L’analyse proposée aidera peut-être à mieux comprendre la nature du (ou des) nationalismes kurdes à l’œuvre aujourd’hui, les limites qu’il (ou qu’ils) s’impose en ignorant les exigences du combat anti-impérialiste dans la région, des réformes sociales radicales qui doivent accompagner cette lutte, comme les exigences de la construction de l’unité de tous les peuples concernés (Kurdes, Arabes, Iraniens) contre leur ennemi commun : les États-Unis et ses alliés locaux (islamistes ou autres).
Le chaos politique qui domine la scène dans le Moyen Orient s’exprime entre autre par l’émergence violente de la question kurde. Comment peut-on analyser, dans ces conditions nouvelles, la portée de la revendication des Kurdes (autonomie ? Indépendance ? Unité ?) ? Et peut-on déduire de l’analyse que cette revendication doit être soutenue par toutes les forces démocratiques et progressistes, dans la région et dans le monde ?
Une grande confusion domine les débats sur le sujet. La raison en est, à mon avis, le ralliement de la plupart des acteurs et des observateurs contemporains à une vision non historique de cette question comme des autres. Le droit des peuples à l’autodétermination a été érigé en un droit absolu, dont on voudrait qu’il soit tenu pour valable pour tous et pour tous les temps présent et futur, voire même passé. Ce droit est considéré comme l’un des droits collectifs parmi les plus fondamentaux, auquel on donne souvent davantage d’importance qu’à d’autres droits collectifs de portée sociale (droit au travail, à l’éducation, à la santé, à la participation politique, etc.). Par ailleurs les sujets de ce droit absolu ne sont pas définis d’une manière précise ; le sujet de ce droit peut être alors une « communauté » quelconque, majoritaire ou minoritaire dans le cadre des frontières d’un État ou d’une de ses provinces ; cette communauté se définissant elle-même comme « particulière » par la langue ou la religion par exemple et se prétendant, à tort ou à raison, victime de discrimination voire d’oppression. Les analyses et les prises de position qui sont les miennes s’inscrivent en contrepoint de cette vision transhistorique des problèmes de société et des « droits » au travers desquels s’expriment les revendications des mouvements sociaux du passé et du présent. En particulier j’attribue une importance capitale à la coupure qui sépare l’épanouissement du monde moderne capitaliste des mondes antérieurs.