Le FBI emploie aujourd’hui 15 000 agents sous couverture, soit dix fois plus qu’en 1975. Si vous pensez que ça fait un peu trop d’espions – espions qui gagnent jusqu’à 100 000 $ par mission –, vous pourrez facilement vérifier tout ce qu’ils ont accompli : ils ont empêché un nombre impressionnant d’attentats terroristes et de catastrophes dans la veine du 11 Septembre de se produire sur le sol américain. Ces agents sont néanmoins responsables d’autre chose : la préparation même de ces attentats.
Au cours des dernières années, le FBI a utilisé des informateurs entraînés non seulement pour filer les terroristes présumés, mais pour les piéger dès le départ. Un récent rapport produit par Mother Jones et l’Investigative Reporting Program de l’université de Berkeley en Californie analyse des statistiques très éloquentes sur le rôle des informateurs du FBI dans les affaires de terrorisme dont s’est occupé le Bureau dans la dernière décennie, depuis les attaques du 11 Septembre.
Le rapport révèle que le FBI infiltre régulièrement des communautés où il suspecte des individus au potentiel terroriste de se lier à d’autres. Quelles que soient les intentions réelles de leurs cibles, les agents sont envoyés dans ces communautés pour s’y intégrer, trouver des suspects qui pourraient potentiellement mener des attaques de type « loup solitaire » et plus ou moins les encourager à le faire. En fournissant des armes, des fonds et un plan, les agents dirigés par le FBI encourageront des individus, qui ne l’auraient pas fait tout seuls, à participer à la préparation d’attaques terroristes, mais seulement dans le but de les arrêter avant qu’un quelconque événement ne se soit produit.
De plus, un ancien officiel de haut rang du FBI a confié à Mother Jones que pour chaque informateur officiellement employé par le Bureau, jusqu’à trois agents travaillent – non-officiellement – sous couverture.
Le FBI a utilisé ces informateurs pour préparer puis empêcher plusieurs des plus grandes attaques potentielles de ces dernières années. Le rapport révèle que les tentatives d’attaque à la bombe dans le métro de Washington, dans celui de New York, la tentative de détruire le Sears Tower de Chicago et beaucoup d’autres ont toutes été orchestrées par des agents du FBI. En réalité, d’après le rapport, seulement trois des complots terroristes de la dernière décennie n’ont pas été planifiés par des agents en relation avec le FBI.
Le rapport révèle que dans la plupart des cas, d’importants rendez-vous entre les informateurs et les participants inconnus se font volontairement hors enregistrement, pour éviter toute possibilité que l’accusation de piège puisse provoquer l’écroulement de l’affaire. La plus élaborée des manigances du FBI fut peut-être l’affaire des « Quatre de Newburgh ». Dans la banlieue de New York, un informateur a infiltré une communauté musulmane et y a engagé quatre hommes pour mener une série d’attaques. Ces hommes ne les ont peut-être jamais menées, mais quand l’informateur leur a proposé un plan et une paire de missiles, ils ont accepté. Les avocats de la défense ont hurlé au piège, mais les accusés ont quand même été condamnés à 25 ans de prison chacun.
« Le problème avec les cas dont on parle est que les accusés n’auraient rien fait du tout si les agents du gouvernement ne leur avaient pas mis des coups de pied au cul », a déclaré Martin Stolar à Mother Jones. Stolar représentait le suspect impliqué dans la préparation d’un attentat à la bombe à New York, qui avait été monté de toutes pièces par des agents du FBI. « Ils créent des affaires criminelles pour les résoudre et ainsi se proclamer victorieux dans la guerre contre la terreur. » De son côté, le FBI affirme que cette méthode est un plan de « préemption », de « prévention » et de « perturbation » (disruption).
Le rapport révèle aussi que sur les cinq cents et quelques poursuites judiciaires reliées au terrorisme qui ont été analysées, près de la moitié ont impliqué l’utilisation d’informateurs, dont la plupart ont travaillé pour le FBI en échange d’argent ou pour effacer des casiers criminels. Dans les 158 poursuites judiciaires qui ont abouti, 49 accusés ont participé à des complots que des agents provocateurs [1] ont arrangés pour le FBI.
Des experts font remarquer que les chances de gagner un procès en terrorisme, qu’il se soit agi d’un piège ou non, sont quasi inexistantes. « Les conspirations auxquelles les individus sont accusés d’avoir pris part – attaques contre le métro ou plan pour détruire des immeubles à la bombe – sont tellement effrayantes qu’elles peuvent submerger un jury », a dit à Mother Jones David Cole, professeur à l’université de Georgetown. Depuis le 11 Septembre, presque deux tiers des affaires liées au terrorisme se sont terminées par des accusés plaidant coupable. « Ils ne disent pas “Je me suis fait avoir” ou “J’ai été immature” », fait remarquer un membre du FBI à la retraite.
Tous ces individus plaidant coupable se sont souvent simplement retrouvés au bon endroit au mauvais moment. Farhana Khera, du collectif Muslim Advocate, note que les agents vont « à la pêche » dans des mosquées, juste pour voir s’ils peuvent trouver un intérêt dans ces communautés. « Le FBI dit maintenant à ses agents qu’ils peuvent aller dans les maisons ou les lieux de culte sans même aucune présomption », dit Khera. « Cela soulève de nombreuses questions constitutionnelles. »
Depuis la fabrication de toutes pièces jusqu’au grand dénouement, ce genre d’opération déborde de problèmes constitutionnels. Une décennie après le 11 Septembre, cependant , le FBI déploie tous les moyens à sa disposition pour empêcher les terroristes – ou ceux qu’il croit susceptibles de le devenir un jour – de blesser l’Amérique.