Le carnage qui a frappé Charlie Hebdo et l’onde de choc et l’émotion qu’il a soulevés ne doivent pas nous rendre aveugles. Il convient de se garder de toute instrumentalisation. Avec la participation de nombreux chefs d’État, la protestation contre cet attentat est en train de se transformer en un sommet de guerre contre un terrorisme que la politique de ces mêmes États n’a fait qu’alimenter.
Des Etats qui, comme Israël, sont en guerre permanente contre le peuple palestinien sous occupation et contre les pays musulmans qui lui résistent ; ou qui, comme la Turquie, les États-Unis et la France, arment les groupes de terroristes « modérés » qui, depuis 2011, décapitent les syriens fidèles au gouvernement Assad. Dans son livre Les Armées secrètes de l’OTAN, l’historien suisse Daniele Ganser (photo ci-dessus) a démontré que des attentats, comme les guerres « contre le terrorisme », peuvent être manipulés. Qu’il ne faut pas céder aux instrumentalisations visant à susciter la peur et à faire croire que les « terroristes » sont toujours les musulmans. Que la stratégie de la tension est une réalité. Pour preuve, durant 50 ans, dans le cadre de leur guerre contre le communisme, les États-Unis se sont appuyés sur l’OTAN pour organiser en Europe des attentats meurtriers qu’ils ont faussement attribués à la gauche. Cette stratégie visant à susciter la peur de l’islam et à justifier de nouvelles guerres n’est-elle pas en train de se remettre en place ? Nous reproduisons ici quelques extraits des propos, tenus par le Dr. Ganser en décembre 2006, recueillis par la journaliste suisse Silvia Cattori.
Le terrorisme non revendiqué de l’OTAN
Silvia Cattori : Votre ouvrage consacré aux armées secrètes de l’OTAN [1], s’attache à expliquer ce que la « stratégie de la tension » [2] et les « false flags » [3] comportent de grands dangers. Il nous enseigne comment l’OTAN, durant la Guerre froide – en coordination avec les services de renseignement des pays ouest-européens et le Pentagone – s’est servi d’armées secrètes, a recruté des espions dans les milieux d’extrême droite, et a organisé des actes terroristes que l’on attribuait à l’extrême gauche. En apprenant cela, on peut s’interroger sur ce qui peut se passer aujourd’hui à notre insu.
Daniele Ganser : C’est très important de comprendre ce que la stratégie de la tension représente réellement et comment elle a fonctionné durant cette période. Cela peut nous aider à éclairer le présent et à mieux voir dans quelle mesure elle est toujours en action. Peu de gens savent ce que cette expression « stratégie de la tension » veut dire. C’est très important d’en parler, de l’expliquer. C’est une tactique qui consiste à commettre soi-même des attentats criminels et à les attribuer à quelqu’un d’autre. Par le terme tension on se réfère à la tension émotionnelle, à ce qui crée un sentiment de peur. Par le terme stratégie, on se réfère à ce qui alimente la peur des gens vis-à-vis d’un groupe déterminé. Ces structures secrètes de l’Otan avaient été équipées, financées et entraînées par la CIA, en coordination avec le MI6 (les services secrets britanniques), pour combattre les forces armées de l’Union Soviétique en cas de guerre, mais aussi, selon les informations dont nous disposons aujourd’hui, pour commettre des attentats terroristes dans divers pays. C’est ainsi que, dès les années 70, les services secrets italiens ont utilisé ces armées secrètes pour fomenter des attentats terroristes dans le but de provoquer la peur au sein de la population et, ensuite, d’accuser les communistes d’en être les auteurs. C’était la période où le Parti communiste avait un pouvoir législatif important au Parlement. La » stratégie de la tension » devait servir à le discréditer, l’affaiblir, pour l’empêcher d’accéder à l’exécutif.