendu parler de Palmyre, arrachée en avril 2016 aux griffes des jihadistes, qui y ont laissé 450 morts. Il ne sait pas que l’armée arabe syrienne affronte durement Daech à l’est d’Alep, qu’elle progresse vers Raqqa et qu’à Deir Ezzor la Garde républicaine met en échec depuis trois ans les offensives de l’organisation jihadiste. Quant à la légitimité politique de Bachar Al-Assad, elle est supérieure à celle d’un président français dont l’affligeante politique étrangère reflète largement les conseils insensés que lui prodigue M. Filiu.